Nous postulerons tout d’abord que les premiers mois de la vie de Francis, premier enfant, handicapé, se sont déroulés pour la famille sous le sceau de ses troubles neurologiques et de ces convulsions. Ils forment ainsi un noyau traumatique primaire, probablement porteur d’agonies primitives, auxquelles la famille aurait été elle-même débordée, placée dans l’impossibilité de répondre à ses besoins de façon adaptée. Cela forme une dépendance à son environnement qui, faute de s’être tarie par la suite, est devenue quasiment constitutionnelle. L’autre agit comme pare-excitation et transformateur, il joue un rôle essentiel dans lequel le désir semble faire place au besoin. Francis est fréquemment dans un en-deçà du principe de plaisir. Sa recherche de l’autre semble être une recherche de validation de sa propre existence : en dehors, il est en « vagance » (S. Resnik,1992), en errance, hors de son noyau interne. Peut-être fût-ce le seul moyen qu’il eût trouvé à l’époque pour sortir de ces périodes d’agonie ?
Toujours est-il qu’il répète ce processus dans notre atelier. Tout contact trop fort, toute présence relationnelle sentie comme trop proxémique l’emmènent soit à se protéger graphiquement, par des traces denses faites en forme de demi-cercles, soit à fuir, ce qui nous paraît possible dans la déstructuration des figurations. Il semble alors répéter une destruction interne de ses capacités psychiques survenues dans ces périodes initiales. La trace dense sert en fait à la fois de barrage nécessaire d’avec l’objet dérangeant pour pouvoir en prendre la fuite et d’adossement, d’appui, de fond servant d’appui pour repartir. Mais tout se joue d’abordsur la scène groupale, Francis, débordé par les pulsions ambiantes, n’est pas dans la capacité d’être seul en présence de l’autre (D. C. Winnicott). Ses traces sont essentiellement isomorphiques, dépendantes du pôle relationnel ou pour mieux dire, il est totalement submergé par l’intersensorialité (O. Avron, 1985) à l’œuvre dans le groupe. S’il est laissé seul quelques instants (notre fonction d’attention n’étant plus portée sur lui un moment) son geste graphique tourne en rond (en spirale ouverte), et détruit tout élément signifiant.
Mais cette destruction est surtout le fruit d’un fonctionnement à vide, fonctionnement qui peut aller jusqu’à l’arrêt des processus graphiques. Ses quelques représentations-choses inscrites sur la feuille (vélo, boules, nombres, etc. ) sont le fait de l’autre, du double unaire (par indifférenciation et manque d’espace séparateur). Francis « fait » pour le plaisir de l’autre sans prendre lui-même de plaisir particulier. En dehors du lien, le sens se perd, des traces perceptives très archaïques et pré-représentatives semblent alors s’étayer sur notre demande implicite de mouvement et d’agi (implicite du cadre). En lien avec les vécus très précoces de Francis, cela me fait penser au fait de vivre, d’agir, d’exister, pour l’autre et cela malgré la destruction du sens qui agit en interne via des problèmes d’ordres neurologiques.
Ainsi pouvons-nous dés lors, dans les processus graphiques, entrevoir deux formes de réactualisation des agonies primitives.
La couleur sert aussi cette logique de fractalisation. Cela souligne bien un en-deçà de la symbolisation primaire , symbolisation du vécu psychosomatique, symbolisation élémentielle puisque représentation de l’affect en même temps que « représentation de l’absence de représentation » (selon l’expression qu’en propose R. Roussillon ). La trace est une excorporation, peut-être au moins une forme de représentant psychique de la pulsion. Il réside ici quelque chose d’inflammable, une accumulation thermique débordant son fragile système pare-excitation.
Les balayages rythmiques marquent une tentative de fuite qui avortent : « une surface plane s’allonge et se rétracte ». La densification est à rapprocher du pointillage, un cadre interne résiste aux pressions, une solidité, des premiers contenants se mettent en place . Les spirales centripètes marquent le retour sur soi, revêtant ainsi un caractère défensif. Dans cette question de distance relationnelle, les formes radiaires, avec attaches de parties différentes, seraient révélatrices d’un visage maternel engrammé entraînant cette bonne distance relationnelle. Malheureusement le morcellement, par déliaison, est toujours sous-jacent chez Francis. Le lecteur repérera ici que chaque processus graphique, par fractalisation, est retraduit dans l’espace de la feuille.
En terme de symbolisation, la symbolisation élémentielle, avec ce débordement pulsionnel (se lisant au travers de puissants affects) qui entraîne une déflexion pulsionnelle, se manifeste souvent dans les traces comme si des flammes surgissaient. La symbolisation primaire achoppe régulièrement, les formes sont détruites, recouvertes, oubliées, si tôt que construites.