2.1.1.Les objets de la négociation

2.1.1.1.Le style de l’interaction

Le bon déroulement de l’interaction passe aussi par un accord entre les locuteurs sur le style de l’interaction et sur son type. La forme de l’interaction peut donc être négociée au cours de celle-ci, par les participants, s’ils ne sont pas d’accord sur le style de l’échange. Le ton, le style (formel ou familier, soutenu ou relâché), peuvent être négociés, tout comme le type d’échange dans lequel les participants sont engagés (discussion, bavardage, débat, etc.). Dans le cadre de nos corpus, nous trouvons peu de négociations de ce type, ceci étant dû à la nature même des interactions, et à leur aspect consensuel. En effet, les locuteurs, en s’engageant dans une interaction professionnelle, à distance, s’engagent à respecter un certain format d’interaction, et, de ce fait, ses caractéristiques, qui sont préétablies. ‘«’ ‘ Les partenaires de tout échange verbal doivent-ils s’accorder sur les règles formelles qui régissent le jeu verbal particulier auquel ils prétendent jouer ’ ‘»’ (Kerbrat-Orecchioni, 1984 : 225). Dans les entreprises de nos corpus, les participants n’ont, à priori, pas de désaccords sur la forme de l’interaction. Pour ne citer que l’exemple du vouvoiement, il est de rigueur, et le tutoiement se fait de façon automatique dans certaines situations particulières (dans lesquelles les interactants se connaissent).

Il peut bien sûr y avoir quelques « accrochages » sur la forme de l’interaction, mais ceux-ci se résolvent d’eux-mêmes, sans que les locuteurs aient recours à la négociation. Dans le Corpus Transporteurs (97), Interaction 8, la secrétaire est en négociation sur un prix avec un autre transporteur. Celui-ci prend la négociation du prix très au sérieux, contrairement à la secrétaire qui, elle, la perçoit comme un jeu. Ce désaccord porte sur la « tonalité » de l’interaction, précisément ici de la négociation, ce qui peut être menaçant pour la face positive du client (elle agit comme si elle ne le prenait pas au sérieux).

18C 10 tonnes … il faut calculer quel prix ↑

19C ah fff:

20C vous êtes souvent dans cet 206 coin là ↑

21S tous tous les jours (rires)

(…)

28C ah donc il est 207 pas envie de faire ça hein apparemment hein

29S vous avez vu où c’est Castres ↑

(…)

36C mais qu’est-ce que j’vais foutre là-bas moi. j’ai mon transporteur qui m’occupe de toute la France moi

37S oui (rires) vot- vot’ succursale (rires)

L’appelant semble agacé 208 par le comportement de la secrétaire, certaines de ses interventions réactives le montrent : « il est pas envie de faire ça », « qu’est-ce que j’vais foutre là-bas moi ». Il y a un décalage entre le mode de négociation du client, et celui de la secrétaire, ils ne sont, en plus, pas d’accord sur le prix du transport. Toutefois, aucun désaccord sur le mode de la négociation n’est explicité, chacun s’en tient à la négociation du prix, qui est l’objectif externe de l’appel, et ils parviendront tout de même à un accord.

Dans le même corpus (98), nous avons quelques interactions entre la secrétaire, parlant le français, et des clients étrangers. En règle générale, elle passe aisément du français à l’anglais, comme dans l’extrait suivant (Interaction 6) :

1S Transports B bonjour ↑

2C hello Christo here ↑

3S hello Christo:

4C hello ↑ Michel please

Mais il arrive que la langue parlée par son interlocuteur ne lui convienne pas, et dans ce cas, un processus soit d’ajustement, soit de négociation, se met en place. Dans l’extrait qui suit (Interaction 8, 97), la secrétaire va demander à son interlocuteur de s’adapter à la situation de communication, ce qu’il va faire immédiatement. Il n’y a donc pas négociation mais ajustement du discours, de la langue de l’appelant sur celle de l’appelée :

4C il est là Michel ↑

5S ne quittez pas (rires)

(…)

7S c’est c’est pour quoi↑

8C il se met à parler très vite, en allemand

9S euh bla bla bla…

10C il continue à parler allemand

M dites lui que vous comprenez pas tout (rires)

11S j’comprends pas tout (rire) … allô ↑

(…)

14C oh ça c’est normal ça

Nous venons de voir de quel type pouvaient être les négociations portant sur la forme de l’interaction. Si ces négociations sur la forme sont plutôt rares, en revanche, nous retrouvons plus couramment des négociations sur le contenu, souvent en relation avec l’acte de la requête (demande de service, prix, délai). Le thème et particulièrement l’ouverture d’un thème peut être plus ou moins négocié, ainsi que les signes, et la structuration de l’interaction, ces négociations pouvant venir modifier le rapport de places entre les locuteurs.

Notes
206.

L’appelant est un client allemand, ce qui explique les petites erreurs de français.

207.

Il s’agit ici aussi d’une faute de français.

208.

Il est difficile de savoir si le transporteur est réellement agacé ou s’il est plutôt entré dans le jeu de la secrétaire.