Récapitulation

Nous avons vu que les interactants préservent la relation et tentent d’éviter le conflit au travers de trois types de négociations pouvant être actualisées dans ce type de corpus. Nous avons vu comment le client utilisait ses connaissances de l’entreprise (employés, étendue des services rendus, etc.) pour négocier avec la secrétaire, comment cette dernière empêche ou bien évite la négociation en utilisant la malléabilité de ses rôles comme stratégie.

La secrétaire peut choisir d’entrer en négociation ou non avec le client, que ce soit à propos d’un prix, d’un délai, d’une visite du patron chez le client ou sur un chantier. Ce choix dépend souvent d’une tierce personne, à savoir, ici, le patron. La secrétaire peut entrer dans la négociation avec le client, mais si cela ne fait pas partie de ses fonctions, elle le fait alors sous le regard approbateur de son supérieur, puisqu’il peut la voir de son bureau. Mais la secrétaire peut aussi tout faire pour éviter, empêcher la négociation. Même s’il y a désaccord entre les locuteurs, il ne sera alors pas (ou très rarement) verbalisé par la secrétaire. Elle devra donc « absorber » les critiques et faire des concessions, afin d’éviter le conflit éventuel et de préserver la relation.

Pour ce faire, nous avons pu voir que la secrétaire avait en sa possession différentes stratégies d’évitement, liées à ses rôles et statuts. Elle peut se déresponsabiliser en limitant son rôle. Au lieu de prendre plus de pouvoir, au contraire, elle s’en donne moins : « je ne suis que la secrétaire ». Ceci peut signifier deux choses : d’une part, que ce n’est pas son rôle. Elle jouera alors avec l’étendue de ses rôles et le flou les entourant, en se limitant à celui de standardiste. Mais elle peut aussi jouer sur ses différents statuts pour justifier son non-engagement dans la négociation : « je ne suis que la femme du patron ». D’autre part, cela peut vouloir dire qu’elle n’a pas les connaissances nécessaires. N’étant pas la bonne personne, elle ne peut négocier quoi que ce soit avec le client. La négociation est en quelque sorte « empêchée », du fait qu’elle rappelle au client qu’il est face à la secrétaire et non au responsable de l’entreprise. La négociation est donc ensuite « déplacée », dans le sens où il y a un report de la négociation. La secrétaire ira négocier ailleurs, et plus tard (avec son supérieur).

Si la secrétaire possède quelques responsabilités au sein de l’entreprise, elle peut activer la négociation car elle peut jouer, comme nous l’avons vu, sur plusieurs personnages : standardiste, experte, remplaçante du patron, femme du patron. En effet, en sortant de son strict rôle de secrétaire, elle peut prendre des responsabilités et se placer comme une personne avec qui la négociation désirée peut être développée. D’autant plus qu’à travers ce rôle, la secrétaire peut officiellement prouver une certaine compétence et maintenir son propre pouvoir. Pour cela, il faut bien sûr qu’il y ait de véritables objets de négociation et que les locuteurs ne puissent donc pas vraiment y échapper. C’est le cas d’un prix (parfois d’un délai). Un prix est l’exemple type de l’objet négociable : le client émet une requête dont la réponse sera, il l’espère, positive. Dans ce but, il va argumenter en sa faveur. Cette situation peut entraîner une tension entre locuteurs, même s’ils se connaissent bien. La finalité de l’interaction reste tout de même de parvenir à un accord, pour pouvoir clore l’échange. Ainsi, s’il y a véritable négociation et objet de négociation (prix), afin de relativiser le sérieux, l’importance de la négociation, celle-ci peut se dérouler sur le mode de l’humour, afin de « mieux faire passer la pilule ». La secrétaire va alors transformer la négociation en une sorte de jeu. Toutefois, nous avons vu à travers nos analyses de corpus que ceci n’est en général possible qu’à une condition : le supérieur doit être au courant, si ce n’est présent au moment de la négociation. La négociation peut être résolue de deux façons : soit par le ralliement de l’un à la position de l’autre, soit par le compromis. Si la secrétaire ne veut pas contrarier le client, et que ni lui ni elle ne peuvent trouver un compromis, la secrétaire va accepter de se rallier à la position de son client. Ainsi, elle évite la négociation et la possibilité d’une mésentente entre eux.

Nous avons pu voir qu’au sein des PME, les secrétaires pouvaient remplir différents rôles : standardiste, assistante de direction, remplaçante du patron, liés à des statuts variables (épouse du patron…). Si certaines secrétaires, comme celle de l’entreprise Artisans, ont une grande responsabilité au niveau relationnel 234 ce qui laissera supposer au client qu’elles ont un pouvoir de décision, de persuasion aussi sur le patron, d’autres secrétaires, dans d’autres entreprises (Fournisseurs), n’ont qu’un faible pouvoir de décision ou de modification des événements. Le client, le sachant, ne tente pas de négocier un service ou un prix. La secrétaire possède ainsi plusieurs places, sur lesquelles elle peut jouer pour maintenir de bonnes relations avec le client, mais aussi pour préserver le patron et ne pas trop engager l’entreprise. Ces différences de comportements sont principalement liées aux relations qu’entretiennent les secrétaires avec leur supérieur : relations dans l’espace, qui favorisent la proximité ou au contraire la hiérarchie, relations humaines (complicité vs distance) 235 et, de la même façon, à celles qu’elles entretiennent avec le client (complicité - la secrétaire copine - vs distance).

Dans tous les cas, chacun des participants à l’interaction ne peut oublier qu’il est dans une relation de service. De ce fait, éviter le conflit et préserver la relation sont des objectifs primordiaux (d’autant plus que les deux parties, client et entreprise, sont susceptibles de retravailler ensemble). Le consensus est recherché, le principe de l’accord est privilégié. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’évitement de la négociation est l’attitude préférée des secrétaires 236 . L’analyse approfondie des corpus nous a montré que les interactants, par le recours aux rituels de politesse linguistique, à l’humour, et régulièrement au mensonge 237 , entretenaient finalement de bonnes relations de travail.

Notes
234.

Le patron lui laisse en effet le contact avec le public.

235.

Nous avons un exemple (Fournisseurs) de secrétaires proches (relation horizontale) de leur supérieur tout en étant bien séparés dans l’espace (relation verticale marquée).

236.

Et le ralliement à la position du client, quand la secrétaire n’a pu faire autrement.

237.

Nous pourrions utiliser ici le terme de « mensonge social », terme emprunté à C. Javeau. Voir par exemple l’interaction 8, corpus 99, dans lequel la secrétaire ment de façon naturelle sur la présence de son patron :

15S alors attendez il a du l’mettre de côté (un devis) pa’ce que j’crois qu’on avait eu vot’mari plusieurs fois au téléphone.. alors euh: attendez je je lui d’mande où il l’a mis pa’ce que j’l’trouve pas rangé dans mes dossiers… attendez une seconde
41S .. oui j’pense que ça doit être possible mais bon: faudrait l’demander à monsieur P. euh: il est pas là tout de suite i’s’ra là qu’en fin de journée mais euh:: à priori ça doit pas poser d’problème hein

Dans cet extrait, la secrétaire dérange le patron pour lui demander où est rangé un dossier (l’interaction ne peut se poursuivre si elle ne trouve pas ce dossier). Par contre, elle ne le dérangera pas une deuxième fois pour lui demander s’il accorde à la cliente un service spécial (poser une fourniture achetée ailleurs, à un prix moindre). Elle préfère probablement lui demander ce service au calme, et non dans l’urgence de donner une réponse à une cliente, attendant à l’autre bout de la ligne