5-7- Sur la découverte tardive de prédécesseurs : quelques précisions faites à partir du rapport de Madrid (1990)

Le fait de trouver dans la littérature des textes qui se rapprochent beaucoup des nôtres est toujours une expérience vécue dans une certaine ambivalence.

D’un côté cela peut rassurer le chercheur toujours un peu trop isolé qui ne manque pas de se poser la question du sens de ses travaux. Trouver une sorte d’aval de la part d’auteurs connus et réputés rassure.

D’un autre l’expérience soulève une part d’inquiétante familiarité qui tend parfois à déranger, agacer. L’idée trouvée n’était donc pas si singulière, d’autres y avaient pensé et l’avaient également élaboré par ailleurs.

J’ai indiqué plus haut que cela avait été le cas pour moi en ce qui concerne le texte de J. Doron sur la théorisation de l’apparition des signifiants formels au sein des processus graphiques. Il en va de même à présent, alors que je suis en train de terminer cet écrit, en ce qui concerne ma découverte d’un texte important sur la question de l’utilisation de métaphores en psychanalyse. Ce texte, écrit par G. Pragier et S. Faure-Pragier en 1990, dont je n’avais pas connaissance en écrivant cette partie, met également en avant l’apport de la physique moderne comme nouveau paradigme venant remettre en questionnement des prédicats freudiens issus de la physique de l’époque. Abordant entre autre des notions comme celles « d’auto-organisation » (notamment dans l’auto-analyse de S. Freud et sa découverte de la psychanalyse), de la dualité physico-psychique entre redondance et complexification, « d’ordre par fluctuation », « d’effet de dissipation », les auteurs ont également réfléchis sur la notion de fractal et d’attracteurs étranges.

De façon plus large, les auteurs soulignent combien il est important aujourd’hui de replacer nos concepts dans une perspective ouverte dans laquelle le déterminisme n’est plus le seul élément possible, la prédictibilité d’un phénomène à partir d’une cause unique était déjà remise en question par S. Freud, des conséquences s’imposent donc. En revanche les probabilités de chance pour qu’un phénomène survienne sont supérieures à celles de leur non advenues dés lors qu’un ensemble de causes congruentes est pris en compte. Comme je l’ai indiqué plus haut, la physique quantique, mise en lumière par N. Bohr, propose une théorie non déterministe mais fondée sur un chaos déterministe de laquelle les probabilités règnent en maître.

En accord avec ces conceptions qui approfondissent mes propres propositions, mis à part que je ne parle pas de métaphores pour ma part, je dirais simplement que ce texte fort documenté n’est au fond pas un obstacle à mon propre travail en cela que ce dernier se réfère à une thématique et une problématique précises. Par rapport à mes propres propositions sur les liens et les traces graphiques, leur application de ce qu’ils appellent la « métaphore » fractale porte dans leur écrit sur la cure psychanalytique classique. Ils voient dans cette « métaphore » une possibilité offerte à l’analyste de pouvoir cerner dés le premier entretien, à travers un ensemble de signes discrets, l’essentiel des éléments les plus saillants de la personnalité de leur patient. Dans le registre dimensionnel que je propose, ce que donne à voir le patient dés cette première rencontre est une totalité dissimulée derrière une partie. Cet aspect métonymique s’explique très bien par l’invariance d’échelle inhérente à ce concept. Tout est déjà là dés la première rencontre (voir p. 1450-1453).

Dans notre propre champ thématique, je dis pour ma part que tout est dans la trace graphique mais que celle-ci va au-delà de la structure psychique du sujet puisqu’elle se trame également dans les liens intersubjectifs hic et nunc de l’endroit où elle est commise. Le fractal est repris, reconstruit à chaque fois ou plutôt l’attracteur externe vient restructurer le fractal jamais totalement mais toujours localement (sans en toucher le fond, sinon il n’y aurait plus similarité). Contrairement au fractal issu de la physique (qui est une théorie de formes figées), dans le psychisme, je perçois le système fractal comme dynamique (passant par exemple de pellicule à membrane à habitat).

Ma conclusion reprendra cela. Cependant, ces théories ne nous empêcheront pas d’utiliser à présent les concepts métapsychologiques qui nous sont propres. Comme J. Guillaumin (1990) le rapportait à ce congrès de Madrid croisant sciences modernes et psychanalyse, la spécificité des modèles psychanalytiques mis en place par S. Freud, et complétés par ses successeurs, est justement d’être en décalage d’avec les modèles scientifiques, ce qui représente la grande valeur de cet édifice théorique puisqu’une autre épistémologie est à l’œuvre, une épistémologie propre à l’appareil psychique composé de rupture et d’émergence, de paradoxalité, d’irreprésentable et d’inachevable. Ici seront les bémols que je poserai aux conceptions que je viens de développer. Il n’empêche que ces bémols, si elles vont me conduire à reprendre une large palette des outils métapsychologiques les plus intéressants pour mon travail, ne m’empêcheront pas de continuer à utiliser mes modèles scientifiques dés lors que le besoin s’en fera sentir.

La partie qui suit nous permettra de franchir un nouveau pas en direction de notre problématique centrale portant sur les niveaux de symbolisation les plus précoces. Si cette partie visait à cerner autrement les principaux contenants psychiques à l’œuvre dans les relations entre processus graphiques et leur source, nous rentrerons à présent plus avant dans la logique des contenus et de leur processus.