7-4- La spécificité du processus pictural

Par rapport aux conceptions de G. Lavallée (1999), je dirai que la prévalence du formant emprise sur le formant hallucinatoire, nous fait quitter la scène du rêve et de ses productions figurales pour pénétrer dans le champ spécifique de la création. D’autant plus lorsque les processus graphomoteurs rentrent en jeu. Sous mon angle d’approche, le domaine de la création est un en-plus qui se base sur ces productions liées au travail du rêve. Le travail du rêve serait ainsi un terreau sur lequel s’ajouterait des processus secondaires mais également des types particuliers de processus originaires et primaires. Il y aurait possibilité d’y rechercher un fond maternel accueillant, dans lequel, par le biais du double unaire, sujet et objet se confondent, comme il y aurait moyen de se construire un code dans lequel se sentir bien.

Les principales divergences entre rêve et création ont depuis longtemps été mises en lumière, le travail de D. Anzieu (1981) est très illustratif sur ce point. Selon cet auteur, un travail complet de création comporte cinq phases dont le saisissement créateur, la prise de conscience de représentants psychiques inconscients, l’institution d ‘un code, la composition et production de l’œuvre au dehors. Cela dépasse de loin la production onirique qui comprend pour sa part la première phase avec les niveaux de régression topiques et formelles, la dissociation, le saisissement, le retour d’une vérité oubliée sous forme onirique. Lorsque l’œuvre peut se faire, lorsque le créateur a réussi à « parer au jugement de son public intérieur et à se faire aimer de son surmoi » ( p 106- 107), la phase où il s’agit d’instituer un code et lui faire prendre corps, survient.

Toutefois, avant que le créateur ne parvienne à ce résultat, avant qu’il ne puisse créer une œuvre complète et personnelle, il lui faut s’exercer à partir de modèles de maîtres : il utilise alors un filet symbolique que le rêve ne peut offrir. Ce filet symbolique représente justement selon moi ce fond maternel accueillant qui, lorsqu’il est suffisamment consolidé, permet à l’hallucinatoire positif de se constituer sur son fond. Nous avons compris que ce fond maternel, que l’on retrouve sur le plan développemental, G. Haag postulant deux principaux fonds, est constitué par l’hallucinatoire négatif. Pour l’artiste- peintre averti, ce fond est constitué par ses maîtres s’il tend vers le génie, par ses paires s’il ne peut sortir des oeuvres communes à ses contemporains. Je prendrais plus loin l’exemple de de Staël.

Les artistes contemporains camouflent aussi leur propres failles en prenant pour filet symbolique les principaux cadres contenants qui marquent leur époque sur le registre de l’art contemporain.

Murielle Gagnebin (1988), dans un article dans lequel elle pointe le travail du négatif rentrant dans l’œuvre picturale, en proposant d’analyser quelques tableaux de peintres contemporains, montre comment ces failles, qu’elle finit d’ailleurs par nommer agonies primitives, peuvent y être camouflées. Elle analyse les tableaux de Kiefer qui cachent par des « coulées de peinture lourde, grise, marron, noire, terre, des raccords de papier kraft sauvagement agrafé, et des morceaux de pailles jaunes englués dans la résine et la gomme laque » (p 109- 110), des photographies représentant des camps de concentration. Elle indique comment Buraglio, dans une « multiplication compulsive d’enveloppes successives », des « corps rapiécés, ravaudés, substitués, agrafés » (p 110) tente de recoudre les pièces de son identité. Toujours, cette enveloppe primaire, constituée dans le triple point de vue métapsychologique du double unaire, se retrouve mais d’une façon déformée, effractive, traumatique. La possibilité de ce retour sur ces étapes traumatiques me semble portée par ces camouflages, comme espace transitionnel minimal pour favoriser le déploiement de l’économie du masochisme primaire et permettre l’apparition du réel brut, comme fond nécessaire. Le fond hallucinatoire négatif est donc dans ces configurations aire transitionnelle nécessaire.

J’en apporterai à présent un exemple à travers la monographie de De Staël. Néanmoins cette partie reprend tout un ensemble de points déjà travaillés.