Peut-on localiser sur une échelle d’évolution des processus psychiques, les courants picturaux les plus singuliers ?

Quelques réponses déjà apportées

De façon très générale, le rapport entre recherche ou absence de recherche d’une forme représentative en peinture est à l’origine des deux grands modèles divergents apparus au début du 20ème siècle (et dont Cézanne fait figure de père) : le figuratif et le non figuratif. Reprenant cet état de fait, S. Tisseron (1994) y voit deux grandes tendances : celle qui consiste à rechercher l’effet de ressemblance par rapport au modèle choisi ; et celle qui opère par connotation, par évocation et se rapproche de l’abstraction. Cet auteur postule que la première tendance, qui recherche au travers de l’empreinte posée une sorte de « miroir tactile » 73 , est inhérente à ce qu’il nomme « schèmes d’enveloppe » et les secondes aux « schèmes de transformation » 74 . Les premiers visent à créer un espace par l’intermédiaire de formes là où les seconds tendent à introduire un au-delà de la forme, une trace-évocation qui renverra des images (ou représentations-choses) particulières à chaque spectateur.

Selon S. Tisseron, alors que les schèmes d’enveloppes, se repérant dans les dessins de jeunes enfants par des traces contacts (empreinte), marquent l’établissement de la fonction psychique contenante, les schèmes de transformation, portés par des traces-mouvements (balayages rythmiques), signent l’élaboration de la séparation mère-enfant. Il rajoute que là où les premières sont à rechercher du côté du fantasme de peau commune mère- enfant (D. Anzieu) dans un rapport holding et handling (D. C. Winnicott) suffisamment adapté ; les secondes sont à rapprocher du fantasme de séparation s’effectuant dans un travail de symbolisation découlant plus du presenting object (D. C.Winnicott).

Mais ce qui nous intéresse surtout ici, dans l’hypothèse que la peinture et le rêve permettent de renvoyer leur créateur à des époques spécifiques, est de souligner, selon S. Tisseron, que les premières traces graphiques, d’ordres « sensori-affectivo-motrices » (p 128), réalisées par des enfants de quelques mois, renvoient à une symbolisation des premières impulsions motrices vécues. Ces traces primaires, de deux natures, soit traces-contacts, soit traces-mouvements, renvoient respectivement sur le papier à des points, des formes incluses ainsi qu’à des spirales et des allers-retours.

Les traces secondaires, arrivant vers le dix-huitième mois, « correspondent à la mise en scène visuelle - et non plus sensori-affectivo-motrice, comme dans le cas des traces primaires - des fantasmes dont les traces primaires ont contribué à la réalisation » 75 . Leurs représentants sont des points, des traits, des figures arrondies, autrement dit des formes géométriques. L’enfant redouble le cadre de la feuille dans un grand nombre de cas, recréant, a l’instar du cadre du tableau chez le peintre, les bonnes conditions d’un enveloppement maternel adéquat. L’enfant, continuant à produire des traces-mouvements, symbolise alors ses expériences de contact, de maintien, de rythmes respiratoires, de bercements obtenus en présence de sa mère. Vient enfin, avec l’accession à une meilleure gestion du rapport œil- main, la phase de recopiage de la réalité avec forts soucis représentatifs.

Notes
73.

Id p 123

74.

Travail d’intégration, d’incorporation d’éléments, d’objets externes dans les groupes internes. Je parle d’incorporation ici et renvoie à l’article de J. Doron « les modifications de l’enveloppe psychique dans le travail créateur. » in Les enveloppes psychiques. Dunod. 1987. Il s’agit d’étendre son enveloppe psychique pour prendre en soi les éléments (formes, couleurs, air) du paysage.

75.

Id p 129