6-1-6 Nécessité d’existence d’une position précoce de nature indifférenciée

Sur le premier point, des auteurs récents comme M. Lhopital et A Ciccone (2001, p 123), dans un effort de synthèse des principaux travaux kleinniens et post-kleinniens, ont souligné l’importance d’accorder une position précédent celle marquée par la confusion et l’identification projective.

Ces auteurs ont d’ailleurs repris les écrits d’un autre psychanalyste, D. Marcelli, reprenant le concept de noyaux visqueux. Celui-ci s’appuie sur le concept « d’agglomérat ». Ces agglomérats comprennent trois pôles représentés par « un objet provoquant, une activité perceptivo-sensorielle ou motrice et une qualité affective » (p 65). Cette conception confère en outre au pré-moi une capacité à ressentir les « expériences apaisantes ou plaisantes » des « expériences excitantes et déplaisantes », ce qui par la suite se traduira en ressentis de « fragments d’objets bons » et « fragments d’objets mauvais ». Cela révèle à mon sens de l’existence d’une période hallucinatoire dans laquelle l’activité « perceptivo-sensorielle » est doublée de l’expérience affective et remplace l’objet concret. Les objets partiels, fragmentaires tels que bouche, nez, peau, mains peuvent ainsi se substituer à l’objet maternel. Ce fond hallucinatoire constituera ensuite le moi par effet de « collage » des différents « fragments d’expériences affectives ».

Collage des différentes expériences affectives : nous retrouvons ici la thèse freudienne d’un moi constitué et se constituant à partir des sensations corporelles, la surface du corps représentant progressivement la surface psychique 34 .

Mais reprenons l’hypothèse de D. Marcelli sous un angle encore légèrement différent et complémentaire : l’idée serait qu’un pré-moi, rempli d’un fond hallucinatoire, commençât à établir une première sériation des expériences bonnes et mauvaises, ce qui représenterait une première discrimination, une première capacité à organiser une sériation pré-protectrice, une première ébauche de pare-excitation en terme freudien. Mais le système pare-excitation (en étayage sur l’objet) ne peut se mettre en place que s’il est aidé dans sa capacité primitive à distinguer les expériences de satisfaction ou d’insatisfaction. Nonobstant, nous voyons que ce modèle, qui semble lui aussi accorder précocement certaines capacités psychiques, ne peut faire fi de l’objet. Il doit donc également prendre en compte la réalité objective des premières relations.

Reste que le modèle de D. Marcelli apporte des notions supplémentaires en ce qui concerne le rôle du corps dans les toutes premières sensations perçues. Le rapprochement avec ce modèle est donc riche dans sa dimension complémentaire.

En revanche, je me retrouve en léger désaccord avec M. Lhopital et A Ciccone quant à leur discussion au sujet de la position initiale proposée par J. Bleger. Pour eux, la position glischro-caryque devrait représenter une première étape de la position paranoïde-schizoïde, ce qui reviendrait à une position symbiotique. La véritable première position serait autistique. Or, dans les écrits de J. Bleger, les défenses présentées dans la position glischro-caryque ne sont pas constituées par le clivage comme ils l’écrivent et l’anxiété confusionnelle n’existe pas encore. J. Bleger parle d’ambiguïté, d’indistinction et non encore de confusion, les choses sont vécues sans souffrance, je le rappelle.

Certes les cas cliniques exposés par cet auteur ne présentent pas une pathologie de l’ambiguïté pure, un alliage pluriprocessuel y est à l’œuvre (créant par exemple le moi factique ou les personnalités psychopathiques), mais il reste que ce processus initial est à mon sens à préserver dans l’articulation théorico-clinique qu’il véhicule. Un théoricien comme B. Duez (2000), puisant son matériel clinique sur les jeunes psychopathes, utilise les concepts de J. Bleger et parle du retour de vécus originaires (selon la théorie présentée par P. Aulagnier, 1975). En cela je suis partisan de réhabiliter cette position comme initiale même si nous avons à y gagner à la lier avec ce qu’il en ressort de la position autistique. Ceci sera l’objet du chapitre suivant.

Notes
34.

Le moi représentant une projection de la surface du corps. S. Freud. 1923