Introduction à la deuxième partie

Ce travail vise à faire le point sur une donnée qui a déjà été débattue dans la littérature psychanalytique (entre autres A. Brun et M. Gagnebin) et qui reste toutefois à retravailler sur le plan théorique et clinique.

Si les processus graphiques sont des réactualisations d’expériences passées, deux aspects de cette question restent à poser : d’une part comment cela s’effectue ? D’autre part que font-elles émerger ? S’il y a réactualisation, de quoi traite-t-elle ? Y-a-t-il réactualisation d’un aspect seulement de ces expériences ? Si j’ai déjà pu dans ma partie problématique, souligner une certaine forme de polysémie de la trace, je propose à présent de reprendre tous ces aspects en commençant par la question de ce qui peut resurgir dans les traces graphiques. Si j’avais pu aborder dans mon travail initial les concepts de pictogrammes, de signifiants formels et de représentants architecturaux et spatiaux comme étant princeps dans les périodes les plus archaïques du bébé, si j’ai pu mettre en parallèle des fonctionnements psychiques avec certains comportements en groupe, j’aimerai à présent revenir sur ces concepts fondamentaux afin d’en approfondir ou d’en invalider l’opportunité.

Globalement, une première étape (6-1) visera à revenir, interroger et critiquer les processus les plus précoces dévoilés et conceptualisés jusqu’à présent dans la littérature analytique. Une deuxième grande étape (6-2 et 6-3) sera plus directement appliquée à notre champ de recherche avec la problématique psychopathologique comme fil rouge. Aussi y inclurons-nous des éléments de notre clinique étayant tour à tour chaque proposition. Je proposerai pour cela d’opérer à une étude transversale des mêmes sujets de notre groupe suivant les différents angles abordés.

La première étape, s’appuyant plus sur une métapsychologie des processus psychiques, ne visera pas spécifiquement les phénomènes psychopathologiques. Cette façon de concevoir le fonctionnement psychique me semble pouvoir être mise en adéquation avec mon hypothèse d’une dimension non euclidienne du fonctionnement de l’appareil psychique, sur ses dimensions fractionnaires, ainsi que sur les premiers points d’accrochage, dans lesquelles les forces d’attraction seront appréhendées et rejailliront plus tard. En même temps, cette vision précède l’hypothèse suivante sur le retour des premières expériences vécues (dont les agonies primitives mais pas seulement) chez le sujet (et notamment vécues de façon massive chez le psychotique).

Nous reviendrons sur le concept de narcissisme primaire, tel que développé par S. Freud (1914), et interrogerons ses destins chez ses successeurs. Dans le but de préparer les principaux prolégomènes au concept d’agonie primitive, nous opérerons dans ce chapitre au distinguo entre les théories dans lesquelles le moi est soit retiré de toute libido d’objet, soit très actif très tôt et vise, dans l’un ou l’autre cas, le principe de plaisir, avec celles qui postulent une telle dépendance précoce à l’objet allant dans le sens d’une construction progressive de toutes ces capacités. Nous balayerons ainsi le champ des théorisations éclairant une sorte d’intersubjectivité originaire (6-1-5) préalable à la phase de séparation-individuation (M. Malher, 1970). Nous proposons donc en priorité d’établir un premier repérage et approfondissement en terme théorique, qui croisera d’ailleurs plusieurs théorisations, et tenterons d’en repérer les convergences et divergences.

La suite visera à démontrer que, par-delà les phénomènes purement psychiques ou plutôt en étroite relation avec eux, s’établit dans le narcissisme primaire des points de liaison avec la matière objective, non vivante, points de liaison particulièrement propices à nous faire toucher du doigt ce qui peut se réactualiser dans le travail de peinture, ou plus globalement, dans le travail artistique. Tout ceci visera, je le répète, à nous rapprocher de ce que nous percevons dans les phénomènes cliniques. Nous insisterons à ce propos sur le fait que les parties psychotiques de la personnalité traitent toute chose (y compris les plus symboliques) comme une matière à psychiser. Le poids du réel, de la matière, agit alors comme un attracteur psychique particulièrement fort, attracteur non symbolique dans son en-soi, voire désymbolisant, obligeant toujours plus le sujet à resymboliser pour se retrouver.

Ces chapitres devront nous servir de base pour travailler le problème des modalités de retour des agonies primitives en peinture. Ce problème sera traité dans une deuxième étape (6-2 et 6-3) qui visera essentiellement à y interroger le concept de symbolisation dans les processus graphiques et notamment en peinture. Le point intermédiaire (transitionnel) entre ces deux étapes, se centrera sur ce problème de la symbolisation, problème que nous tenterons de traiter à la lumière de nos points de vue antérieurs. Ce problème me semble en effet à séparer des processus en jeu dans la phase du narcissisme primaire tant il convient à mon sens de faire le distinguo entre un vécu et la façon dont il est remanié. Le retour d’une agonie primitive se réalise rarement tel quel.

Comment le narcissisme primaire s’organise-t-il et revient-il dans les processus graphiques ? Voici la question centrale que nous posons au fond dans cette deuxième étape. Par rapport à d’autres thèses apportées sur le sujet, nous espérons pouvoir avancer en nous appuyant sur les éléments apportés au début de cette partie.

Commençons dés lors par interroger ce concept de narcissisme primaire. Je propose une mise en perspective historique et critique du point de vue théorique sur la question.