7-3-2- Lorsque la scène traumatique se transforme en objet fétiche, aspects théoriques

En nous servant des concepts de G. Lavallée (1998), nous pouvons avancer que le « créateur visuel » oscille dans son œuvre entre processus de symbolisation imageante et processus de fétichisation imageante (p 166). Nous retrouvons là, dans le secteur de la création, les deux grandes caractéristiques antagonistes de contraintes à créer et désir de créer développées par R. Roussillon. Là où la fétichisation imageante est de nature défensive et est à la fois excitante et pare-excitante, la symbolisation imageante assure un travail de liaison . Néanmoins cette fétichisation ne recouvre pas de valeur péjorative puisqu’elle permet tout de même, par la « production de forte charge hallucinatoire positive » (p 167) de « réaliser un éprouvé de plaisir à la place d’une angoisse psychotisante » (p 167). Je rappelle que le fétiche est là pour colmater et / ou transformer la perception traumatique.

Qui plus est les images fétichistes, que nous voyons émerger de façon continue dans les œuvres picturales de certains artistes, sont investies sans que le peintre ne perde espoir d’en trouver l’énigme ; autrement dit de les transitionnaliser de façon primaire (en garder des images) ou secondaire (y poser des représentations-mots) 86 . Transitionnaliser une œuvre revient ici à pouvoir aller au-delà ; à passer comme dans le rêve, d’un processus contenant à un processus conteneur. Guy Lavallée, reprenant Winnicott, écrit à ce sujet : «  L’objet transitionnel peut se fétichiser […] et l’objet fétiche peut se transitionnaliser et s’ouvrir de nouveau » (p 177).

G. Lavallée répertorie ensuite quatre destins possibles de cette enveloppe visuelle qui prend une configuration fétichiste en cas de menace : le premier consiste en sa rigidification , il est lié à la mise en pratique d’une emprise à caractère pathologique trop importante ; Dans le deuxième destin, sa trop grande force peut déborder l’appareil psychique d’hallucinatoire positif investi en objet fétiche et entraîner une dédifférenciation dedans-dehors ; dans le troisième, il ne parvient pas à suturer l’enveloppe, la tension interne peut s’échapper sur l’extérieur et entraîner des passages à l’acte sur le fétiche (homme sur les femmes par exemple) ; enfin, si cette enveloppe est dévaluée, « la surestimation issue du moi idéal mégalomaniaque peut déclencher un mode d’autodestruction » (p 179).

Je m’aventurerai à présent dans un parallèle entre enveloppe visuelle et création picturale. Mon hypothèse est que lorsque la scène initialement traumatique réapparaît plusieurs fois dans une œuvre (picturale ou autre,) elle s’est transformée en objet fétiche, autrement dit elle admet moins un fantasme avec une scène s’étirant dans l’espace-temps qu’une forme de perception-écran revêtant différents contenus tous directement liés à celui-ci par contiguïté. Avec le concept de fétichisation imageante, cette perception-écran est à la fois excitante et pare-excitante. Elle éveille d’anciennes images vécues sur un mode masochiste en même temps qu’elle cherche à les contenir, à les transformer. Pour se sentir vivre, leurs auteurs joueraient avec ces vécus comme certains adolescents, dans leur conduite ordalique, jouent avec le danger.

A ce sujet, toujours en lien avec l’ouvrage de G. Lavallée (1998), celui-ci cite le travail de S. H. Philipps : « […] malgré l’énorme souffrance qu’il génère, le surgissement hallucinatoire répété d’événements douloureux est une ultime tentative d’intrication des pulsions de vie et de mort. » ( p 113). Sur cette question du retour du traumatisme, il cite plus loin Rosenberg : «  recherche d’érotisation de la destructivité interne dans le masochisme gardien de la vie. ». Cette érotisation nous la retrouvons dans l’objet et la scène fétichiste, le modèle de la construction fétichiste étant considéré par B. Grunberger comme une « phobie à l’envers » (Lavallée, p 167).

Notes
86.

Je m’appuie ici sur les conceptions de R. Roussillonque nous retrouverons par exemple dans Le plaisir et la répétition. Théorie du processus psychique. ; 2001. Dunod. Paris