6-3-1- Réflexion métapsychologique autour d’une actualisation de vécus archaïques et agonistiques dans les traces graphiques

Partons d’un postulat simple et presque évident : tout processus graphique convoque en son sein une part de symbolisation. A partir de là, s’il y a retour des agonies primitives, celui-ci ne peut s’établir tel quel. Notre précédent développement sur l’appareil de mémoire pointe bien cette question de la transformation (même minime) de l’événement vécu ou traumatique. Lorsque M. Gagnebin parle de camouflage, il me semble que c’est la seule forme que peuvent prendre les agonies primitives pour faire retour. Il faut en effet, pour considérer ce fait, concevoir qu’a minima la convocation du sensori-moteur fasse resurgir des expériences passées au moins inscrites sur le plan corporel. Néanmoins, nous ne ferons pas que concevoir a priori ce point et je propose dés à présent de nous reporter aux grandes lignes allant dans ce sens.

D. C. Winnicott (1975) fut le premier, dans son dernier article publié en 1975 41 dans la nouvelle revue de psychanalyse, à postuler l’existence d’une corrélation forte entre angoisse actuelle et ancien vécu. « Je soutiens que la crainte de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a déjà eu lieu » écrit Winnicott en insistant sur un mode de défense particulier (défense paradoxale selon R. Roussillon) qui, par retour de l’expérience traumatique, se rend ou cherche à se rendre actif là où le premier vécu s’est déroulé de façon passive dans une période de « dépendance absolue ». Cette compulsion de répétition se perpétue selon cet auteur tant que le moi, qui initialement n’a pas pu faire entrer cette agonie primitive dans « sa propre expérience du temps présent », ne réussit pas à l’éprouver. Revivre cet échec dans un transfert thérapeutique négatif représente une recherche de réactualisation des défaillances passées avec le but de les perlaborer.

A partir de cette thèse princeps, dans son ouvrage sur les destins des agonies primitives, R. Roussillon (1999), reprend cette idée, avec un soucis de replacer une métapsychologie aux grandes intuitions et développements de Winnicott, de la survenue d’un événement traumatique vécu passivement, dans un stade primitif. L’événement, non représenté et s’inscrivant sous forme de traces perceptives ou sensorielles, est clivé, coupé des autres expériences plus maturatives. Il peut être de différentes natures, il porte toujours sur une défaillance, des manques, des perturbations induites par l’environnement. Quoi qu’il en soit, que l’objet primaire soit directement impliqué ou non, à cette époque de narcissisme primaire , l’hypothèse est que le système pare-excitation n’a pas pu être efficace.

Selon cet auteur ce noyau traumatique primaire n’aurait premièrement jamais pu s’inscrire dans le temps historique (dans ses rapports à notre chronologie et aux autres générations), deuxièmement jamais pu se représenter comme vécu pulsionnel, et troisièmement jamais pu s’auto-représenter dans ce contexte général. Il représente un fueros primaire. Nous rajouterons, eu égard à notre clinique, que ce noyau a perduré durant toute la vie de la personne, voir même a pris de l’ampleur, des échecs répétés émaillant son parcours. Il aurait ainsi alimenté le champ gravitationnel déjà là pour représenter, en fonction des éléments de l’environnement, un danger toujours plus imminent.

Faute d’inscription, ce vécu en errance est clivé, inscrit dans une zone particulière, une zone somatique ou encore une hors zone, le processus de déflexion pulsionnel amenant la personne à se « retirer d’elle-même » 42 , le champ devenant répulsif plutôt qu’attractif. Le paradoxe constitutif de ce vécu subjectif est donc là : la personne ne peut vivre qu’avec une partie retirée d’elle-même. De là, nous pouvons formuler l’hypothèse que plus la personne paraît lointaine, distante, impalpable, plus la zone d’étrangeté à elle-même, la zone d’aliénation par un organisme étranger, est grande. Autrement dit plus la personne est psychotique, plus le clivage, cette zone de retrait mise en place pour fuir l’agonie, le traumatisme, est important.

Des choses peuvent être répétées dans le geste graphique parce qu’il existe ce que R. Roussillon appelle un appareil « auto-méta ». Celui-ci se constitue à partir d’un appareil psychique obligé de s’informer en permanence du travail de la pulsion. Il prend en effet pour fondement les données intersubjectives puisqu’il fonctionne à partir de pulsions informant en continu le psychisme sur la façon dont il est traité et a été traité, vu, perçu, écouté et senti par l’objet. La fonction auto-méta, en introduisant ainsi un miroir interne marqué par les différentes relations aux objets, nous éclaire aussi bien sur le moi-sujet (dans un processus subjectivant) que sur le moi objet (dans un processus aliénant). Il est un miroir interne, miroir déformant constitué de la marque laissée par les objets sur le système psychique.

Si agonie primitive il y a, elle ne peut être qu’issue d’un alliage avec toutes les dimension précédemment établies.

Notes
41.

D. C. Winnicott. 1975

42.

Id P 141 par exemple.