Le rôle du travail conteneur

A partir de là, comment F. Bacon est-il malgré tout parvenu à devenir un peintre de renom ? Comment le développement de ce processus représentatif, attaqué dés les premières années de sa vie, a-t-il pu néanmoins se développer suffisamment pour qu’il puisse non seulement vivre hors d’un milieu protégé (institution psychiatrique par exemple) mais également pour qu’il puisse devenir ce peintre figuratif que nous connaissons ?

Sans chercher à rentrer dans les détails mais sans non plus vouloir éluder ce problème, j’indiquerai simplement que D. Anzieu (1981, 1993) a laissé quelques pistes de compréhension. Tout d’abord, cet auteur remarque que dans certaines de ses peintures, une ampoule électrique est éclairée, certes en arrière fond. L’espoir de parler un jour à quelqu’un, interprète D. Anzieu, n’est pas totalement mort… C’est dire qu’en quelques points spécifiques de son équilibre psychique, de l’ensemble de ses groupes internes , ce peintre a pu transformer ses objets fétiches en objet transitionnels, c’est-à-dire à atteindre dans certains domaines de sa vie psychique des paliers supérieurs, mieux intégrer, mieux discriminer. A y regarder de plus près, il n’y a pas que de la répétition à l’identique ni que de l’autodestruction, ni une absence totale d’enveloppe conteneur dans cette œuvre ; les retrouvailles avec une mère visuelle (ampoule au plafond), retrouvailles avec cette partie de l’objet mal introjectée, (voir les concept de G. Lavallée sur une mère visuelle primordiale) sont possibles.

A force de répétition, la lumière revient et l’espoir semble renaître. Des possibilités de liens, de contacts avec l’objet apparaissent également : quelques traces (des bras s’aventurant vers des formes maternelles, des dômes, des seins ?) en témoignent. En tant que signifiant formel ⁹³ à mettre en lien avec la problématique de l’image du corps du sujet alcoolique « un corps solide s’écoule », ces formes nous invitent à mieux cerner une personnalité limite se servant de divers objets anaclitiques pour se sortir de son marasme initial et potentiel. Ces objets, il les trouve bien sûr dans l’alcool mais aussi et surtout dans sa peinture et cela non seulement dans l’acte pictural (pas suffisamment transitionnalisé à mon sens) mais surtout dans le lien qu’il établit avec le spectateur.