2.Les types de demande dans l’entreprise

Afin d’avoir un point de vue global sur les différents types de demandes dans nos entreprises, nous allons commencer par présenter sous forme de tableau le pourcentage de chaque type de demande pour chaque entreprise.

Dans l’entreprise Artisans, sur 24 interactions contenant une véritable demande (certains appels consistent en l’apport d’informations), 41,6 % sont des demandes d’un faire, 37,5 % sont des demandes d’un dire et 25 %, des demandes de parler au patron. Nous les avons mises à part, compte tenu de leur statut ambivalent 187 .

Figure 29 : Types de demandes dans l’entreprise Artisans
Demande d’un dire Demande d’un faire Demande de parler au patron
37,5 % 41,66 % 25 %
Demande d’un dire Demande d’un faire
Demande explicite Demande implicite Demande explicite Demande implicite
88,9 % 11,1 % 70 % 30 %

Nous avons choisi de distinguer les demandes formulées de façon explicite de celles formulées implicitement pour montrer que, malgré le caractère finalisé des interactions de travail, une partie des clients tournent tout de même « autour du pot », confirmant ainsi la réputation des Français à l’étranger 188 . Nous verrons ensuite en détail comment sont formulées ces requêtes. Par exemple, dans le corpus 99, interaction 5, l’appelante, qui est une représentante, appelle pour savoir si la secrétaire est intéressée par les produits qu’elle vend, et si elle est prête à en acheter. Mais elle ne formule pas sa demande directement, et le fait de façon détournée, indirecte.

8C j’vous appelle d’abord pa’ce que certains d’mes clients n’ont pas: n’ont pas reçu mais j’pense que vous: le (inaudible)

9S oui j’l’ai reçu cette semaine (…)

(…)

14C ah d’accord donc (inaudible) certains d’mes clients l’attendent encore . donc euh: donc voilà . donc vous m’aviez d’mandé d’vous rappeler euh=

15S =oui mais alors (…) j’ai pas eu l’temps de de l’montrer ni mon mari (…)

Dans l’entreprise Fournisseurs, sur 45 interactions contenant une véritable demande, 35,5 % sont des demandes d’un faire, 35,5 % sont des demandes d’un dire et 40 %, des demandes de parler au patron. Concernant les demandes de dire, 75 % sont exprimées de façon directe, alors que pour les demandes d’un faire, 50 % sont exprimées de façon directe et 50 % de façon détournée :

Interaction 15 16L et ben il m’arrive que j’ai un souci sur un délai d’commande de garde-corps…

Interaction 32 6C est-ce que vous avez du:: pff 8019 en MBU une longueur

(…)

17C bon j’vais vous passer euh la commande de ça j’l’aurai quand ↑

Figure 30 : Types de demandes dans l’entreprise Fournisseurs
Demande d’un dire Demande d’un faire Demande de parler au patron
35,5 % 35,5 % 40 %
Demande d’un dire Demande d’un faire
Demande explicite Demande implicite Demande explicite Demande implicite
75 % 25 % 50 % 50 %

Enfin, dans l’entreprise Transporteurs, sur 39 interactions avec demande, 61,5 % sont des demandes de dire, seulement 12,8 % sont des demandes de faire, et 25,7 % des demandes de parler au patron. La plupart des demandes de renseignements sont en fait de possibles requêtes. En effet, la grande majorité de ces demandes sont des demandes concernant d’éventuels transports que l’entreprise Transporteurs pourrait faire pour le client appelant. Le client peut formuler sa demande de deux façons :

Soit sous forme de requête explicite :

12C petite question là tu tu peux pas aller s’il te plaît chez euh chez Y [chez notre ami] pour charger une palette . pour être livrée dans le Sud de du Danemark

(Interaction 3, Corpus 97)

L’interlocuteur, secrétaire ou patron, a la possibilité de répondre de façon positive, d’accepter la requête, ou de refuser, sachant que le refus est

‘l’enchaînement « non préféré », fortement menaçant pour le requêteur, qui risque de s’en offusquer si le refus n’est pas accompagné de justifications copieuses et édulcorantes en tous genres (Kerbrat-Orecchioni, 2001 : 106). ’

Dans cet extrait, la demande est d’autant plus difficile à refuser qu’elle est orientée (« tu peux pas aller »), et enrobée de marqueurs de politesse (« s’il te plaît »).

Soit sous forme de demande de renseignement :

2C bonjour ↑ Transports X Auxerre: (1’) j’aurais voulu savoir si vous aviez un véhicule au départ du 89 aujourd’hui

3S (1’) euh: non

(…)

6C d’accord

L’interlocuteur, détenant le savoir, aura là aussi les deux alternatives. S’il répond de façon positive, la demande d’un dire peut devenir alors la demande d’un faire. S’il répond de façon négative, la demande reste celle d’un dire.

Enfin, concernant la formulation de la demande, la grande majorité de celles-ci sont formulées de façon directe, celles-ci étant pour la plupart, des demandes précises concernant un service précis.

Figure 31 : Types de demandes dans l’entreprise Transporteurs
Demande d’un dire Demande d’un faire Demande de parler au patron
61,5 % 12,8 % 25,7 %
Demande d’un dire Demande d’un faire
Demande explicite Demande implicite Demande explicite Demande implicite
83,3 % 16,7 % 100 % 0 %

Nous pouvons voir que dans les deux premiers corpus, Artisans et Fournisseurs, les demandes d’un dire sont formulées de façon directe plus souvent que les demandes d’un faire. Ceci peut s’expliquer par le fait que les demandes d’un faire sont des actes plus menaçants pour les faces que les demandes d’un dire. Pourtant, dans l’entreprise Transporteurs, nous pouvons voir que c’est l’inverse. Les demandes de faire sont toutes exprimées de façon directe, ce qui confirme la première impression que nous avions eue lors de l’enregistrement et la transcription des interactions. Les appelants vont droit au but, ceci pouvant s’expliquer d’une part par le caractère familier (voire très familier) des relations clients-secrétaire, et d’autre part, par le caractère « européen » de ces relations 189 . En effet, nous avons pu voir qu’un certain nombre d’appels venaient de clients étrangers, principalement d’Allemagne, de Belgique, du Danemark, etc. Ces tableaux nous permettent de souligner l’importance qu’ont les faces des interactants dans le fonctionnement de l’interaction, et « la force des pressions qu’elles exercent sur la fabrication des énoncés » (Kerbrat-Orecchioni, 2001 : 107) :

‘C’est bien en termes de « désir de face » (face want) et de « travail de face » (face work) que s’explique la rareté des formulations directes de la requête, pourtant plus économique à tous égards (ibid.).’

Nous en venons au rôle de la relation interpersonnelle dans la formulation de la requête.

Notes
187.

Le total de ces pourcentages ne fait pas toujours 100 % étant donné que quelques interactions dans certains corpus contiennent deux demandes : d’abord une demande d’un dire (« avez-vous tel produit ? »), qui devient ensuite une demande d’un faire (« Pouvez-vous en commander ? »).

188.

Suite à une longue discussion avec plusieurs chercheurs étrangers (Allemagne, Angleterre, Norvège, etc.) lors d’un colloque international, ceux-ci ont confirmé ma première impression lors de l’étude en DEA de mon corpus Transporteurs, dans lequel de nombreux appels viennent de l’Europe du Nord : les français ont tendance à tourner autour du pot, et utilisent plus de préliminaires à leur requête que les européens du Nord.

189.

Nous avons déjà remarqué que certains clients européens allaient plus rapidement au but de l’appel que les Français.