2.2.2.Adoucisseurs de nature verbale

Parmi les adoucisseurs verbaux, nous pouvons distinguer les procédés substitutifs vs les procédés additifs.

Les procédés substitutifs consistent à remplacer une partie de l’énoncé, la formulation la plus directe, par une autre formulation, plus douce. En ce qui concerne la requête, elle est rarement, voire jamais, formulée sous la forme d’ordre, ce qui la rendrait très menaçante pour l’interlocuteur. La requête est formulée en règle générale sous forme de question et non d’ordre, ce qui atténue son côté menaçant, et la rend donc plus polie. La politesse négative passe donc ici par la formulation indirecte de la requête :

‘La formulation indirecte, qui dégrade en quelque sorte l’ordre en requête, apparaît alors comme un moyen d’atténuer la menace que constitue cet acte de langage, et partant, de mieux faire admettre par le destinataire cette espèce d’agression conjointe de ses deux faces (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 201). ’

Les locuteurs peuvent donc utiliser, pour adoucir leur requête, des modalisateurs de requête, « vouloir » et « pouvoir », qui relèvent des procédés substitutifs (ils fonctionnent au niveau des requêtes indirectes). Au lieu de « Ferme la porte ! », le locuteur préférera « Tu peux/ tu pourrais fermer la porte », ou encore « Je veux/ je voudrais que tu ferme la porte ».

‘L’acte de langage indirect permet de tenter d’imposer une obligation à l’interlocuteur tout en précisant qu’on ne porte pas atteinte à son indépendance, qu’on le laisse libre d’accepter ou non cette obligation (Roulet, 1980 : 231).’

Nous avions d’ailleurs déjà souligné dans notre mémoire de DEA (1998) l’utilisation récurrente, dans la formulation de la requête, des verbes « savoir », « vouloir » et « pouvoir », qui nous permettent de distinguer les demandes d’un dire (les questions) des demandes d’un faire (les requêtes). Le verbe « savoir », combiné au modal « vouloir », et conjugué à la première personne, est présent dans la plupart des questions, ce qui montre bien que l’objet de cette demande est la transmission d’un savoir, d’une information.

Interaction 6 (Fournisseurs)

2C oui bonjour j’vous appelle à propos d’une commande là euh . que j’ai passé hier j’voulais savoir si c’était dispo

Interaction 2 (Transporteurs, 97)

2C bonjour (…) j’aurais voulu savoir si vous aviez …

Interaction 3 (98)

5C euh j’voulais savoir pour la traversée…

Interaction 12 10S et on voulait savoir …

Interaction 1 (Artisans)

6C (…) j’aurais voulu savoir si i’s’rait possible d’avoir une personne…

Interaction 6 2C je vous téléphone pour savoir si vous aviez étudié …

Interaction8 22C euh:: j’voulais savoir déjà si …

Par contre, les requêtes ou demandes d’un faire sont souvent introduites par le verbe « pouvoir », qui est alors conjugué à la deuxième personne (du singulier ou du pluriel), verbe qui est défini par Anscombre (1977), tout comme « vouloir » (« Voulez-vous ouvrir la fenêtre ? »), comme un « marqueur de dérivation illocutoire », c’est-à-dire que « pouvoir introduit un illocutoire dérivé marqué de requête » (1980 : 97), et il sera difficile pour l’interlocuteur de refuser d’accéder à cette requête, sans des formules de politesse appropriées. Ainsi, quand le client demande à la secrétaire « Tu peux me mettre en E » (I8, Fournisseurs), cette requête renvoie à la loi du discours suivante : « Demander à quelqu’un s’il est capable de faire quelque chose, c’est lui demander de le faire » (Moeschler, 1985 : 42). A ce propos Gordon et Lakoff (1973) ont établi le postulat suivant :

Requête [ L, Faire (I, A) ] → Capacité [ I, Faire (I, A) ]

Qui signifie « Si le locuteur L fait une requête à son interlocuteur I, de faire A, alors c’est que I a la capacité de faire A ».

Interaction 2 (Fournisseurs)

5L . euh tu peux me faire une modification (…) s’il te plaît

Interaction 45 8P (…) tu peux m’débloquer le compte (…) s’il te plaît

Interaction 4 (Artisans, 99)

10C bon est-ce que vous pouvez notr s’il vous plaît

Interaction 14 12C vous vous n’pouvez pas du tout m’donner-

Interaction 4 (2000)

8C euh . vous allez p’t-être pouvoir m’renseigner vous

Interaction 8 (Transporteurs, 98)

2C oui bonjour les établissements L. pourrais-je avoir vos coordonnées bancaires s’il vous plaît

Interaction 9 3C oui bonjour: j’peux avoir m’sieur B. ↑

Ainsi,

‘les phrases contenant des modaux ont typiquement plus de force dérivée que les phrases synonymes sans modaux, (…). Puisqu’il existe des différences analogues dans d’autres langues comme l’allemand et le français, on est conduit à la conclusion qu’un des traits pertinents de la définition universelle du concept de verbe modal est précisément cette dérivation de force (Ross, 1975 : 241). ’

Différents autres procédés substitutifs, se combinant avec la modalisation, sont régulièrement utilisés par le locuteur pour adoucir la menace éventuelle de sa requête, comme la négation, le conditionnel, le passé de politesse. Le premier procédé se combinant de façon quasiment systématique avec la requête est la formule « s’il vous plaît », qui nous indique qu’il s’agit bien d’une requête : « C’est par convention de langue que la locution s’il te plaît signifie la requête » (Moeschler, 1985 : 39).

La négation : La négation peut rendre une requête plus polie en atténuant sa valeur menaçante. Les deux procédés utilisés dans nos corpus sont soit la négation proprement dite de la requête : « Le patron n’est pas là ? », soit la négation par l’aveu d’ignorance : « Je ne sais pas / Vous ne pouvez pas me dire… ? ». Dans le cas des questions à valeur de requête (« Le patron n’est pas là ?/ Le patron est là ? »), les whimperatives, la négation rendrait la requête plus polie : « La négation rend l’acte plus oblique, éventuellement plus déférent, et l’adapte ainsi aux stratégies de politesse régissant l’interlocution » (Callebaut, 1989 : 147). Ils sont toutefois rarement utilisés, voire jamais dans les corpus Fournisseurs et Assureurs.

Interaction 7 (99) 6C =Jean-Paul n’est pas là ↑

Interaction 2 (97) 10C vot’mari n’est pas là ↑

Interaction 13 (99) 8C (…) dites je sais pas si vous avez essayé d’m’envoyer…

Interaction 1 (97) 6C je voudrais un un renseignement si vous pouvez m’le donner je sais pas

Interaction 14 (99) 12C vous vous n’pouvez pas du tout m’donner-

L’utilisation de la négation comme procédé d’adoucissement de la requête, principalement dans le corpus Artisans, peut s’expliquer par le fait que le « taux » de dérangement, ou plutôt de l’impression de dérangement, s’il était mesurable, semble plus haut dans cette entreprise que dans toute autre entreprise. En effet, nous avons vu, avec le script de l’interaction dans ce corpus, que la secrétaire de cette entreprise ne présentait pas l’entreprise. L’ouverture des interactions ayant les mêmes caractéristiques que celle des interactions familières, le client, en plus d’être surpris par l’accueil, a le sentiment de déranger la secrétaire, et utilisera alors plus d’adoucisseurs pour minimiser le dérangement produit.

Le conditionnel : Le conditionnel de politesse est largement utilisé comme adoucisseur de FTA. Il « fonctionne comme une variante adoucissante de l’indicatif » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 205). Dans nos corpus, la plupart des demandes sont adoucies grâce à l’utilisation du conditionnel présent (et plus rarement le conditionnel passé qui paraîtra plus, voire trop poli, dans un cadre professionnel). Ces demandes adoucies par le conditionnel présent sont principalement des demandes de parler à un autre employé de l’entreprise. Ainsi, dans le corpus Fournisseurs, la majorité des requêtes sont adoucies grâce au conditionnel présent. Les autres procédés substitutifs (conditionnel passé, passé de politesse, négation) sont très rarement utilisés par les appelants. Les autres requêtes sont formulées au présent, ce qui implique l’utilisation, par le client, d’autres procédés, cette fois-ci additifs, procédés dont nous parlerons ensuite.

Interaction 4 6C j’pourrais avoir Martine s’il vous plaît

Interaction 5 2C bonjour j’pourrais avoir monsieur M. s’il vous plaît

Interaction 9 14C voilà donc i’faudrait débloquer l’reste hein

Interaction 10 13C (…) j’voudrais savoir j’les ai pas eues ces barres

Dans le corpus Transporteurs, le conditionnel présent est aussi le procédé substitutif le plus utilisé, toutes proportions gardées compte tenu du fait qu’une grande partie des requêtes sont formulées au présent, qui seront, elles aussi, adoucies par des procédés additifs.

Interaction 2 (98)

2C (…) j’aurais voulu savoir si vous aviez un véhicule au départ du 89 aujourd’hui

Interaction 8 2C (…) pourrais-je avoir vos coordonnées bancaires s’il vous plaît

Interaction 14 16C j’aurais une question . je voudrais connaître le délai et le coût

Enfin dans le corpus Artisans, les procédés utilisés sont variés : on retrouve le passé de politesse, le conditionnel présent, et le conditionnel passé.

Interaction 1 (99)

6C (…) j’aurais voulu savoir si i’s’rait possible d’avoir une personne qui puisse nous rendre visite pour un devis

Interaction 12 4C (…) je voudrais avoir un devis s’il vous plaît

Interaction 15 4C j’aurais voulu une vitre de 25,5

Le passé de politesse, précisément l’imparfait, est aussi très utilisé pour atténuer une requête. En effet, « on atténue l’imposition en présentant la requête comme caduque, fictivement bien sûr puisqu’on la formule du même coup » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 206).

Interaction 6 (Artisans, 99)

12C j’voulais savoir si euh: y’avait possibilité de faire quelque chose

Interaction 20C .. euh: oui c’était pour avoir un: enfin des p’tites à propos d’ce devis en fait

22C euh:: j’voulais savoir déjà si (…)

Interaction 12 (Transporteurs, 98)

6S on vous a répondu ↑ (2’) on voulait savoir si [c’était euh:

Interaction20 6C j’voulais savoir si vous aviez un camion sur Mulhouse (…)

Interaction 40 (Fournisseurs)

4C je vous appelais pour savoir si: euh les marchandises concernant euh l’accusé d’réception . 424 912 étaient parties

Interaction 17 10C j’appelais pour euh::: j’avais des retours à effectuer là (…)

Pour conclure sur l’utilisation du conditionnel présent et passé et du passé de politesse comme procédés substitutifs, la tendance générale que nous pouvons observer à partir de nos corpus, c’est que les appelants utilisent majoritairement le conditionnel présent pour adoucir leur requête et la menace qu’elle peut faire peser sur les faces de la secrétaire, le passé de politesse (imparfait) vient en deuxième position, et enfin le conditionnel passé est le temps le moins utilisé pour adoucir une requête. Venons-en maintenant aux procédés additifs permettant d’adoucir la requête, requête qui cumule en fait un ou plusieurs procédés additifs et ces deux premiers procédés que sont la négation et l’utilisation du conditionnel ou du passé de politesse.

Les procédés additifs sont des procédés qui viennent s’ajouter à la formule directe qu’ils accompagnent. Ce sont donc des procédés accompagnateurs d’un acte de langage, qui est potentiellement menaçant. Dans nos corpus, les appelants utilisent différents procédés additifs ayant pour but d’adoucir le caractère menaçant de leur requête, notamment la formulation de préliminaires, de formules réparatrices (sous forme d’excuse ou de justification), ainsi que d’autres procédés que nous allons décrire ici.

Les « pré- » 194 amortissent l’acte de langage menaçant en l’annonçant :

‘C’est un fait généralement reconnu qu’une action impliquant une intrusion sur le territoire d’autrui est perçue par lui comme moins menaçante pour sa face négative si elle est préalablement annoncée (Roulet et al., 1985 : 87).’

Les questions comme les requêtes peuvent être adoucies grâce aux préliminaires : « Tu peux me rendre un service ? », « Je peux vous poser une question ? ». Et adoucir la requête peut permettre qu’elle soit acceptée plus facilement, donc permettre qu’elle soit réalisée. De plus,

‘les pré- et les formulations indirectes des actes de langage consistent généralement, les uns comme les autres, dans la verbalisation de telle ou telle des conditions de réussite de l’acte concerné ; lorsque le pré- d’une requête se fige, il peut fonctionner comme une requête indirecte (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 216). ’

Ainsi, lorsque le client demande : « Je peux vous poser une question ? », sa demande concerne une condition de réussite (avant de formuler sa requête, il vérifie que son interlocuteur est apte à lui répondre). Dans l’interaction 3 du corpus Artisans (97), la cliente qui appelle ne formule pas de préliminaire à sa requête, elle ne verbalise donc pas une des conditions de réussite de sa requête (celle concernant la capacité de son interlocutrice à répondre). Or, son interlocutrice est la fille de la secrétaire, elle ne peut donc pas répondre à la demande de la cliente, mais elle ne peut lui dire immédiatement :

4C bonjour madame je vous appelle euh: . j’ai reçu un devis de votre part euh concernant des travaux de menuiserie j’m’appelle madame B.

5S oui je- je suis la fille de madame P. et elle n’est pas là pour l’instant

6C d’accord

7S est-ce que vous pourriez rappeler (…)

Les pré- peuvent recevoir des structures syntaxiques diverses, dont l’interrogative est la plus fréquente (« Vous pouvez me rendre un service ? »). Toutefois, dans nos corpus, la forme interrogative est peu utilisée, et quand elle l’est, ce n’est jamais de façon claire, explicite. C’est principalement le contexte qui nous permet de la décrire en tant que question.

Interaction 17 (Fournisseurs)

10C (…) j’avais des retours à effectuer là mais j’pense que j’vois avec Martine …

(…)

12L ouais ouais ouais

(…)

16C tu peux m’donner un ou deux délais sur des trucs là

17L bien sûr

Interaction 27 6C tu tu tu tu vas p’t-être m’aider me renseigner

7M je vais essa[yer

8C [oh tu vas essayer

9M je vais essayer

Interaction 38 4C bonjour Jean-Pierre L. de xx . monsieur L. s’il vous plaît

5M ah il est déjà en ligne

6C oh pétard j’ai besoin de lui j’ai besoin de lui j’ai besoin de lui

(…)

10C (…) vous allez p’t-être me renseigner . vous qui êtes euh ariégeoise là

11S ah ça m’intéresse [non mais y a pas d’problème

Dans deux des trois extraits, le client avait prévu de formuler sa requête à une personne précise, qu’il estimait qualifiée pour lui répondre. N’ayant pas la bonne personne, il vérifie auprès de son interlocutrice qu’elle ait les compétences ou connaissances requises pour répondre à sa requête. Dans les autres cas, les préliminaires sont strictement annonciateurs de la nature de la requête que le client va formuler. Nous trouvons dans nos corpus des préliminaires sous la forme d’annonce du type de requête : « Ce serait pour un renseignement/ service », accompagné souvent d’un « s’il vous plaît » :

Corpus Artisans (97)

Interaction 1 6B je voudrais un un renseignement si vous pouvez m’le donner je sais pas

Interaction 5 2C oui bonjour madame ce s’rait pour un renseignement s’il vous plaît

Corpus Artisans (99)

Interaction 6 6C (…) voilà j’aurais aimé un p’tit renseignement euh …

Corpus Assureurs

Interaction 5 2C oui bonjour madame ce s’rait pour un renseignement s’il vous plaît

Corpus Fournisseurs

Interaction 34 4C dites-moi j’aimerais avoir un renseignement là

Les formules réparatrices telles que les excuses et les justifications permettent aussi d’adoucir une requête. L’excuse, qui permet au locuteur de neutraliser le FTA, est rarement utilisée dans les interactions de nos corpus, du fait du caractère finalisé de ces interactions et du contrat liant les locuteurs. Par contre, la justification, qui, pour Kerbrat-Orecchioni, « doit obligatoirement accompagner l’expression d’un désaccord, d’un refus, ou d’une requête (…) si l’on veut du moins que ces actes aient quelque chance de "réussir" dans l’interaction » (1992 : 217).

Nous avons pu constater que les justifications formulées par les clients appelants sont, la plupart du temps, des justifications de l’appel, plutôt que des justifications de la requête proprement dite.

Corpus Artisans (99)

Interaction 5 8C(…) j’vous appelle d’abord pa’ce que certains d’mes clients n’ont pas: n’ont pas reçu mais j’pense que vous: …

Interaction 13 8C bon dites je sais pas si vous avez essayé d’m’envoyer un fax mais j’avais plus d’papier (…) pa’ce que: je j’av- j’ai vu m’sieur P. hier soir

(…)

10C j’avais d’mandé un devis là

(…)

13S .. alors attendez j’en ai un là…

Interaction 14 4C je devais rappeler en fin de matinée pour avoir la: le patron au sujet: d’un: profilage en alu pour-

Nous distinguons ici les deux car la justification de l’appel n’a pas de lien direct avec la requête qui suit. Par exemple, dans le premier extrait, l’appelante justifie son appel en prétextant qu’elle veut vérifier que le courrier qu’elle a envoyé est bien arrivé, et va ensuite formuler une requête concernant une éventuelle commande de produits par la secrétaire. Dans le deuxième extrait, le client justifie son appel par des soucis de fax, et dérive ensuite sur une requête précise. Il est probable qu’en justifiant son appel par ce problème matériel, il pensait « profiter » de cette occasion pour formuler une autre requête concernant une commande. Toutefois, si nous nous en tenons à son discours, la justification concerne l’appel et non la requête qui suit. L’appelant peut aussi, toujours dans le but d’adoucir la menace éventuelle de la requête, justifier son appel en renvoyant la responsabilité de l’appel sur son interlocuteur (« Je vous rappelle comme vous me l’aviez demandé »). Ainsi, l’appelant se dégage en quelque sorte de toute responsabilité du dérangement éventuellement occasionné.

Corpus Fournisseurs

Interaction 11 4C je devais avoir une communication avec vous concernant un devis là .

(…)

9L voilà .. donc euh vous vouliez donc une personne pour quoi là monsieur

10C oui: et là euh y avait quelqu’un de chez vous qui m’avait dit qui m’préparerait un devis pour jeudi là

Interaction 22 6M dis moi Jeanine euh: je te rappelle au sujet de la commande d’hier de: pour X. tu sais euh sur laquelle (…)

7T oui j’ai eu ton fax oui mais j’ai pas encore eu l’temps de m’en occuper

Dans le premier extrait, l’utilisation de l’imparfait (« je devais ») laisse sous-entendre que cet appel vient après un accord passé entre l’entreprise et le client, et que la secrétaire sait de quoi il s’agit. Dans le deuxième extrait, il en est de même puisque l’appelante n’a pas besoin de formuler sa requête pour que son interlocutrice lui réponde (c’est elle qui aurait du l’appeler).

La minimisation fournit au locuteur divers moyens, « qui permettent de réduire, par la façon simplement dont on présente le FTA, la menace qu’il constitue intrinsèquement » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 218). Parmi ces différents procédés de minimisation, le locuteur peut recourir à la vérification de la disponibilité de son interlocuteur, ou de ce qu’il peut accomplir sans trop de sacrifice : « Tu peux me rendre ce service – si tu as le temps  ». Par exemple, dans les corpus Fournisseurs et Transporteurs, nous avons relevé des formes de minimisation telles que :

Corpus Fournisseurs

Interaction 48 6P ouais . dis est-ce que c’est possible de m’rajouter 10 barres (inaudible) au stock de lundi là

(…)

9T demain . oh bah on va essayer

10P si tu peux si tu peux pas euh tant pis

Corpus Transporteurs (97)

Interaction10 26C bon . euh: moi j’voudrais un camion pour d’main

(…)

28C si c’est possible

Le locuteur peut aussi minimiser le coût de l’incursion, du dérangement en formulant une proposition du type « ce ne sera pas long », ou en ajoutant un morphème « rapetissant », comme juste, un peu, petit, simplement, etc. Tout comme dans les commerces, les « rapetisseurs » sont aussi largement utilisés dans les interactions de travail ayant lieu dans le milieu du bâtiment et du transport. En effet, dans nos corpus, contrairement à ce qu’a remarqué Thomsen dans ses conversations d’affaires, lors de son analyse des rapetisseurs 195 , ce procédé de minimisation est très utilisé, dans les corpus Fournisseurs, Artisans et Transporteurs. Et comme le souligne Kerbrat-Orecchioni (1992 : 219), certains emplois de ces rapetisseurs montrent « combien la politesse s’embarrasse peu de la logique ». Sont formulés par le client dans les corpus, des rapetisseurs du type : « un (petit) peu », « des petites choses »/ « un petit renseignement », ainsi que des formules qui rendent la requête plus ou moins « floue », donc moins directives, comme par exemple, dans le corpus Artisans (97), interaction 1 : « et vous pouvez m’donner un ordre de prix . grosso modo hein », interaction 3 (99) : « monsieur P. est dans le coin ? ». Le client minimise la menace de sa requête en rendant sa demande d’information moins précise.

Corpus Fournisseurs

Interaction 1 21L qu’est-ce que vous vouliez savoir

22C bah:: un peu les délais . euh:

Interaction 30 8C . voilà . donc j’ai un p’tit problème enfin j’ai deux problèmes…

Corpus Transporteurs (97)

Interaction 7 4C (…) j’aurais aimé avoir un p’tit peu plus d’explications

Interaction 3 12C petite question là tu tu peux pas aller s’il te plaît …

Interaction 17 6S (…) ben j’trouve quelques p’tites trucs . qui euh:

7C quelques

8S (rire)

9C p’tites trucs elle est genti::lle ↑

Corpus Artisans

Interaction 2 8C j’vous appelle pa’ce que donc euh: y a quelques petites choses sur la porte

Interaction 6 6C (…) voilà j’aurais aimé un p’tit renseignement

(…)

54C bon sinon j’voulais une autre petite question

Interaction 8 20C (…) c’était pour avoir un: enfin des p’tites des p’tites à propos d’ce devis en fait

Ainsi, le client peut minimiser sa requête en montrant de l’intérêt pour son interlocuteur, en minimisant le travail/ le temps nécessaire pour réaliser la requête, et même l’objet de la requête en lui-même 196 .

Les désarmeurs (en anglais, disarmers et disclaimers) « permettent aux locuteurs d’anticiper une réaction négative possible de la part du destinataire de l’acte, et de tenter de la désamorcer » (Thomsen, 2000 : 184). Ils consistent entre autres à la reconnaissance du problème, l’appel à l’indulgence, etc. Nous n’avons pas relevé d’exemples de désarmeurs du type « Je ne voudrais pas vous déranger, mais… » dans nos corpus, ce qui semble logique compte tenu du fait que ce sont des interactions commerciales, qui lient les interactants par un contrat (l’un est au service de l’autre).

Les amadoueurs (sweeteners) sont définis, par Kerbrat-Orecchioni (1992 : 220) comme des « douceurs visant en quelque sorte à faire avaler la pilule du FTA », et ce, en essayant de s’attirer les bonnes grâces de l’interlocuteur. Ce chantage aux sentiments peut prendre la forme d’un appellatif familier, même tendre, comme « mon chou », « ma chérie », etc. Nous avons relevé des appellatifs de ce type dans le corpus Fournisseurs, dans lequel nous avons des interactions entre salariés. Cette proximité sur l’axe horizontal leur permet certaines libertés, nous l’avons vu notamment avec l’analyse du script de ces interactions particulières. Toutefois, ces appellatifs n’ont, ici, pas la fonction d’amadoueurs car ils ne sont pas formulés lors de la requête (juste avant ou après), mais durant l’interaction. Nous n’en parlerons donc pas plus en détail ici.

Notes
194.

Terme utilisé pour « préliminaires », énoncés « préparatoires », « préfaces », etc. depuis un article de Schegloff, 1980.

195.

« Nous observons qu’il y a quand même un exemple (le seul) de l’utilisation d’un rapetisseur (en relation avec la formulation d’une requête) dans le corpus de conversations d’affaires. Ajoutons que dans cet exemple, le rapetisseur est produit par une personne qui n’est pas fancophone » (p. 182).

196.

Dans l’Interaction 15 du corpus Transporteurs 97, la client appelle pour une demande de transport de palettes : « ce serait pour avoir un devis de transport, de la palette… c’est très léger mais c’est des palettes 80 x 120 … ».