Sur l’auditoire interne menant au figuratif : nécessité qu’un autre se saisisse de l’œuvre

Aussi paradoxaux que puissent être ses propos à cet égard, D. Anzieu porte également notre attention sur les cadres de verre qui se superposent à ses peintures, permettant au spectateur de contempler une création en même temps que sa propre image. F. Bacon remet au travail la problématique du double en nous ramenant sur l’espace-temps de son défaut fondamental. S’il y a transfert par retournement dans ce processus, l’autre ne deviendrait-il pas également, en tant que représentant maternel, cette petite lumière qui a tant manqué au peintre ? Il y aurait création de la « peau-visuelle hallucinatoire commune à la mère et à l’enfant » 94 qui a manqué dans le temps de construction du narcissisme primaire. Là où il n’a pu se sentir être l’autre, faute de déchirure constante dans cette unité duelle, F. Bacon nous convoque sur ce lieu de l’ambiguïté première, attendant probablement que de sa lumière intérieure jaillisse en contre-partie notre propre lumière, louant et gratifiant son œuvre. Le concept de coalescence de M. Pinol-Douiez (1984), évoque bien cette implication du « naître ensemble ». Loin d’être dans un simple retournement pervers dans lequel l’auteur jouirait de notre propre désarroi au vu de la violence de son œuvre, F. bacon attend que quelque chose se passe, que le spectateur se fasse l’acteur de la reconstruction de cette dyade initiale. Il veut consciemment le maintenir à distance et inconsciemment l’inclure physiquement et psychiquement dans la scène.

En terme de pulsions de vie, une dernière piste enfin pour saisir la pérennité de ce peintre : D. Anzieu met en avant les couleurs, jaune, vert, bleu ciel, rouge et rose, autant de couleurs potentiellement attirantes, emmenant l’autre à soit, créant du lien.

Autant d’éléments au fond qui, malgré la résurgence des aspects les plus traumatiques, des agonies les plus profondes, témoignent, a l’instar de la population psychotique et autistique, d’une force de vie, donc d’une forme de symbolisation. Cette dernière, si elle devait être définie, serait comprise entre symbolisation primaire, des figurations découlent de mise en représentation, et symbolisation élémentielle. Les éléments sont mal contenus, les structures trop perméables, le liquide, l’eau, s’écoule faute d’un réservoir hermétique.

Toujours est-il que la reconnaissance dont F. Bacon a fait l’objet grâce à ses tableaux torturés, et qui l’emmène à être l’un des peintres les plus chers du monde, a certainement répondu en partie à ses attentes.

Notes
94.

G. Lavallée. (1999) P 193