6-3-3- La sortie de la position glischro-caryque manifestée dans les traces

A propos des processus graphiques, dessin et peinture.

Nous venons de voir combien le symbole à sa base, lorsqu’il tend vers l’équation symbolique, revêt une fonction idiosyncrasique. Cette fonction est la marque des relations du sujet à son système pulsionnel, l’image formelle et sensorielle qu’il se fait de son corps et des relations intersubjectives vécues. Elle est à relier aux balayages rythmiques en ce qui concerne des rapports encore très mal différenciés entre soi et l’autre (débuts d’aller et retour) et aux mouvements en spirales en ce qui concerne le lien au corps, spirales centripètes ou centrifuges selon la variabilité d’intensité pulsionnelle ainsi que celle des attracteurs internes et externes (ce qui peut se lire également en terme de sensations-objets).

A ce sujet, j’ai déjà évoqué, quant à la redondance de certaines traces, des retours de relations primaires, retours qui peuvent se lire en terme de signifiants formels. Je rajoute à présent qu’il s’agissait, dans chacun de ces cas de figures, d’éléments très concrets, denses parfois, clivés par exemple dans le cas de retour de contenus traumatiques dans les traces. Comme je l’ai indiqué plus haut dans ma problématique, j’ai retrouvé dans les écrits de J. Doron (2000) certaines de mes hypothèses. Les signifiants formels dans les processus graphiques se figent dans des aspects figuratifs représentants le fonctionnement mental et les relations des uns avec les autres. Ils prennent pour cela appui sur le cadre, le dispositif, la feuille commune par exemple que nous proposons à tous afin qu’une expression ou une communication ait lieu. Néanmoins cette feuille, ce destinataire maternel (B. Cadoux, 1999), est, au niveau le plus archaïque, avant de se symboliser, de « s’élever » et de se sublimer, un objet tangible. Cela nous permet de pouvoir le circoncire.

En fait, plus le sujet s’éloigne des premiers symboles 49 , plus il se rapproche d’éléments communément partageables, autrement dit de symboles admis par un grand nombre, plus secondarisés. Cela se joue à mon sens en appui sur les éléments du cadre. Le cadre dans un atelier peinture-dessin comme le nôtre, son support, est constitué par l’ensemble des règles mais aussi par les murs, les arêtes verticales, tous les éléments de la géométrie qui peuvent permettre au besoin de se constituer une structure interne par introjection. Il est donc pris dans l’ordre du Symbolique et du Réel. Dans mon premier travail je mettais ce processus en lien avec ce que G. Haag (1998) a nommé les représentants architecturaux et spatiaux. J’en apporte des exemples plus loin au sujet de Sylvain.

Ce concept prend à mon sens pour point de départ dans les processus graphiques le pointillage et le dépassepour se diriger vers les formes radiaires et le clivage des lignes horizontales.

A. Anzieu et Simone Daymas (1996) montrent bien au travers de dessins d’enfants psychotiques, le travail d’appui, ou trace-contact pour S. Tisseron, initial à toute production graphique. A. Anzieu pointe ainsi comment un jeune enfant de 5 ans et demi parvient à dessiner, après être passé par la médiation pâte à modeler, en appuyant son crayon sur la surface stable de cette feuille posée sur la table (pointillage). Nous voyons ici comment la matière externe rentre en jeu dans la structuration du sujet. Le travail avec la pâte à modeler fait intervenir le médium malléable 50 , l’absence de résistance aux désirs de l’enfant, elle convoque une plasticité imaginaire propre à la construction des fantasmes. Avant cette étape, celle du tracé libre avec feutre introduit un autre principe, celui que J. Lacan a appelé le Réel, principe initial nécessaire pour permettre toute rencontre avec l’altérité mais aussi pour se structurer un squelette en équation symbolique (rencontre de l’élément terre dans un autre axe de recherche). De façon générale, le travail graphique, par rapport à la pâte à modeler, n’admet pas de réversibilité dans les formes que son dessinateur lui attribue (d’où ce réel difficilement modelable) . La peinture, plus proche dans ses caractéristiques physiques, non plus. La différence entre peinture faite avec pinceau et graphisme produit avec feutre réside, dans ce dernier cas, en ce que le dessinateur expérimente le contact d’une mine dure et d’un support dur. La peinture, en estompant la notion de limites, renvoie à des contenants et des contenus pouvant ou non être de nature différenciée.

Comme on le voit, les écarts entre l’utilisation de la pâte à modeler, la peinture et la trace graphique (type crayon, feutre), apportent plus ou moins de jeu à la toute-puissance du fantasme, en utilisant de façon plus ou moins spécifique la sensorialité. Là où le travail avec le matériau peinture renvoie à des processus plus sensoriels, les traces graphiques se rapprochent plus du fantasme et la pâte à modeler introduit la réversibilité de celui-ci. En d’autre terme, ces médias opèreraient, selon les concepts d’A. Green (1986), à une décorporation progressive passant du sensoriel au corporel. En s’éloignant également de l’identité de perception, le sujet rentre dans l’identité de pensée et délaisse progressivement les éléments du cadre autrement dit de ces représentants spatiaux et architecturaux.

Les structures radiaires de contenance , égalementdéveloppées par G. Haag (1993), représentent un niveau de symbolisation supérieur, passant par des logiques formelles. Celles-ci émergent dans la foulée des traces présentées précédemment. Elles interviennent à partir d’un premier fond d’adhésivité mère-enfant . Elles s’accompagnent d’un processus de séparation-individuation et entraînent la fermeture et la contenance progressive de la structure. A partir d’elles les rayons qui en émergent sont corrélatifs de liens en direction de l’autre. Bras, jambes, organes du visage tels que yeux, bouche, oreilles, en sont des avatars. Les formes radiaires doivent « normalement » ouvrir sur un deuxième fond, se situant entre les deux limites représentées par les lignes de ciel et de terre et se composant à partir du dédoublement des lignes horizontales. Celui-ci est concomitant d’une séparation normale mère-enfant.

Nous retrouvons à mon sens, dans cet entre-deux entre fond adhésif et décollement, la même problématique exposée plus haut au niveau de la symbolisation élémentielle. Les matières natives sont à ordonner, densifier (de manière souple néanmoins), faute de quoi l’alternance entre balayages rythmiques, retour sur une bulle narcissique plus ou moins différenciée et recréation du monde en trouvé/ créé, reste de rigueur. Ce dédoublement des lignes horizontales tel que l’aborde G. Haag n’est au final rien d’autre qu’une mise en figuration de ce qui représente le propre de l’espace transitionnel. Cet espace, ou cette aire, représente une intégration suffisamment souple et ordonnée des matières natives pour éviter le retour vers le pulsionnel pur (le volatile, les forces de l’ignée sur le plan métaphorique) ainsi que, sur l’autre pôle, l’emprise pathologique de ce pulsionnel (le compactage rigide des matières terrestres les plus denses).

Notes
49.

Symbole est entendu selon l’acception qu’en donne M. Milner.

50.

Voir le concept qu’en fait R. Roussillon à partir du terme du poète F. Ponge.