4.4.Tag questions et régulateurs

D’après de certains auteurs comme Holmes (1993 : 98), les femmes priviligient la relation, et utilise pour ce faire des procédés tels que la tag question, procédé conversationnel visant à faciliter l’échange, et à laisser une place à l’interlocuteur.

Les tag questions ont été l’objet de nombreuses études, dont certaines furent largement contestées. Selon Robin Lakoff, les femmes utiliseraient plus de tag questions que les hommes. La question indique que le locuteur cherche à s’informer (« Is John here ? ») alors qu’avec la tag question, le locuteur semble affirmer, selon Lakoff, quelque chose dont il n’est pas tout à fait convaincu (« John is here, isn’t he ? »). Le locuteur cherche donc une confirmation de la part de son interlocuteur.

Mais cette affirmation fut très rapidement mise à mal par d’autres chercheurs dont Dubois et Crouch (1976), ou plus récemment Cameron (1992) qui, dans leurs travaux, ont observé que les tag questions étaient très fréquemment produites par des hommes, et pas seulement dans le but d’exprimer de l’insécurité. Cameron a notamment relevé que les magistrats utilisaient massivement les tag questions qui sont alors mises au service du pouvoir car elles servent à contrôler la parole d’autrui.Dubois et Crouch quant à eux ont non seulement critiqué le fait que Lakoff généralise la fonction de l’inversion : l’inversion peut avoir une valeur de demande, mais ils ont aussi remis en cause l’hypothèse elle-même. En effet, à partir d’un corpus constitué à l’occasion d’une rencontre professionnelle entre hommes et femmes en milieu académique, ils vont jusqu’à affirmer que les inversions répertoriées sont prononcées exclusivement par des hommes.

Pour Holmes, il ne faut pas oublier que les tag questions sont des formes polyvalentes et pouvant avoir plusieurs fonctions qui doivent être distinguées pour pouvoir comparer leur utilisation par les femmes et par les hommes : ‘«’ ‘ In comparing their distribution in the speech of women and men, it is crucial to pay attention to their function in context ’ ‘»’ ‘’(Holmes, 1995 : 80). Elle distingue (1993, 1985) deux valeurs principales de la tag question : une tag question modale qui exprime une certaine incertitude de la part de son énonciateur, vis-à-vis de son énoncé. ‘«’ ‘ They focus on the accuracy of the information asserted in the proposition, rather than on the feelings of the addressee ’ ‘»’ (ibid.). Cette tag question attend une confirmation éventuelle de l’interlocuteur ; et une tag question affective, qui vise à faciliter l’échange, et exprime l’attitude du locuteur envers le destinataire. ‘«’ ‘ They are examples oh hedges which serve as positive politeness devices. They invite the addressee to contribute to the discourse ’ ‘»’ (ibid. : 81). Les hommes utiliseraient plutôt le premier type de tag, c’est-à-dire qu’ils privilégieraient plus le contenu, ‘«’ ‘ requesting reassurance or confirmation of the validity of their propositions ’ ‘»’ (ibid. : 82-83), alors que les femmes privilégieraient la relation : leurs tags sont pour la plupart du deuxième type.

N’ayant pas repéré dans nos corpus des cas de tag questions en français, nous ne nous attarderons pas plus longtemps sur cette question, mais nous pouvons trouver en français d’autres types de marqueurs qui peuvent avoir eux aussi, comme l’est la tag question affective, pour but de faciliter l’échange, donc de privilégier la relation. Ce sont ce que l’on peut appeler les régulateurs ou les signaux d’écoute, que les femmes produiraient en grand nombre, elles en produiraient même plus que les hommes (Tannen, 1993 : 142-143, Holmes, 1993 : 96). L’autre différence entre hommes et femmes est non seulement quantitative mais aussi qualitative : si ces régulateurs (mm, oui, d’accord) seraient, pour elles, plus des signaux d’écoute, signifiant alors « je vous écoute », ces mêmes régulateurs seraient pour les hommes 170 plutôt des signaux d’accord.

Dans le corpus Artisans, la secrétaire utilise régulièrement « hein »ponctuant souvent ses interventions dans la séquence de pré-clôture, lors des récapitulations et reformulations. Nous allons voir quelle peut être la valeur de ce « hein », valeur pouvant le rapprocher, dans certains contextes, de la tag question. En effet, bien que ce ne soit pas une vraie question, le « hein » utilisé par cette secrétaire a pour fonction de privilégier la relation, en laissant une place à l’interlocuteur. Nous verrons ensuite les dysfonctionnements qu’il peut entraîner dans la pré-clôture et la clôture de l’interaction.

Interaction 3 21S (…) mais i’va vous l’faire dans les: dans les 48 heures hein 

22C euh: pa’ce que moi c’est-à-dire (…) ce s’rait pas aujourd’hui

(…)

29S (…) d’accord bon ben écoutez vous verrez avec lui hein il essayera d’faire au plus vite hein 

30C d’accord

Interaction 4 29S d’accord ben écoutez dès qu’i’revient j’vais lui dire hein 

30C par contre lui m’a parlé d’un: . d’un problème (…)

(…)

37S =d’accord bah écoutez j’lui dis qu’i’vous rappelle [hein 

38C [c’est ça

Dans certaines situations, l’intervention de la secrétaire suivie de son « hein »attend une réponse de confirmation (l. 21S de l’interaction 3) : la secrétaire donne une information à la cliente que celle-ci ne connaît pas. Dans d’autres circonstances, le « hein » en fin d’énoncé peut être là simplement pour ponctuer l’intervention, et n’attend pas de réponse. En effet, la secrétaire peut l’utiliser plusieurs fois alors qu’un accord a déjà été trouvé entre les locuteurs, comme dans l’interaction 4, ce qui tend à montrer qu’elle préserve la relation, l’entretient grâce à ces marqueurs.

Sometimes we find a tag question used in cases in which the speaker knows as well as the addresse what the answer must be, and doesn’t need confirmation.(Lakoff, 1975 : 16).’

Le problème est que, l’assertion étant rendue moins « forte » 171 , le client ne voit pas l’intervention de la secrétaire comme une tentative de clôture suite à un accord trouvé, mais comme une autre demande de confirmation, voire comme une possibilité de relance. Ainsi, dans son interaction avec madame W (interaction 2 corpus 97), la secrétaire a beaucoup de mal à clore l’interaction car son interlocutrice relance systématiquement après ses interventions :

31S d’accord . bon ben écoutez j’vais lui dire j’pense qu’il f’ra un tour dans l’après-midi voir hein  je j’vais l’voir à midi j’vais lui dire hein

32C voilà euh et puis donc . vous comprenez (…)

(…)

71S alors . bon ben tous c- toutes tout toutes ces p’tites choses là j’vais les lui- en parler tout à l’heure donc hein

72C voilà faudrait qu’il passe (…)

Venons-en maintenant à la séquence de clôture de l’interaction et aux différences repérables entre le parler féminin et le parler masculin dans cette séquence.

Notes
170.

Ce serait pour certains chercheurs (voir Tannen, 1986 : 145) une des principales sources de malentendus dans la communication entre hommes et femmes.

171.

Lakoff dit des tag questions qu’elles sont « midway between an outright statement and a yes-no question : it is less assertive than the former, but more confident than the latter  » (1975 : 15).