5.En clôture de l’interaction

Si l’observation des styles conversationnels masculin et féminin nous a semblé pertinente dans l’étude de la séquence d’ouverture et le cœur de l’interaction, il semble plus difficile de trouver des régularités du même type dans la séquence de clôture. Les interactions de travail ayant une finalité interne, une fois le but de l’appel formulé et le problème résolu ou l’information donnée, les locuteurs n’ont plus de raison de rester en contact. C’est pour cette raison que dans la très grande majorité de nos corpus, les interactions se clôturent très vite une fois la requête formulée et la réponse donnée (que ce soit un acte ou une information). Les interventions se chevauchent, ce qui donne un caractère encore plus « expéditif » à la fin de l’interaction. Ainsi, il semblerait donc que si le genre joue un rôle en début et au cours de l’interaction, il semble s’effacer en fin d’interaction 172  :

‘Le sexe n’est pas dans la situation de conversation une « variable de fond »pertinente de la même façon en permanence. (…) Il semble bien en effet que le sexe puisse connaître une saillance particulière dans le feu de la conversation et, inversement, perdre sa visibilité initiale pour se fondre dans le décor (Hakulinen, 1998 : 140).’

Tannen, ou encore Holmes, ont toutefois remarqué que les femmes clôturent en règle générale certaines de leurs conversations par un remerciement, qui serait une sorte de rituel de clôture 173 , et remercient plus que les hommes 174 . Tannen a ainsi remarqué, lors de son analyse d’interactions de travail au téléphone que les femmes, même lorsqu’elles ont un statut élevé dans la hiérarchie, utilisent très fréquemment le remerciement en clôture d’interaction :

Since Charlene was the boss setting up necessary meetings with subordinates, she obviously did not say «  thanks  » beacause she felt grateful for a favor they had done her ; rather, it seems to be a ritualized way for her to bring a conversation to a close. (…) Evelyn, the manager (..) did frequently thank people. For her too, «  thanks  » seemed to be a ritual conversational closer, like «  okay  » (Tannen, 1996 : 55).’

Nous avons observé nos différents corpus afin d’essayer de retrouver cette caractéristique « féminine ». En fait, comme nous l’avons déjà dit, le comportement des femmes (tout comme le comportement masculin) change selon le rôle conversationnel qu’elles occupent, c’est-à-dire selon qu’elles sont appelantes ou appelées. Comme l’expliquent Smoreda et Licoppe (2000 : 119), les variations de comportements langagiers sont non seulement liées au sexe des participants mais aussi à leurs rôles interactionnels. Une femme ne se comportera pas de la même façon quand elle appelle (un homme ou une femme) et quand elle est appelée. De plus, l’appelant va ajuster son comportement, suivant l’identité de genre de son interlocuteur.

Ainsi, dans le corpus Assureurs, tout comme dans les corpus Fournisseurs et Artisans, la secrétaire ne remercie pas quand elle est l’appelée ; par contre elle minimise le remerciement que lui fait le client appelant (« je vous en prie », « pas de problème », « allez » 175 …), et formule un remerciement quand elle est elle-même l’appelante. Toutefois, ce comportement n’est pas systématique, l’une des deux secrétaires enregistrées dans l’entreprise Fournisseurs (Martine) utilisant facilement le remerciement en clôture d’interaction, qui prend alors la signification de « merci d’avoir appelé ». Ceci lui a d’ailleurs valu un commentaire métalinguistique de la part de sa collègue après une interaction avec un client à la fin de laquelle Martine a remercié le client alors qu’elle lui avait rendu un service : « mais pourquoi tu remercies ? ».

Par contre, il est vrai que dans le corpus Transporteurs, la secrétaire formule un nombre assez important de remerciements en séquence de clôture, et parmi ces remerciements, il y en a autant qui sont initiés par la secrétaire (que le client retourne), que de remerciements initiés par le client (renvoyés par la secrétaire). Et pourtant, quand la secrétaire est à l’origine des remerciements, ceux-ci sont purement rituels, puisqu’elle ne remercie rien en particulier (si ce n’est d’avoir appelé). Etant donné que c’est elle qui a rendu un service ou transmis une information, c’est au client que devrait uniquement revenir la tâche de remercier. Pourtant, comme l’a remarqué Tannen, même en position haute, les femmes ont tendance à protéger les faces de leurs interlocuteurs :

Part of the reason that many women in positions of authority speak in ways that downplay rather than emphasize the power of their position is simply an expression of the ethics characteristic of many women’s conversational rituals (…) : the desire to restore balance to a conversation and take into account the effect of one’s words on the other personn (Tannen, 1996 : 179).’

Pour chacun des extraits suivants (corpus 98), nous resituons, avant la clôture, le but de l’appel (la requête) afin de voir quelle est sa nature, et si le remerciement est vraiment nécessaire (remercier pour un service rendu ou une information transmise) ou purement rituel. Dans les interactions 20 et 22, la secrétaire est l’initiatrice de l’échange de remerciements, alors que c’est le client qui a formulé une requête (demande d’information) :

Client - Requête

Secrétaire - Réponse à la requête

Client - Intervention réactive (« OK »…)

Secrétaire - Remerciement

Client - Remerciement – Salutation

Interaction 20 6C j’voulais savoir si vous aviez un camion sur Mulhouse (…)

(…)

9S .. euh non pas pou- pas: pas prévu

10C d’accord

11S merci

12C merci au r’voir

Interaction 22 6C pour voir si vous cherchez un chargeur en Belgique (…)

(…)

16C bon OK

17S merci

18C merci au r’voir

Le remerciement a alors une valeur de clôture de l’échange (« je ne peux plus rien faire pour vous, merci d’avoir appelé »). Dans les exemples suivants, le client remercie la secrétaire suite à la réponse donnée à sa requête, et la secrétaire, dans la même intervention, renvoie le remerciement et salue son interlocuteur :

Client - Requête

Secrétaire - Réponse à la requête

Client - Intervention réactive : Remerciement

Secrétaire - Remerciement – Salutation

Interaction 23 8C vous avez le camion aux Pays-Bas demain

9S .. non y’a personne là-haut

(…)

22C merci

23S merci au r’voir

Interaction 21 4C vous auriez un véhicule demain sur Anvers

5S sur . Anvers . non personne

6C OK merci

7S merci au r’voir

Il semble donc difficile, dans ce type d’interactions (interactions de travail au téléphone), de distinguer ce qui, dans la séquence de clôture, peut être caractéristique des styles conversationnels de l’appelé et de l’appelant, de la secrétaire et du client, et de la femme et de l’homme.

Nous venons de voir dans ce chapitre qu’il est difficile de distinguer ce qui est caractéristiques du genre de ce qui est caractéristique du rôle des locuteurs. Non seulement les corpus doivent assez diverses pour nous permettre de repérer ce qui est propre au genre et ce qui est propre au rôle, mais ils doivent être assez nombreux pour nous permettre de décrire un certain nombre de régularités, qui nous permettraient de distinguer véritablement des différences entre style conversationnel masculin et style conversationnel féminin. Nous allons voir maintenant comment se construisent, s’activent et s’affirment les identités des locuteurs au sein de leur travail dans l’entreprise.

Notes
172.

Goffman parle de gender display (« mise en valeur du sexe », 1987 : 1-4).

173.

Tannen, 1996 : 54.

174.

Voir l’étude de Becker et Smenner, 1986, portant sur le comportement des jeunes enfants à l’égard des remerciements.

175.

Qui signifie en quelque sorte « J’accepte les remerciements, nous pouvons clore l’interaction ». C’est un moyen aussi de minimiser l’importance du service rendu (l’équivalent de « de rien »).