Dimension génétique, développementale

G. Haag est ensuite l’auteur sur laquelle A. Anzieu s’attarde le plus. M’en étant également inspiré dans mon DEA, je reprendrais ici ses principaux travaux sur les traces graphiques en les commentant, les rapprochant ou les éloignant de mes écrits.

Je m’étais en fait beaucoup imprégné de son article de 1990, portant sur l’analyse des traces préfiguratives, dans lequel elle insiste sur le lien entretenu entre la trace et les acquis ou défaillances psychocorporelles de celui qui dessine. Les traces primitives sont ainsi révélatrices des structures rythmiques des premiers contenants psychiques. Selon A. Anzieu, ceux-ci trouvent alors, dans les matériaux nécessaires à composer les traces, un premier support de représentance propre à transformer la pulsion en émotion (plus secondarisée et plus apte à favoriser une approche relationnelle). Ce texte m’avait amené à rechercher, chez cette auteur, ces premières manifestations psychocorporelles (telles que le clivage vertical, horizontal, les identifications corporelles, etc…) afin de tenter de déceler leur réactualisation dans les traces.

J’avais alors surtout orienté ma recherche autour des représentants architecturaux et spatiaux définis par G. Haag (1998) comme des structures rythmiques (fonctionnant en projections et introjections) se basant sur un tout premier niveau de représentations, ayant pour but la construction de l’enveloppe corporelle, des différents axes du corps et se manifestant sous forme d’allées et venues continuelles entre une représentation confuse de soi et des objets matériels environnants (corps, murs, éléments mobiliers, objets géométriques). L’extérieur, avec les formes géométriques qu’il propose, doit alors servir selon cette conception, à permettre une construction du moi corporel. Il ne s’agit donc plus uniquement de se donner des formes pour transformer ses pulsions en affects partageables (notion transféro-contre-transférentielle) mais bien aussi de se créer un espace intérieur. L’exemple de Salem en représente un cas princeps. Cela dit, la présence contenante de l’autre, du thérapeute, amènerait bien entendu un plus considérable que G. Haag entrevoit en terme de tridimensionnalité ou de capacité à sortir du bidimensionnel, des formes géométriques aplaties 8 .

Cependant, les traces qui préfigurent cette capacité sont essentiellement des traces, si ce n’est systématiquement codifiées et partageables selon l’expression que j’en proposais, tout au moins géométriques. Qualifiant dans mon DEA les formes antérieures (sur le plan génétique) soit comme des empreintes primitives, soit comme des traînées témoignant, sur le plan formel, des relations précoces (signifiants formels), je n’avais pas encore d’appuis conceptuels connexes. Or, dans l’un de ses textes ultérieurs, G. Haag (1994) m’a permis de mettre d’autres mots sur ces formes. Postulant l’existence de deux fonds principaux dans les dessins d’enfants, elle conçoit le premier comme un fond primaire d’indistinction mère-nourrisson et le second comme un fond permettant un détachement progressif.

Le premier fond (environ vers 18 mois) contient les formes non figuratives suivantes : balayages rythmiques simples, pointillages et formes spiralées. Le balayage rythmique simple implique une « expérience en identité adhésive » faisant jouer des « émotions primaires dans un plan de surface commune ». Ce premier balayage se matérialise par un remplissage de la feuille. Une seconde forme de balayage rythmique est formé d’étalements et de balayages en dents de scie, il induit déjà un rapport à l’objet marqué par une manifestation agressive prenant des formes défensives ou agressives. Le pointillage qui en est consécutif marque lui aussi une expérience affective avec l’objet : pénétrance, pénétration dans le regard en sont les formes phénoménologiques. Cela peut introduire également des premières expériences de contours et limites. L’arrivée des formes spiralées (entre 2 ans et 2 ans et demi) est révélatrice d’une ouverture sur la voie de la troisième dimension, de l’espace, de la séparation et de la possibilité concomitante de rencontre avec l’autre, notamment lorsque ces spirales partent du centre pour aller vers la périphérie.

Viennent ensuite ce que G.Haag appelle les « structures radiaires de contenance  », elles prolongent en quelque sorte le décollement de ce premier fond relativement indifférencié par accolement des pré-représentations entre elles. Ces structures radiaires servent à affronter le vide, le séparé, voire la séparation en donnant des contours et en formant des représentations-choses plus stables là où celles-ci étaient encore sans contours, floues. Des rayons placés autour d’un centre représenteraient ainsi une première symbolisation de par la représentation des attaches internes du squelette mais également de la liaison des pensées naissantes. Les structures radiaires, de par la création d’objets internes, vont favoriser la constitution d’un deuxième fond. Celui-ci se repère essentiellement par la création de lignes de clivage vertical haut/bas, terre/ ciel permettant la production d’un espace intermédiaire pouvant non seulement accueillir ce que j’ai appelé les constructions codifiées, telles que figures humaines, animales et architecturales mais représentant également un sujet pris entre deux instances parentales (agonistes ou antagonistes).

Ces points de vues plus développementaux, si ils permettent d’étiqueter et sérier les productions issues des signifiants formels en balayages rythmiques, pointillages et formes spiralées, confirment en partie mon hypothèse d’une empreinte comme remplissage d’une surface en adhésivité au groupe (celui-ci formant la zone complémentaire sur laquelle agit la pulsion d’emprise). Je dis pourtant « en partie » car, si nous reprenons le cas de Laurent, ses empreintes se réalisent en formes concentriques partant du centre pour s’élargir en périphérie, rappelant la spirale. J’avais certes rapproché dans mon DEA ce graphisme en spirales de phénomènes internes vécus par la plupart des autistes selon D. Houzel (1985) mais n’y a-t-il que des aspects structurels à repérer au travers de la description de G. Haag ?

En fait ces formes, que je pensais initialement plus ou moins exemptes de conflictualité, pourraient être révélatrices, en rapprochant les caractéristiques inhérentes aux balayages rythmiques et aux spirales, d’une capacité déniée d’atteindre la tridimensionnalité, la relation à l’autre. L’empreinte serait marquante d’une forme de destructivité seconde des capacités de liaisons. Elle aurait donc une fonction défensive. Laurent fuit le groupe et les fantasmes de casse qu’il véhicule, s’en défend en l’incorporant dans son empreinte (voir quatrième partie).

L’accumulation de peinture sur un seul pôle de la feuille, fût-il élargi en périphérie, pourrait ainsi indiquer une fuite de ce groupe, fuite prenant appui sur une focalisation sur un espace restreint. A. Anzieu et S. Daymas (1996) dans leur article « Dessin et psychose », notent que la surface stable d’une feuille de papier représente à elle seule fiabilité et présence de l’analyste (ou en l’occurrence ici de notre capacité contenante et de notre fonction d’attention). Toute agressivité orale et anale peut alors s’exercer sans crainte de détruire l’objet. Toutefois cet espace investi n’a pas qu’une fonction défensive, les sourires de satisfaction de Laurent nous le prouvent, il est aussi, selon les mêmes auteurs, une surface de peau sur laquelle peuvent s’étayer les sensations.

Ces vues signent un en-plus de compréhension qui nous fait mieux saisir pourquoi, si Laurent est capable de dessiner par ailleurs, il ne le fait pas ici et ne choisit que de la peinture. Tout comme le cadre (concept initial d’atelier peinture) est inducteur, le groupe induit également un comportement. Cela dit, cette inclusion de nouveaux indicateurs, que nous considérons en terme dynamique plutôt que génétique, n’a pas empêché qu’un travail symbolique (ou pré-symbolique) se fasse. Les fonctions défensives et sensorielles se sont associées aux fonctions symboligènes. Ces dernières, dans le travail d’A. Anzieu et S. Daymas (1996), s’expriment, dans la trace graphique laissée par le psychotique, par la possibilité d’inscrire dans l’espace de la feuille, de façon quasi symbolique, quelque chose d’inscrit corporellement.

Ainsi les contenus du corps peuvent-ils trouver des première formes, premières représentations. Laurent, dans ses traces marrons, anales, nous montre-t-il dans son rapport transférentiel quelque chose d’une maîtrise anale ? Quoi qu’il en soit, il y a déjà là une première mise en travail, les efforts fournis pour effectuer ses cercles concentriques en témoignent.

Afin de poursuivre sur notre construction théorique autour du concept d’empreinte, il nous faudra à présent rajouter quelques paramètre supplémentaires. Pour reprendre les théories plus génétiques et structurales de S. Tisseron (1994) les schèmes d’enveloppes, formant sur le papier des traces-contacts, sont issues d’un tout premier niveau graphique et marqueraient l’établissement de la fonction psychique contenante là où les schèmes de transformation, formant les traces-mouvements, vont au-delà de cette fonction, se dirigeant vers l’autre. Dans les deux cas, ces traces sont dites primaires en cela qu’elles comprennent ce que G. Haag a déjà pu observer, c’est-à-dire des points, des formes incluses, des spirales et des aller-retour. Les traces secondaires quant à elles ne sont plus typiquement sensori-motrices mais mises en scène visuellement, ce qui va permettre une constitution de scénarii fantasmatiques.

Notes
8.

J’apporterai des éléments complémentaires à cette constatation en partie IV (7-2-5) par rapport à la constitution de l’espace du double telle qu’O. Moyano la propose.