Les points d’achoppement

Tout au long de l’œuvre de F. Bacon, nous percevons que ce travail de « recadrage », de recherche de contenance psychique ne trouve donc pas pleine satisfaction. Le vécu agonistique sous-jacent a peut-être été trop fort, ces premières traces ont été trop violentes et le travail du peintre fait en grande partie office de fétiche à contenu masochique. De fait, et c’est là où apparaissent les quelques avatars de la configuration fétichiste retrouvés dans les traces graphiques, ce travail de remises en images achoppe sur plusieurs points. Tout d’abord parce que ce travail de répétition fait toujours courir le risque d’une rigidification de l’enveloppe. Ensuite non seulement parce qu’il ne l’exempte pas de passage à l’acte mais peut contribuer à l’aggraver, son alcoolisme chronique témoigne au moins de l’absence d’effet thérapeutique sur ce point. Enfin, l’enveloppe à configuration fétichiste ne réussirait pas à contenir cet ensemble graphique, (composé de matériel psychique affectif, sensoriel, pré-représentatif et représentatif), car l’épisode de destruction est sans doute et continuellement reprise dans son ensemble. Existent donc des points d’achoppement, certainement dus au fait que ce sont les structures elles-mêmes qui sont touchées ici, bien plus que les contenus qui y figurent.

En tant que représentants de ces premiers vécus, les signifiants formels précédemment évoqués préservent en grande partie leur force pulsionnelle attractive, comme un rappel des premières représentations de l’image du corps. De fait les représentations graphiques sont déformées et Bacon attaque sa propre personne par ses conduites addictives en même temps qu’il attaque la toile, autrement dit ce fond maternel, tout en se méfiant des éventuelles mesures de rétorsion de celui-ci. Une émission radiophonique diffusée sur France Culture précisait à ce propos que F. Bacon « maniait son pinceau comme une épée et se tenait très loin de la toile, comme s’il croisait le fer avec un adversaire invisible » 90 . Les « toiles sont giflées, fabriquées par les coups ».

Le travail de réinvestissement du double, de réappropriation de celui-ci ne va pas de soi, il exige une confrontation douloureuse, un retour de l’échec. D. Anzieu (1993) reprend d’ailleurs les propos du peintre lorsqu’il laisse entendre que l’utilisation des plaques de verre sur sa peinture sert, outre l’interprétation du reflet renvoyé au spectateur dans une dénégation magistrale 91 , à renvoyer le spectateur « aussi loin que possible » (p 32). Le spectateur, en même temps qu’il ne peut s’empêcher de par le reflet du verre, de retrouver des parts de soi dans la scène, est appelé à préserver cette affrontement entre lui et ce double sur lequel il bute.

Si F. Bacon prétend ne pas s’arranger avec l’histoire 92 , il ne veut d’ailleurs pas profiler une histoire dans ses toiles, et y compris dans ses triptyques. De fait l’élément brut décomposé en trois pôles représenterait autant de signifiants formels, en deçà des fantasmes. La bataille se prolonge… Tout au plus semble-t-il utiliser les parties les plus névrotiques de sa personnalité pour couvrir du vernis social minimal les parties ses plus en souffrances, les plus déstructurées.

Notes
90.

id

91.

Dans le même ouvrage (1993), M. Monjauze souligne les divers paradoxes inhérents à la personnalité de Bacon. Je ne fais là qu’en débusquer quelques autres.

92.

Son histoire serait plutôt préhistoire, tout au plus histoire infantile.