6-3-4- L’avènement des représentations humaines et animales

L’avènement de ces représentations signe un effacement de la toute-puissance de l’imago maternelle. Celle-ci est cette fois-ci refoulée dans sa fonction contenante, elle contient mais n’occupe plus le centre du processus. Dans cette forme de symbolisation, la transitionnalité devient vraiment interne, l’imago maternelle contenante indique ses limites au bébé en même temps que la peau commune s’estompe. Un espace psychique se crée ainsi. Cela rappelle ce que G. Lavallée (1999) a théorisé à partir entre autre des travaux d’A. Green sur l’enveloppe visuelle : dans la constitution de celle-ci, l’hallucinatoire négatif s’efface au profit de l’apparition purement consciente de l’hallucinatoire positif. Cet hallucinatoire positif, composé d’éléments stables, de symboles partageables, se constitue dans ce que R. Roussillon (1999, 2001) a proposé de nommer symbolisation primaire .

Si cette symbolisation primaire admet comme condition sine qua non l’apparition des représentations-choses, nous venons de montrer que la symbolisation, dans son aspect le plus large, en admet des significations bien antérieures. Symboliser, selon R. Roussillon (1999), fait partie intrinsèque du vivant. Toutefois cette forme de symbolisation relie les premières inscriptions psychiques (signifiants de démarcation, signifiants formels) entre elles pour former les représentations de chose en s’appuyant sur les objets environnants. Les processus psychiques s’aliènent en effet dans les objets pour prendre forme. La matérialité proposée dans le concept de symbolisation élémentielle passe par l’objet, l’autre ; la constitution du pulsionnel trouve au moins but et objet dans cet autre. Mais cet autre est lui-même à symboliser et cela représente un paradoxe comme le souligne R. Roussillon : « l’objet pour symboliser est d’abord un objet à symboliser ». L’outil peinture est initialement à symboliser. Le cas échéant, la peinture représente moins un outil qu’un vecteur sensoriel. Si elle le devient, si elle devient cet outil pour symboliser, alors des processus de symbolisation, voire des représentations-choses peuvent en être issues. La marge de manœuvre entre ces deux positons est large, l’exemple des productions de de Staël ( chapitre 7) montre la jonction entre les 2. Pour être symbolisé, l’objet doit être suffisamment malléable et revêtir des caractéristiques que l’on retrouve dans la matière liquide. Certes , comme je l’ai mentionné plus haut à propos de la pâte à modeler, cette matière ne représente pas en tant que tel l’équivalent de ce que R. Roussillon nomme, après F. Ponge, un « objeu », elle n’est pas transformable à volonté, toutefois elle peut se rendre utile pour représenter ce qui s’est joué avec l’objet primaire au travers des signifiants formels que nous pouvons y lire.

Si, comme l’écrit R. Roussillon, toute symbolisation renvoie à des processus d’appropriation subjective ayant pour point de départ une construction identitaire, alors on peut voir cette symbolisation primaire comme constitutive des premières représentations. Celles-ci peuvent être animales, monstrueuses, pour enfin devenir humaines.

A chaque niveau le créateur dit quelque chose de son miroir interne. Le créateur peut se voir : comme un point dans l’espace allant et venant d’un lieu à un autre pour les balayages rythmiques ; comme une entité convergeant vers l’autre ou s’en éloignant mais avec une distinction centre- périphérie pour les mouvements en spirales  ; comme un être humain qui différencie son propre visage de celui de l’autre, et ce particulièrement dans sa relation primaire à ce visage, dans cette phase de « double unaire  » constitutive des formes géométriques (voir partie suivante). Là-dessus, la survenue du double narcissique se joue dans l’apparition des figures monstrueuses ; enfin dans la création du double spéculaire surviennent les représentations animales et humaines.

A chaque fois, les processus auto-représentatifs, ou figuratifs, en jeu nous surprennent. Ils mettent en jeu, encadrent et expriment le processus pulsionnel, fondamentalement intriqué au corps et à sa source, l’objet.