7-3-1- Rêves traumatiques et agonies primitives dans les processus artistiques : S. Freud, un précurseur

En 1917, Freud opère une première distinction entre les psychonévroses et les névroses de guerre (les unes provenant initialement d’un conflit interne, les autres d’un conflit avec l’extérieur) avant d’en conclure sur la convergence fondamentale entre ces deux pathologies : que les causes soient intra ou extra, le refoulement consécutif est une formation réactionnelle face à un trauma. Cette réflexion, qui ouvrira plus tard sur la voie des agonies primitives, précède le travail ultérieur de 1920. Dans ce dernier, il analyse comment les rêves ramènent de façon compulsionnelle le malade à la situation de l’accident, situation dont il se réveille avec un nouvel effroi. Freud explique ces rêves par une déviation des visées initiales de désirs, ceci étant dû aux tendances masochistes du moi. Il ouvre ensuite le champ sur la compulsion de répétition due à la rupture de l’alliage entre ses nouveaux concepts de pulsion de mort et pulsion de vie.

Dans son travail sur les rêves en commun, A Missenard (1987) écrit comment, lors de névroses traumatiques, le rêve répète non pas l’instant du drame mais celui qui l’a précédé comme pour relier le temps antérieur de l’invulnérabilité 85 à celui de la prise de conscience de la réalité de la mort et des fantasmes qui en découlent. Le rêve revêt ici sur le plan économique une fonction de maîtrise de l’afflux d’excitations et sur le plan dynamique une fonction de suture des deux temps. Le rêve traumatique fait alors retour jusqu’à trouver un angle d’approche propre à créer chez le rêveur une élaboration consciente adéquate. Nous avons vu plus haut que cette fonction d’enveloppe psychique du rêve n’était pas toujours opérante. Tout se passe comme si ces enveloppes devaient se succéder, multiplier leur relais dans le but de créer du symbolique là où il n’y eut que du réel traumatique.

Il en va à mon avis de même pour les processus de création. Comme nous l’avons vu, l’artiste est un être de souffrance. B. Chouvier (1998) écrit à ce sujet que « l’auteur se construit et construit son œuvre autour et à partir de ses manques à être et de ses failles, qu’il s’agisse de précoces traumas, de carences ou de déficits corporels. » (p 132). Or nous sommes forcés d’admettre en contemplant certains tableaux que chaque peintre n’atteint pas de la même façon les points les plus traumatiques de sa vie psychique. Cela est bien sûr dû à la particularité de ces « manques à être » mais aussi à la capacité de transitionnalisation de chacun. Le premier découlant pour une grande part du second.

Globalement, nous avons parlé jusqu’ici d’un retour sur des éléments traumatiques sans toutefois pouvoir étayer ces propos faute de connaître précisément la petite enfance des créateurs étudiés. En l’occurrence, avant de poursuivre, je voudrais indiquer une précision : ce traumatisme, ou ces agonies primitives, est une notion générique recouvrant plusieurs aspects. Sur ce sujet, P. C. Racamier (1991) préfère parler de « blessure du moi ». Réfutant le terme de traumatisme, à n’utiliser que lorsqu’il y a excès et effraction du pare-excitation, il conçoit trois grandes formes de blessures :

  • la disqualification, attaquant le besoin de confirmation narcissique du bébé,
  • le façonnage qui limite l’existence psychique propre du bébé
  • l’intrusion qui ne laisse pas à l’enfant le soin de se construire un espace psychique propre.

Dans toutes ces blessures du moi, complémentaires à la notion de traumatisme à mon sens, le narcissisme en construction de l’enfant s’est vu attaqué par un narcissisme plus fort. La phase de « co-création du monde, de l’autre et de soi » (p 236), qui est en partie relative au double unaire, n’a pu s’établir. Je pense que ce défaut là, qu’il ait pour cause l’une ou l’autre des trois blessures du moi, a été important pour celui qui deviendra « génie créateur ». Si important qu’il n’a de cesse d’y revenir, par divers détours et par le biais cette fois-ci d’un narcissisme personnel, aussi défaillant soit-il. Ce retour se réalise autant dans un processus actif qu’en vertu de ce que PC. Racamier, à la suite de S. Freud, nomme une « identification masochique à l’agresseur » (p 227).

Notes
85.

L’auteur aborde notamment le thème de l’accident aérien mais l’on retrouve cela ailleurs.