6-1-7- Une positon glischro-caryque à compléter
En somme si la position glischro-caryque peut se mêler à la position autistique, celle-ci comprend ce dont celle-là est constituée. L’on peut ainsi y retrouver les notions, très primaires dans l’espace psychique uni et bidimensionnel, d’identification adhésive (E. Bick) et de démantèlement (D. Meltzer). Ces deux processus sont considérés comme les plus archaïques par les deux auteurs, ce qui leur confère un statut de commun dénominateur à intégrer dans notre présente élaboration pour aller plus loin dans ces premiers vécus.
Je proposerai cependant certaines critiques envers ces termes avant de les y inclure.
- La notion d’identification adhésive, même si elle peut être heuristique dans ce qu’elle conceptualise en terme de processus psychiques et de défense, reste pour moi sujette à caution dans sa terminologie comme dans ses implications : le terme d’identification est-il le plus adéquat ? Ne vaudrait-il pas mieux parler d’imitation ? En ce qui me concerne, dans mon groupe clinique, j’ai plus fréquemment rencontré des phénomènes de collusion, de corrélation de subjectivité (R. Kaës, 1999) que d’identification proprement dites (je développerai cela dans la quatrième partie). De plus, lorsque M. Lhopital et A Ciccone évoquent l’existence d’une relation du self aux objets internes dans l’identification adhésive ou lorsqu’ils disent que ce mécanisme « autistise les objets internes » (p 105), je ne vois plus comment soutenir la thèse d’un espace psychique ouvert, d’une indifférenciation ou d’une indistinction entre expériences corporelles, objectales, psychiques, etc.. Quel contenant permet l’existence d’objets internes ? En outre, de quel statut psychique peuvent bénéficier des « objets bidimensionnels, sans intérieur, sans activité mentale, sans fantasme et sans affect » ?
Sur le mot identification, la modification terminologique pratiquée par E. Bick (1986) à la fin de sa vie valorisant le terme « d’identité adhésive » est à ce sujet parlante en cela qu’elle n’éclaire plus sur un espace interne fermé. Cette modification ne concerne en effet pas que le champ lexical mais processuel puisque E. Bick reconnaît elle-même qu’à ce stade, nous sommes « en deçà de toute constitution d’un objet et même de toute mentalisation » (p 106). Aussi me semble-t-il que le terme d’objet interne, supposant des processus pouvant se mettre en place en présence ou hors présence de l’objet externe
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, ne peut trouver sa validité qu’à partir d’un certain stade de développement psychique. Car, comme le rappelle M. Lhopital et A. Ciccone, le mécanisme d’introjection d’objet externe contenant ne se réalise pas d’emblée, il n’est pas fantasmatique et s’établit avec l’aide d’un objet externe tangible qui va venir délimiter un soi.
- Quant à la notion de démantèlement, décrite par D. Meltzer, elle me semble directement en phase avec ce qu’un pré-moi peut vivre dans le monde, sur le registre pulsionnel, quand celui-ci est aggloméré, indifférencié. Rappelons la définition proposée par les auteurs : « Le démantèlement du self en tant qu’appareil psychique correspond à une suspension de l’attention qui conduit les sens à errer chacun vers leur objet le plus attractif de l’instant. » (p 103). Cette dispersion, vécue de manière passive, présente l’intérêt supplémentaire, par rapport à ce qui a déjà été travaillé, d’éclairer un processus pulsionnel, ou, devrait-on dire, pré-pulsionnel (sans congruence entre poussée, source, but et objet). A l’instar de la notion d’objets agglutinés, les objets et les sens sont ici éparpillés en une multitude de petits morceaux. Ce processus « réduit les objets à une multiplicité d’événements unisensoriels, dans lesquels animés et inanimé deviennent non distincts et à partir desquels il est impossible de former des pensées. » (p 103). Ce processus est en outre nettement décrit comme en deçà du clivage, le voir, le sentir, le toucher, l’entendre sont éparpillés dans l’espace. Le sujet est alors, nous dit D. Meltzer, « sans activité mentale ».
Cependant il reste difficile de déterminer s’il est de l’ordre du vécu, survenant passivement, ou de l’ordre de la défense. Les deux acceptions sont présentes dans les définitions qu’en apportent A. Ciccone et M. Lhopital. D’expérience protectrice nécessaire
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, ce processus passe à une expérience de retrait qui prive la continuité du développement affectif chez le bébé.
Notes
35.
Id. Notion reprise de F. Palacio-Espasa « d’identification projective adhésive conditionnelle » ou « d’identification projective adhésive inconditionnelle ». p 105
36.
Utilisée pour « se protéger des angoisses catastrophiques issues d’une prise de conscience traumatique de la séparation » (p 106)