Une forteresse fonctionnant sur un mode fractal (préservant sa part d’isomorphie structurale).

L’hypothèse est que la période de 1917, lorsque la révolution oblige les De Staël à s’éloigner de leur forteresse pour regagner la maison grand-maternelle, fonctionne comme un premier traumatisme. L. Greilsamer note à ce sujet que ce départ a été précipité, la gouvernante fuit avec les enfants en calèche pour se réfugier chez la grand-mère. Ce premier traumatisme sera vite suivi de plusieurs autres ruptures importantes dont le point culminant, après la mort de son père, trouve son apogée dans le décès de sa mère. La forteresse, c’est à la fois cette verticalité et cette force compacte, ces pierres scellées, solides et denses.

Ce que de Staël semble rechercher dans ses toiles peintes, on l’a vu, à la manière d’un maçon, c’est plus l’effet architectural, en trois dimensions, que les deux dimensions générées par la peinture. Il faut remarquer à ce titre que son premier intérêt artistique a été porté sur l’architecture, de Staël se situant ainsi à la lisière du bi et du tri dimensionnel comme s’il cherchait bien plus concrètement que symboliquement à se constituer cette armure. Sur ce registre artistique plus originaire 95 , De Staël se dit gêné de peindre un objet ressemblant : comme s’il volait quelque chose à l’objet représenté, comme si cet objet était moins représentation que chose concrète et matérielle, comme si, au fond, il était lui-même dans cette zone limite entre réel et symbolique, objet halluciné et objet représenté.

Il est à remarquer à ce sujet que la nature de ce représentant-représentation ne se limite pas aux représentations de chose. Interrogé sur le choix de ses titres (qui peut paraître aléatoire au vu des masses de couleurs méconnaissables, en terme de significations partagées, laissées sur le papier), de Staël répond : « Les titres, ah, la, la ! Pas d’idée littérairement traduisible, dite dominante le tableau d’un bout à l’autre, si ce n’est pigmentaire, manuelle, plastique. Que voulez-vous, « Donc…, pourquoi ?, Oui, peut-être, jamais, maintenant… » sont des titres possibles à votre choix. » (p 17). Nous voyons bien l’embarras ici à donner une représentation de mot à la chose, autrement dit à lui donner un contenant autre que matériel.

Ce qui compte bien plus pour lui, ce qui semble être l’essence même du tableau est le processus graphique coexistant de tous les éléments archaïques que nous avons étudiés plus haut et qui s’ancrent dans la sensori-motricité, les couleurs (fonctionnant en équation symbolique sur le registre des émotions, la densité du tableau, sa taille, sa forme). J’ajouterai que le titre, en tant que mot, clos l’œuvre, or, nous l’avons vu, cela peut aboutir sur le vide, un nouvel éloignement intempestif, et cette fois-ci intolérable, ingérable, de la forteresse familiale. L’essentiel, nous rappelle M. Milner (1950) à ce sujet, est de créer et recréer la matière, une fois le tableau terminé, il choit, ne compte plus, ramène de la désidéalisation. Un titre clos un chapitre tout en l’ouvrant, en l’encadrant. Le risque est de voir que le tableau n’a pas « guéri », n’a pas prodigué le soin psychique attendu.

Notes
95.

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