7-5-3- Une représentation du mur du plus archaïque au plus symbolique

Si les contenants, structurels dans l’œuvre de De Staël, touchent les pôles les plus archaïques ; les contenus qu’ils englobent dépendent pour leur part plus des événements traumatiques tout en mettant en scène certains moyens pour tenter de les dépasser.

Gilbert Lascaux note des traits de fulgurance, comme des éclairs, dans les ciels qu’il peint. Il y a un paroxysme, une foudre qui passe. Ces contenus seraient comme une sorte de croyance qui demeure. Croyance infantile en une décharge pulsionnelle propre à réengencer le monde environnant sur le modèle du désir.

En terme de symbolisation élémentielle, je propose de poser un double aspects à la fois terrien (renvoyant aux techniques et matériaux utilisés) et relatif à l’ignée (force pulsionnelle) ainsi qu’à l’aérien . L’allègement de sa peinture dans les années 50, son retour sur une peinture figurative, l’utilisation de la pâte translucide, sont autant de signes d’une orientation du peintre vers la transparence. En même temps il prend plus de risque. Le format grandiose de ses œuvres, son format inhumain, qui n’est plus à dimension humaine, montre une aspiration du moi vers une dimension autre, d’ordre élationnelle, maniaque, l’aérien lui fait côtoyer des sommets, des cimes d’où il ne reviendra plus. Sa dernière toile, inachevée à cause de son suicide, est la plus imposante (3.5 x 6 m.).

Derrière la coque, la carapace créée à la fois dans la peinture et retrouvée (trouvée / créée) dans le fantasme qu’elle génère, de Staël avoue cette fragilité qui s’ancre dans l’expérience traumatique. Cette fragilité est un vide agissant en continu comme attracteur, attracteur du corps, de son poids. Là où le mur s’ouvre et engloutit, fait chuter… Il y a un jeu avec le danger, jeu consenti par son auteur. « Il le faut bien car je crois à l’accident, je ne peux avancer que d’accident en accident. Dés que je sens une logique trop logique, cela m’énerve et vais immédiatement à l’illogisme. Je crois au hasard exactement comme je vois au hasard, avec une obstination constante ». Le hasard est risque de danger, exactement comme la roulette russe, jeu ordalique par excellence. Néanmoins cet hasard est ancré dans une profondeur, il n’est hasard que pour la partie consciente de son auteur. En vérité il est plutôt déterminisme, lesté du poids de son passé.

Cependant le mur, dira-t-il lui-même, est créé par son propre idéal du moi, instance plus symbolique qui a cependant tendance à présenter son pôle le plus dur dans cette oeuvre, faisant penser au surmoi archaïque des kleinniens. Le mur était alors composé de représentations imagoïques idéales véhiculées par Picasso, Matisse ou Kandinski. Quoiqu’il en fût, il s’agissait toujours en fin de compte d’une défense : se fortifier d’une muraille face à ces personnes qui elles-mêmes agissaient comme de forts et dangereux attracteurs. De Staël ne voulait pas travailler comme eux, rester un suiveur, il lui fallait se trouver / créer à partir d’eux, s’octroyer un peu de leur force créatrice afin de trouver la force d’un auto-engendrement. Là aussi, de Staël est sur cette limite intermédiaire si difficile à tenir, il se dit entre le figuratif et le non figuratif, avec des accessions à l’une et à l’autre, il se dit peintre de la « zone ». Pour lui celle-ci représente l’intrication inéluctable entre vie et oeuvre créatrice. Cette zone se veut hors courants artistiques établis, en dehors des critères partagés par ceux de son époque.

Ces tableaux sont en général composés d’un ensemble de figures géométriques dont des lignes, des demi cercles, construit en revanche avec des effets de perspectives, ce qui est très mal jugé par les autres peintres non figuratifs pour qui la composition de volume est contradictoire avec leur orientation. De Staël s’en défend en impliquant le poids des formes, leur situation et leur contraste qui doit être représenté selon lui. Il y a bien là, malgré le détour non figuratif, une prolongation de son attachement à ces composantes physiques déjà étudiées, un poids de l’origine lesté à son pinceau.