Fonction contenante dans le travail du rêve et le travail pictural

Cette fonction contenante dans l’art est également efficiente dans les rêves. A. Missenard (1986) y insiste quand il évoque la notion « d’enveloppe du rêve ». Reprenant les développements de D. Anzieu (1984) sur les trois fonctions suivantes que l’on retrouve dans la création picturale: sac contenant, barrière de protection et membrane active, A. Missenard insiste sur la dernière. La membrane active du rêve peut ainsi relier deux aspects temporel du traumatisme (l’avant et l’après) grâce à sa place intermédiaire. Cette part de traitement symbolique dans les rêves admet des similarités avec l’œuvre picturale.

L’enveloppe du rêve fait tenir ensemble des parties intimes refoulées, des parties dangereuses de soi tout en les remaniant d’une façon suffisamment « supportable » pour éviter que la censure ne les rejette. En cela rêve et création se révèlent conteneur. A. Missenard soutient en ce sens que « le rêve a une fonction d’enveloppe qui n’est pas seulement une fonction topique, mais aussi une fonction de transformation et d’élaboration du conflit inconscient fondamental, visant à reconstituer l’organisation narcissique du sujet » (p77). Il sert ainsi à raccommoder ce qui reste du moi idéal avec sa force initiale.

En ce qui concerne Saint-Geniès, l’on sait que ses ascendants aristocratiques sont à situer du côté maternel là où, du côté de son père, est préservée une forme de moi idéal artistique. En ce sens, il me semble possible d’avancer l’hypothèse que les quelques guerriers représentés dans son œuvre, systématiquement tourmentés, voire « déchus » selon P. Cusin 5 , représenteraient un idéal du moi familial, et peut-être plutôt maternel, à la fois détruit et reconstruit sur fond de moi idéal artistique. J’utilise ce terme de moi idéal en cela qu’il me semble que dans ces tableaux, tout se passe comme si une enveloppe tutélaire comparable à celle du rêve recomposait un fond originaire sur lequel le peintre pourrait faire revivre ses ancêtres aujourd’hui perdus. Le moi-idéal est cette instance renvoyant à une toute-puissance narcissique forgée sur le modèle du narcissisme infantile 56 .

Il semble en aller de même dans les peintures les plus surréalistes composées par ce peintre, lorsque ces personnages, mi-pierre/ mi humains, semblent s’éroder devant le spectateur. La difficile détermination temporelle dans ces œuvres fait question : la matière vivante sort-elle de la matière minérale ou l’inverse ? Cela nous renvoie à une composition symbolique dans laquelle le brut du réel 57 côtoie le symbolique de la chair et du mot. L’idéal du moi perdu, sa mère possède des châteaux en ruine selon son biographe, est repris dans une figuration quasi onirique. Dans cette œuvre, que le sujet se décompose ou retrouve sa matière vivante, au moins la création- moi idéal, permet-elle une figuration de l’ensemble.

Notes
5.

Les anciennes croyances détruites aujourd’hui, les guerriers d’autrefois reviennent mais perdent le combat.

56.

Selon la définition de Laplanche et Pontalis. Vocabulaire de la psychanalyse. PUF. Paris

57.

Le réel chez J. Lacan n’est pas éloigné de la notion d’hallucinatoire chez Freud. Hallucination ici entre matière objectale et objective.