Traces graphiques comme mémoire actualisée de vécus et traumatismes initiaux

Je reprendrai à présent des éléments proposés par A. Anzieu(1996) dans son approche historique de l’analyse des dessins d’enfants. Sophie Morgenstern y est présentée comme une pionnière en la matière. Dans les années 20, elle apporte un crédit particulier à cette technique et lui confère un statut de miroir des conflits inconscients. Cependant, cherchant essentiellement à détecter le traumatisme initial, comme Freud le fit dans sa première théorie de la séduction, elle ne voit dans les dessins que des répétitions des scènes familiales et ne prend pas en compte la situation transféro-contre-transférentielle sous-jacente. La trace se fait alors témoin d’un vécu ancien, devient alors représentante de vécus traumatiques.

Toutefois, si l’analyse est pertinente, l’approche thérapeutique de cette auteur est critiquée par A. Anzieu. Par manque d’une conscience suffisante de la dimension contre-transférentielle, S. Morgenstern opère à un glissement vers des formes de jugement et de répétition surmoïque traumatique à l’encontre de son jeune patient. Dans une moindre mesure, je pense en avoir fait de même en attribuant à Laurent une fonction phorique (porte-inertie) étayée en grande partie par la dynamique contre-transférentielle.

Sur le plan théorique en revanche, cette façon de considérer le dessin a toutefois été suivie sur ce point précis d’une réactualisation des traumatismes. Je citerai à cet effet les travaux de M. Gagnebin (1988). Celle-ci fortement inspiré de D. C. Winnicott, insiste sur le retour des agonies primitives en particulier en peinture. Elle détecte ces agonies et leurs corollaires (les angoisses catastrophiques) chez des peintres contemporains. Sa thèse étant que celles-ci seraient camouflées dans ces oeuvres derrière des procédés techniques ayant une fonction pare-excitante. Ces derniers représenteraient alors des procédés rationalisant contre le retour d’un effondrement qui se serait déroulé dans le passé, à une époque très précoce. Ces peintres des agonies primitives sont pour elle en deçà des processus transitionnels. Si ces thèses ouvrent sur une dimension historique, dimension que nous discuterons plus loin sur un registre purement métapsychologique, un aspect de mon travail initial me paraît en concordance avec elles : il s’agit de cette faculté donnée à la peinture à renvoyer sur les registres les plus archaïques, voire de l’utiliser pour exprimer des contenus internes douloureux.

Nous reviendrons sur ce point. Concernant ce retour sur une dimension archaïque, je citerai à présent l’approche d’A. Brun (2001, 2002). Dans la veine des travaux de P. Aulagnier, elle perçoit le travail de la peinture chez des personnes psychotiques et autistes comme propice à l’émergence du registre originaire. Puisque ce chapitre a pour thème les confirmations trouvées chez des auteurs, ma conception de l’empreinte issue de l’expériences des pictogrammes en représente un bon exemple. Sur le plan de la réactualisation d’expériences archaïques et notamment corporelles, A. Brun insiste aussi sur la création de formes et le choix de couleurs en lien avec ces vécus corporels. Je la rejoins pour témoigner que la peinture, de par sa texture, sa liquidité, son épaisseur, sa couleur reflète certaines parties de celui qui l’utilise dans les relations sensorielles qu’il entretient avec elle.

Je nuancerai en revanche à présent le fait que le pictogramme, infigurable à l’origine, puisse le devenir tel quel à partir du support graphique. D’autres phénomènes rentrent en jeu durant la séance et il semble difficile de penser qu’une mémoire passée resurgisse sans transformation. Si pour A. Brun le signifiant formel se lit dans les traces, il est néanmoins essentiellement corrélatif d’une pathologie précise et évolue peu. Je le conçois pour ma part différemment. Le signifiant formel est aussi un objet dynamique qui doit pouvoir se retravailler et évoluer au cours des séances.

Dans le cas clinique que l’auteur en propose, Adrien, un jeune enfant psychotique, marque quelques avancées sur le plan de l’accès à la tridimensionnalité. Néanmoins, il arrive que des dérapages surviennent, s’accompagnant de retour d’angoisses plus archaïques. Il lui est ainsi arrivé d’utiliser une grosse épaisseur de peinture pour la fixer sur la feuille, et ce dans le but défensif de se construire une sorte de barrière protectrice pour éviter de se sentir aspirer vers le fond, chuter dans le vide. Il y a là non seulement quelque chose qui revient du passé mais également un vécu qui se joue dans une relation à la fois intersubjective au sens de M. Pinöl-Douriez (1984) 7 , ce que je rapprocherai du syncrétisme. Une intersubjectivité basale est à l’œuvre ici entre le sujet dessinant, l’autre (le référent) et la matière. Cela, A. Brun le conçoit sans insister toutefois sur le fait que quelque chose de syncrétique se déroule, redessinant ainsi les frontières de chaque participant.

Je reviendrais sur ce point par le biais de l’article de J. Doron (2000). L’introduction de la dimension sensori-motrice dans l’acte de peindre est alors certes intéressante en cela qu’elle peut réactiver des traces perceptives non symbolisées mais à mon sens elle ne va pas sans la prise en compte de ce rapport syncrétique. L’émergence d’un bonhomme dans la peinture n’est donc pas non plus à prendre dans un registre développemental, incluant une notion positiviste, mais dans le lien actuel en terme de transfert, de contre-transfert et en ce qui concerne mon atelier, d’inter-transfert.

Notes
7.

Dans un syncrétisme, en-deçà de la position subjective et intersubjective introduite par R. Kaës dans ses travaux sur le groupe et le sujet du groupe.