6-1-2- M. Klein : une conception d’un moi trop précoce ?

M. Klein fut bien entendu la plus marquante dans ce domaine. Ayant surtout travaillé auprès de patients aux troubles graves de la personnalité, je ne peux ici qu’y intégrer son approche 28 . Dans un but de rappel rapide de ses principaux développements, rappelons sa volonté de ramener les principaux outils métapsychologiques freudiens dans la direction « régrédiente » de processus archaïques. Ainsi le développement libidinal perd la dimension génétique présentée par S. Freud, « l’œdipe est à l’œuvre bien plus tôt » 29 et dépendrait des pulsions orales et anales tout autant que des pulsions génitales, et le surmoi ne succéderait pas à l’œdipe mais le précéderait. Ces thèses, illustrée de cas cliniques, ont surtout trouvé une force et une densité au travers des deux notions consolidant cet édifice théorique : les notions de position schizo-paranoïde et de position dépressive.

Apparue en 1946, cette première notion introduit le clivage affectif de l’objet en fonction d’expériences vécues par le bébé comme bonnes ou mauvaises. Dés les premiers instants de la vie, le moi se serait donc protégé des mauvais objets pour se construire. Le bébé éprouve une forte angoisse contre les mauvais objets : celle d’être détruit du dedans. Si cela persiste, cette angoisse de destruction se retrouve chez la personne qui craint de s’en faire submerger( exemple dans la schizophrénie). Les mécanismes de défenses primitifs ou plus secondarisés (clivage, projection, introjection, identification, déni et idéalisation) permettent au bébé de maîtriser cette angoisse. Son narcissisme se crée en projetant les mauvais éléments au dehors et en faisant des bons éléments externes des bons éléments internes.

J. Bégoin (1985) fait remarquer en outre que la première position induit l’existence d’une phase de sadisme de l’enfant de moins de un an dirigée contre le corps maternel et ses objets internes qu’il veut détruire et évider. Tous les autres éléments de cet édifice théorique vont dans le sens d’une capacité moïque primitive. Le moi serait capable de faire un choix, d’opérer à une projection sur l’externe des représentants de la pulsion de mort avec la capacité, en outre, de craindre de la part de l’objet ciblé, une rétorsion de celui-ci (entraînant une angoisse de persécution), rétorsion préalable et constitutive d’une introjection de cet objet persécuteur (base de constitution d’un surmoi archaïque). Le moi est capable également, si l’objet extérieur est bon (ou « suffisamment bon » D. C. Winnicott), si la force de l’envie envers les objets externes n’est pas trop intense, de se créer une cohésion interne qui l’emmènera, à partir de ces bonnes expériences, vers la position dépressive, plus élaborative et plus stable.

En outre, le fondement processuel de la plupart de ces mécanismes, pour autant qu’ils se situent dés les premiers mois de la vie, est repéré dans le concept d’identification projective. Or, J. Bégoin nous rappelle que ce concept évoque le processus par lequel le sujet se débarrasse de la perception de la réalité jugée dangereuse.

Au final, on le voit, pour ce qui est des périodes les plus archaïques, cet ensemble théorique implique au moins deux présupposés : le premier est celui de la constitution immédiate d’un moi capable de faire la distinction entre bonnes et mauvaises expériences, la conséquence en est l’existence d’une complexité fantasmatique considérable. Le second, concomitant, implique une recherche immédiate non seulement du plaisir mais aussi de la constitution d’un espace psychique propre, ce qui nie l’existence d’une indistinction précoce entre monde interne et monde externe. En somme dans ces deux présupposés, le moi est très tôt actif et en quête du plaisir.

Notes
28.

Approche qui, vu la fécondité de ses développements, touche aujourd’hui toute une part des théories analytiques actuelles.

29.

Je m’appuie ici sur la synthèse qu’en offre R. D. Hinshelwood issue du Dictionnaire international de la psychanalyse. Sous la dir. De Alain de Mijolla. Calmann-Levy