2.Mise en perspective de la recherche

Dès la collecte des premiers corpus, nous avons choisi de traiter les corpus, non comme appartenant à un seul gros corpus composé de sous-corpus, mais de les traiter comme quatre corpus différents, et de les présenter de façon individuelle, en fonction du site et de la situation dans lesquels ils avaient été recueillis. Cette perspective de travail nous a ainsi permis d’établir des parallèles et des contrastes, de faire des comparaisons entre ces différents corpus. Le critère permettant de distinguer les corpus fut la taille de l’entreprise (nous avons séparé la très petite entreprise de la petite et de la moyenne entreprise), et le type de biens vendus au sein de l’entreprise. Il semble toutefois que la taille de l’entreprise joue un rôle plus important dans le fonctionnement de l’entreprise et dans le déroulement de ses interactions que le type de bien vendu et de service rendu au sein de de l’entreprise. En effet, le script des interactions ne connaît que peu de variations d’une entreprise à une autre, et ces variations semblent être plutôt dues à la taille de l’entreprise. En effet, les rôles des secrétaires sont différents sur certains points d’une entreprise à l’autre, ces différences étant dues aux relations entretenues avec le patron, avec les clients, mais aussi aux contrats des secrétaires, elles sont donc directement liées à la taille de l’entreprise. Mais nous ne reviendrons pas sur ce point que nous avons déjà traité auparavant. La comparaison des différents corpus nous a aussi permis de dégager, grâce au nombre important d’interactions, des régularités dans le déroulement des interactions, et nous a entrainée vers la formulation de nouvelles questions, vers de nouvelles pistes de recherche.

Nous reviendrons ici sur deux points qui, nous semble-t-il, méritent que nous nous y arrêtions de nouveau, il s’agit de la spécificité des interactions téléphoniques, et de la spécificité du parler féminin, c’est-à-dire de la question du gender. Ces deux points, bien que développés dans ce travail de thèse, posent en effet d’autres problèmes, de nouvelles questions, que nous allons aborder ici.

Notre mémoire de maîtrise, qui propose une analyse des séquences d’ouverture et de clôture dans les interactions de travail, est construit autour d’une comparaison entre le style communicatif d’une secrétaire formée à l’accueil téléphonique (et à l’interaction téléphonique dans sa globalité) et celui de secrétaires non formées à l’interaction à distance. Nous nous sommes demandée alors s’il y avait un modèle d’interaction de travail « idéale », mais nous avons finalement pu observer, en analysant les interactions enregistrées dans des entreprises de types différents, que chaque entreprise a son style communicatif propre, avec toutefois certaines récurrences observables d’une entreprise à l’autre.

Quel que soit le style communicatif de l’entreprise, la connaissance du script par le client, tout comme l’ignorance de celui-ci, peut modifier le déroulement de l’interaction. La verbalisation du script de l’interaction par la secrétaire va lui permettre de catégoriser rapidement l’appel du client, donc de gagner en clarté et en temps, et va permettre à celui-ci de savoir ce qu’il doit dire et à quel moment. Ceci sera d’autant plus efficace si l’appelant n’est pas encore client de l’entreprise, mais simplement un client potentiel, s’il est client mais n’a jamais ou rarement eu de contact téléphonique avec l’entreprise, et enfin si l’appelant est de nationalité étrangère. Nous avons vu en effet que les appelants étrangers ne se comportent pas de la même façon que les appelants français, et ceci peut être une source de malentendus.

Nous pouvons donc facilement imaginer l’utilité d’une description détaillée et d’une analyse des interactions verbales se déroulant au téléphone entre l’entreprise et les clients. En effet, la description des interactions, notamment des rituels de politesse, de l’acte de requête, de la négociation, etc. se fonde sur des méthodes précises telles que l’observation des situations de communication, les enregistrements, la transcription et l’analyse de données. Ces analyses, fondées sur des corpus d’interactions authentiques, peuvent intéresser les entreprises, et cet intérêt soulève certaines questions, fomulées par Sophie Pène et les autres membres du groupe de recherche Langage et Travail :

‘Quelles finalités à ces recherches ? Qu’apporte aux sujets eux-mêmes la connaissance que le chercheur produit et restitue ? Peut-on empêcher - ou souhaiter - que des descriptions deviennent des préconisations ? Que faire quand la description de la complexité a pour horizon l’amélioration de la productivité ? (2001 : 16)’

Il nous semble dangereux et prétentieux de proposer aux entreprises une « bonne façon de communiquer » avec le client (communication externe) et avec les autres salariés de l’entreprise (communication interne), d’autant plus que chaque entreprise a, comme nous l’avons déjà souligné, son fonctionnement propre, ses caractéristiques propres.

Par contre, l’analyse des interactions verbales au téléphone peut permettre aux entreprises de résoudre certains problèmes, de répondre à certaines questions, telles que : Quelle image de l’entreprise est véhiculée par le biais du téléphone, pourquoi, est-ce l’image que l’entreprise souhaite véhiculer, comment résoudre les problèmes de mauvaise communication (interne et externe), etc. L’analyse des interactions verbales peut aussi permettre aux entreprises de vérifier, à partir d’interactions authentiques, la justesse des conseils fournis par les sociétés de conseil dans leurs formations à la communication téléphonique.

Enfin, la description des interactions verbales dans l’entreprise peut aider le locuteur étranger à comprendre le fonctionnement de l’entreprise française. En ayant un aperçu du déroulement des interactions téléphoniques avec une entreprise et du fonctionnement de l’entreprise dans sa globalité, le locuteur étranger peut alors adapter son comportement langagier au type d’entreprise avec lequel il est en contact, et être ainsi plus à l’aise durant l’interaction.

Nous avons choisi de nous engager dans l’étude du rôle du gender dans les interactions, sans nous douter au début que cette étude était une étude sans fin.

La littérature dans ce domaine est très diversifiée (conversations familières, interactions de travail, discussions entre étudiants, etc.) et les résultats obtenus ont permis d’admettre qu’il existe effectivement un style communicatif propre aux femmes, c’est-à-dire que les femmes manifestent, de façon collective, des tendances, des préférences discursives. Toutefois, la diversité des études sur le genre a aussi entraîné des divergences 242 entre les chercheurs, portant sur l’ampleur et l’interprétation des différences observées entre le genre féminin et le genre masculin.

C’est l’interprétation que nous pouvions faire des variations observées dans nos corpus qui nous a surtout posé problème lors de notre analyse. En effet, les variations entre hommes et femmes ont été et sont encore aujourd’hui l’objet d’interprétations diverses, ce qui rend les observations faites à partir d’un corpus difficilement généralisables. Nous avons ainsi vu que les recherches ont eu, sur le style féminin, une vision positive ou négative, ce qui modifie les interprétations que les chercheurs peuvent faire de leurs données.

Pour notre part, nous avons suivi le courant actuel qui explique les particularités du style féminin en les reliant aux rôles et activités qui sont réservés aux femmes dans la société. Nous sommes arrivée à la conclusion que « certain features of " women’s speech " considered to be markers of sex-role-stereotyped activities  » (Scherer et Giles, 1979 : 55). C’est donc bien l’élaboration sociale du sexe, le « genre », qui est pertinente dans le discours.

C’est donc en collectant un grand nombre de données dans différents types de situations que nous pourrons éviter toute généralisation abusive et toute erreur d’interprétation. C’est justement ce qui nous a posé problème lors de l’analyse de nos corpus. Nous n’avons pas pu dissocier systématiquement ce qui tenait du genre des interactants de ce qui tenait de leur rôle. Nos corpus ne proposaient pas tous les cas de figure : Nous avions des interactions Secrétaire Femme – Client, Secrétaire Femme – Cliente, Patron Homme – Client, Patron Homme – Cliente, mais nous n’avions pas ni d’interactions avec un Secrétaire Homme, ni avec un Patron Femme. Si nous voulons décrire de façon précise et pertinente les caractéristiques propres au rôle de secrétaire et celles propres au genre féminin, il faudra donc constituer un nouveau corpus constitué d’interactions entre un secrétaire homme et des clients et clientes, ce qui est loin d’être évident puisque plus de 90% des secrétaires sont des femmes… Mais le jeu en vaut la chandelle, compte tenu de tous les stéréotypes qui continuent de circuler autour de nous, que ce soit dans le domaine de la publicité, des jeux pour enfants, dans une certaine presse, etc.

Notes
242.

Les études portaient sur des sujets trop différents pour montrer des régularités dans le comportement féminin, valables pour le genre féminin.