Une forteresse comme défense paradoxale pour retrouver et combattre le vertige

Toute sa vie, de Staël n’a eu de cesse de reconstruire cette forteresse. Son éloignement suivi de sa destruction fantasmatique, est à retrouver afin de pallier à ce vide pascalien qui hantera le peintre sa vie durant. Son espace pictural est un mur, à la fois rassurant et donnant le vertige. Cette représentation du mur est clivée plus qu’ambivalente : elle sert tantôt les intérêts de l’artiste dans sa dimension contenante, fortifiée et rassurante ; elle les dessert en revanche quand le mur revêt une hauteur indéfinie, écrasante par sa taille. Ces réflexions introduisent d’emblée des remarques prises à plusieurs niveaux sur le plan théorique mais de dimension fractale sur le plan de la clinique (tout sera lié en étroite coalescence (selon le terme de M. Pinol Douriez, 1984).

Sur le plan le plus archaïque, l’on trouvera dans cette représentation du mur sa dimension matérielle, élémentielle.

Le mur est l’espace pictural.

De Staël le dit lui-même : « L’espace pictural est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement. » (p 19). Cet espace est en effet un lieu vertical que je rapprocherai de par sa terminologie d’une carapace, je pense que cet espace, dont le peintre se repaît occupe une fonction défensive. Une défense quelque peu rigide qui permet toutefois que des processus adviennent. Ces oiseaux libres de leur vol en témoignent. Il y a là quelque chose d’assez similaire à ce que nous avons déjà montré à propos de Laurent qui cache un besoin d’emprise rassurante du groupe derrière une défense rigide fondée autour d’une rigidité formelle.

Ce que représentent ces processus pour de Staël semble être essentiellement basé autour de l’ordalie comme peut-être dans toutes les défenses paradoxales (R. Roussillon). Il est violent, se met en danger, sa peinture est à la fois protectrice et dangereuse, il se met en situation limite au travers d’elle. De Staël retrouve en effet dans ce mur cette forteresse de son enfance. Le fond maternel et protecteur qu’il trouve dans sa peinture se superpose aux oiseaux, le fond se superpose à la forme, ce qui crée ce côté non figuratif, ce qui l’amène à concevoir son œuvre comme une « nouvelle façon de considérer l’espace ». Son idéal du moi (devenir peintre, se faire connaître) est lui-même directement lié, en symbiose avec son moi-idéal, à cette recherche des premières sensations de protection, cette recherche d’enveloppe maternelle et familiale protectrice et chaleureuse. La défense paradoxale, le retour sur la période heureuse renvoyant inévitablement sur la période charnière, traumatique, crée cette ordalie, ce risque continu.

Si de Staël tient à son vertige, c’est peut-être parce que ce moment n’est pas seulement annonciateur de la chute, des parades peuvent encore être trouvées. Il dit à ce sujet : « Le vertige, j’aime bien cela, moi. J’y tiens à tous prix, en grand. » puis prolonge sur la question de l’équilibre : « Ma peinture, je sais ce qu’elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de forces, c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C’est fragile comme l’amour » (p 19). La peinture pour ce peintre renforce en quelque sorte le jeu de la bisexualité, force et faiblesse, violence et beauté, verticalité et horizontalité (la chute) agissent constamment comme des paires d’opposés.