1-Abord thématique :

Présentation du premier temps d’analyse des processus graphiques chez des adultes déficitaires : une première sériation des processus en présence

Je reprendrai et insisterai quelque peu sur ce travail initial de D.E.A., premier temps de la thèse, pour la raison que sa prise en compte me semble nécessaire afin de saisir l’ensemble de l’actuelle démarche.

Dans ce premier travail, j'ai proposé de considérer les traces graphiques, déposées par des patients adultes psychotiques déficitaires et autistes pris en charge dans le cadre d’un atelier peinture-dessin à visée thérapeutique, comme des représentants psychiques. En tant que telles, ces traces seraient révélatrices, pour chaque sujet du groupe et de façon diachronique ou/ et synchronique,

  • d’une auto-représentation de soi et de son image corporelle,
  • d’une figuration des mouvements groupaux et de la dynamique groupale,
  • et enfin d’une représentation de la dynamique pulsionnelle hic et nunc.

A ces principaux marqueurs, s’actualisant dans le registre moteur par le biais de la trace graphique, j’ai également introduit une dimension génétique en sériant trois représentants d’un mode de relation au monde 1 . Ces représentants archaïques , selon la formulation que j’en proposais, étaient alors les suivants :

  • Le pictogramme (P. Aulagnier, 1975)
  • Les signifiants formels (D. Anzieu, 1987)
  • Les représentants spatiaux et architecturaux (G. Haag, 1998)

Afin de cerner les raisons de leur présence dans des processus graphiques issus de personnes adultes, je les ai ensuite fait dépendre de points de fixation survenus dans une période précoce, survenue lors de la phase du narcissisme primaire. Chaque sujet était ainsi plus ou moins traversé par l’un ou l’autre de ces trois modes d’entrée en contact avec le monde (interne et externe). Selon mes hypothèses, chacun de ces points de fixation se faisait donc indicateur d’un certain rapport au soi ( par le biais de l’image du corps en particulier), au groupe (biais de l’altérité et de l’intersubjectivité) ainsi qu’à la dynamique pulsionnelle du moment. Toutefois, la prédominance de l’un n’excluait pas totalement l’existence des autres.

Pour appuyer ces hypothèses, ma démarche méthodologique consistait en une recherche de caractéristiques spécifiques (au point de vue économique et dynamique) propres à donner un contenu phénoménologique et psychodynamique à ces représentants archaïques. Pour ce faire, je me suis appuyé sur les différents concepts théoriques développés par leur créateur. Une fois clarifiés les modes d’émergences de ces indicateurs processuels j’ai recherché, dans l’optique qui était la mienne, leur mode d’apparition sur la feuille de papier. Mon cadre était un atelier peinture- dessin organisé toutes les semaines avec une psychomotricienne auprès de cinq sujets à pathologie déficitaire. Trois phases en cernaient le dispositif : une phase de retrouvaille des peintures / dessins effectués lors de la séance précédente, celle-ci s’accompagnait d’un temps de parole individuel ; une phase de production groupale autour d’une feuille de papier unique avec pour consigne totalement ouverte de faire des dessins ou de la peinture ; une dernière phase où il était demandé à chacun de commenter sa production devant le groupe.

A partir de cette base, j’en suis arrivé à repérer trois principaux produits graphiques issus de ces trois représentants essentiels. Je sériais alors ces indicateurs, ou produits graphiques, de la sorte :

Arrivait en premier lieu l’empreinte, issue du pictogramme, elle présente une structure graphique le plus souvent ramassée, compacte et informelle. La peinture, permettant un flou avec et dans les limites, elle me paraissait pouvoir y accéder plus facilement,

Venaient ensuite les traces déliées, marquant une première forme d’extériorisation ou de mouvement vers autrui

Puis enfin les formes abstraites, dont figures géométriques, puis formes codifiées.

Ces différentes traces graphiques marquaient pour moi la prévalence d’un processus s’imposant dans le système psychique en fonction de points de fixation. J’étais alors en mesure, en étayage sur cette méthode de sériation génétique, de relier les phénomènes observés dans ma clinique à ces représentants archaïques.

J’avais ainsi à ma disposition une échelle génétique propre à diagnostiquer les points de fixation pouvant faire retour dans les traces graphiques. De ces produits graphiques et des concepts théoriques attenant aux trois représentants choisis, je pouvais alors décrire les principaux mécanismes cliniques suivants :

  • Pour les points de fixation essentiellement issus de la zone originaire, ou du pictogramme, je constatais dans le rapport du sujet au groupe et à ses outils graphiques (la peinture essentiellement), une influence de cet ensemble, fonctionnant comme zone complémentaire sur le sujet ; une préséance du registre autosensuel sur le registre interrelationnel ; une problématique corporelle marquée par l’inscription d’un informe (vécu en terme d’image du corps), le besoin d’un objet métonymique pour faire vivre le groupe (par fonctionnement sur le registre de la contiguïté ou encore de l’équation symbolique), et enfin une dynamique pulsionnelle marquée par des effets tourbillonnaires pouvant toutefois se défléchir lors d’interaction ; l’effet tourbillonnaire, essentiellement centrifuge, semblant alors se désenrouler.
  • Dans le cas du second représentant (signifiant formel), je trouvais chez certains sujets du groupe l’existence d’une structure psychique à enveloppe instable marquée sur le registre graphique par des mouvements d’aller-retour vers les autres caractéristiques d’une recherche d’extension et de rétrécissement de l’enveloppe psychique, marquant une image de soi encore très fortement dépendante de l’environnement, ce qui entraîne, sur le plan auto-représentationnel et de la dynamique pulsionnelle, l’existence d’un soi symbiotique relié affectivement aux objets. A partir de là, je proposais que ce second représentant comportât plusieurs mouvements idiosyncrasiques propres à chaque sujet. Ces mouvements spécifiques s’exprimaient ainsi à leur façon en fonction des rapports de contiguïté du sujet avec ses objets, le groupe devenant en quelque sorte miroir du soi.
  • Enfin, dans le troisième cas, j’entrevoyais que la particularité des représentants architecturaux et spatiaux passait dans une position défensive marquée par la recherche d’appuis sur les éléments du cadre proposé. Cette étape avait comme nécessité sur le plan auto-représentationnel une construction de limites internes / externes pour éviter de se perdre dans un fond sans fin, une nécessité constante de se reconstruire une cuirasse, une défense face au groupe externe, une construction d’un « fond maternel nécessaire » selon l’expression de J. Guillaumin (1999), une nécessité de durcissement de la surface corporelle dialectisée sur la feuille au travers de ses traces. Toutefois, dans une vision optimiste, je considérais ce processus comme encourageant. Je partais ainsi du principe qu’un accompagnement propice devait ainsi permettre une réelle utilisation de l’objet (essentiellement non vivant), étape nécessaire pour une construction concomitante ou ultérieure d’une « charpente interne » selon le terme de D. Houzel (1985).

Une deuxième hypothèse de travail, plus directement basée sur les rapports entre les membres du groupe, m’a permis, fort des hypothèses précédentes, d’identifier des fonctions phoriques antérieures aux principales fonctions, plus névrotiques, développées par R. Kaës (1994). J’ai ainsi développé la notion de porte-inertie, issue d’un lien privilégié avec le pictogramme, et le porte-cadre, plus centré autour du représentant architectural et spatial. Le premier était doté d’une inertie et d’une force de rotation centripète nécessaire pour se départir du groupe, le second était caractérisé par un mode relationnel plus ferme et rigide menant à une nécessaire emprise interne / externe (puisque apparaissant dans les traces graphiques) sur le cadre.

Ces deux référents d’une fonction phorique n’étaient pas porteur d’éléments fantasmatiques, basés sur l’identité de pensée, mais plutôt d’éléments essentiellement anté-fantasmatiques 2 et défensifs. Il s’agissait alors pour eux de servir de modèles inconscients, dans leur contingence bipolaire, aux autres membres du groupe, modèle pour échapper à ce que D. Anzieu (1975) a appelé « fantasmes de casse » ou, pour le dire autrement puisque le mot fantasme me semble ici impropre, pour lutter contre des angoisses d’annihilation.

L’utilisation prédominante d’un représentant archaïque permettait alors, soit sur un mode fusionnel, auto-sensuel et auto-référencé, soit sur un mode plus intermédiaire, marquant une pulsion d’emprise centrifuge plus périphérique, d’avoir la mainmise sur un dehors angoissant de façon à s’en faire un dedans. En reprenant les principales hypothèses concernant les enveloppes psychiques, je postulais qu’il y avait dans les deux cas utilisation du feuillet externe (pare-excitateur) à des fins défensives. Si dans le cas du premier (pôle mou de l’atelier) il s’agissait de laisser pénétrer la matière psychique externe en la rendant malléable, de type pâte molle, dans le second, le processus consistait au contraire à renforcer ce feuillet (pôle dur).

Dans le fond, peut-être ont-il tous deux cherché à leur façon à créer une forme primaire d’illusion groupale (dans un but essentiellement défensif) ? Je rappellerai la conception de D. Anzieu à ce sujet : « Le couple antagoniste illusion groupale- fantasme de casse constitue le ressort dialectique fondamental de la vie inconsciente des groupes. » (p 125). La notion de pulsion d’emprise, développée par A. Ferrant (2001), me semble en tous cas pouvoir être utilisée ici.

Je terminais enfin ce travail par plusieurs questions, la première concernant l’aspect thérapeutique que je n’avais encore pu déterminer par écrit. Je concevais ainsi n’avoir réalisé jusqu’alors qu’un premier pas, sériant ainsi des concepts dans le but d’une première mise en représentation personnelle de la complexité du champ théorico-clinique abordé. Je me reprochais aussi de n’avoir pas fait suffisamment d’économie de concepts, et j’en arrivais à proposer que le signifiant formel représentât peut-être, sur le plan théorique et clinique, la pierre angulaire de cette recherche, en tant qu’il traverse tous les stades du développement psychique jusqu’à la capacité à créer des scénarii fantasmatiques. J’en terminais par le double constat de n’avoir pas suffisamment abordé dans cet écrit la question transféro-contre-transférentielle dans la prise en compte des processus observés et de ne pas m’être suffisamment penché sur la dimension historisante .

En définitive, je compte dans cette thèse faire un retour sur les éléments apportés dans ce premier travail, redéfinir la problématique, rajouter des hypothèses. Mais j’établirai surtout, en arrière-fond, un retour sur les théories qui guidaient cette approche, je souhaite ainsi affiner la logique des processus en présence ainsi que leur fonctionnement. Ces réflexions partent de la nécessité d’un nouveau questionnement avec une trame de fond, un questionnement qui prenne mieux en compte la problématique des patients ou des peintres abordés dans cette thèse afin de mieux saisir, de saisir de façon plus spécifique, leur création ou leur impasse créative.

Il nous faut à présent circoncire notre problématique. Je propose de le faire en centrant la démarche autour des questions posées suite à cette première approche. Nous étudierons les points d’affirmation et d’infirmation entrepris à partir de nos recherches ultérieures afin de retravailler cette problématique dans un champ clinique et théorique en partie un peu plus « éclairé ».

Notes
1.

Je préfère provisoirement utilisé cette expression, faute de l’existence, dans ces périodes précoces, de relation d’objet véritable.

2.

Expression que je propose suite à celle d’anté-Oedipe, concept apporté par P.C. Racamier. (1992)