Le travail paradoxal et symboligène sur les agonies primitives

L’hypothèse que j’émettrai ici est que Saint-Geniès revient dans ses tableaux à des périodes archaïques de son fonctionnement psychique relevant pour une part, notamment avec ses corps de pierre, à la période d’ambiguïté fondamentale. La confusion, voir le paradoxe apparent qui y est inhérent, ne l’est qu’après coup. Toutefois, je viens de préciser « pour une part » en cela que son travail, figuratif, est mélangé avec des contenus et des contenants ultérieurs, actuels au moment où il peint. Le retour de cette période est néanmoins maintenu par une force d’attraction constitué essentiellement chez ce peintre par la forme du moi-idéal décrite plus haut. D’autres peintres, tels que de Staël ou Feutrier, sont plus des peintres de la période d’indifférenciation, des peintres de la matière dirai-je.

Pour Saint-Geniès, « l’insensée croyance au refusionnement avec l’objet » dépasse cette phase dépressive initiale à laquelle chaque créateur est renvoyé 60 . Aussi loin qu’il puisse retourner dans ses origines, dans ce narcissisme primaire évoqué par S. Freud au sujet des rêves (et retravaillé précédemment), Saint-Geniès crée un motif, non sans mal d’ailleurs puisqu’il avoue avoir à se battre pour le faire émerger. Et c’est bien là où la symbolisation rentre en jeu à chaque fois que le processus de production intervient. Après coup donc, la question de la fusion entre matière inanimée et vivante réapparaît, fusion entre pulsion de vie et pulsion de mort, entre moi idéal maternel et pré-moi. Ce thème itératif manifeste le besoin d’éclosion et ramène la psyché à ces périodes initiales où tout était matière et sensation corporelle. Là où sentiments d’être un corps gazeux, liquide, ou au contraire dense, lourd comme de la glaise renvoyaient encore à toute la symbolique des matières natives. Le retour sur ces traumas pourraient alors se concevoir au travers des angoisses d’explosion, de liquéfaction, d’écroulement, de chute. Dans son œuvre, le retour sur ces éléments permet de circoncire ces vécus au moyen de formes contenantes. Les tableaux mêlant corps de chair et bloc de pierre en seraient une représentation auto-méta figurant quelque chose de la pulsion à l’œuvre chez le peintre. Auto-méta car, contrairement aux principaux processus à l’œuvre dans une population très pathologiques, je pense que la dimension méta est beaucoup plus présente, et notamment dans son œuvre.

Tout comme dans le rêve, si ces représentations n’ont pas de fonction conteneur, elles demeurent contenantes et, associées à d’autres formes d’étayages, peuvent servir de combustibles nécessaires à de nouvelles liaisons. L’art du peintre comme « l’art » du rêve consiste à apporter des formes, aussi archaïques fussent-elles à un informe, à des contenus pré-pulsionnels 61 encore indéterminés 62 .

A ce stade de nos comparaisons entre travail du rêve et processus de création picturale, il me semble important d’introduire la question de la spatialité et de la temporalité dans notre analyse.

Notes
60.

B. Chouvier. « L’auteur se construit et construit son œuvre autour et à partir de ses manques à être et de ses failles, qu’il s’agisse de précoces traumas, de carences ou de déficits corporels » in « Le paradoxe intimiste et la création ». 1998

61.

Pré-pulsionnel car à ce stade il n’est pas sûr que la définition qu’apporte Freud au mot pulsion, composée d’une source, une poussée, un objet et un but, remplisse les conditions.

62.

B. Duez, dans un article consacré à ce sujet, montre qu’à un stade originaire, la pulsion est indéterminée.