8-1- Pour introduire la notion de groupalité psychique dans un groupe de psychotiques déficitaires et autistes

Cette partie s’orientera sur les liens existant entre processus graphiques et phénomènes pathologiques en essayant de rapporter ces principales constructions théoriques aux travaux réalisés par certains psychanalystes de groupe. Notre questionnement se portera particulièrement sur les appareillages psychiques apparaissant à la lisière de la groupalité psychique interne et du groupe, ce dernier composé lui-même à partir de projections de plusieurs groupalités psychiques internes (ou groupes internes) sur un espace commun.

J’ai jusqu’ici mis en avant le fait que le processus graphique admet comme l’un de ses communs dénominateurs une dimension groupale, dimension de liaison du sujet qui le produit avec le groupe dans lequel il se trouve. Pour mieux dire, La trace focalise et fomente quelque chose du rapport du sujet singulier au groupe dans lequel elle est produite. Si j’ai évoqué ce thème tout au long de ce travail, cette dernière partie y insistera en visant la démonstration de cette hypothèse.

Ce thème général sur les liaisons intersubjectives m’est cher, je l’ai déjà abordé dans mon travail initial en désignant deux fonctions phoriques basées sur le registre archaïque : le porte-cadre et le porte-inertie. Comme je le souligne dans ma problématique, à chacune de ces fonctions correspond un processus graphique singulier. Je rappelle que R. Kaës, théoricien du concept de fonction phorique, a peu travaillé avec le type de population que j’aborde ici 97 .

Les concepts de fractalisation de l’objet métapsychologique et ceux d’attracteurs vont nous permettre de nous pencher tour à tour sur plusieurs dimensions intriquées des phénomènes qui agissent dans un groupe composé de cette population et travaillant à partir des processus graphiques. Bien entendu, comme je l’ai indiqué dans mon introduction générale, ce découpage en différents objets fractals revêt surtout un intérêt heuristique puisqu’il se retrouve rarement à l’état pur dans la clinique.

Ceci étant, le terme de fractalisation renvoie à la question du groupe au travers une nouvelle fois d’une triple dimension, admettant toute une série d’intrications et de voies de liaison dans le groupe, liens entre sujets du groupe autant qu’entre les groupes internes présents dans chaque sujet. Cette proposition de découpage découle des thèses apportées par R. Kaës selon lesquelles il existerait une homologie de structure entre les représentations inconscientes, les groupes internes et les processus à l’œuvre dans les chaînes associatives qui lient les sujets du groupe entre eux. L’équation fractale que j’en propose en fin de première partie va dans ce sens. En cela cette théorisation sur la notion de groupalité psychique, de groupes internes, la variation de ceux-ci dans le groupe, voire dans l’appareil psychique groupal, les organisateurs psychiques inconscients, sont autant de concepts qui m’apparaissent fondamentaux pour toute personne humaine, primordiaux en psychanalyse, et sous-jacente à mes propres hypothèses.

Quant aux contenus psychiques attracteurs, ils représentent sur le plan métapsychologique le point de vue dynamique (des forces et des conflits se mettent en action) et économique (elle revêtent, à travers leur quantum énergétique, une certaine quantité d’investissement et peuvent renvoyer par exemple aux expériences traumatiques). Ils composent eux-mêmes les groupes internes, en fonctionnant sur un registre plus ou moins primaire ou secondaire, plus ou moins syncrétique ou intersubjectif, et servant à la fois de matériels à lier et de moteur pour ces liens.

Avec comme fil conducteur l’autoreprésentation graphique, notre problématique commencera par se poser sur la dimension groupale dans les particularités qu’elle revêt quand le groupe se compose de sujets psychotiques déficitaires et autistes. Nous y croiserons les observations et analyses issues de notre pratique avec quelques travaux sur la question dont ceux de W. R. Bion (1961), ceux de S. Resnik (1992) et ceux d’O. Avron (1986, 1996, 1997, 2004).

Une fois le décor de ce que nous appèlerons le groupe archaïque planté, nous prolongerons ce cheminement en abordant, au travers d’une analyse théorico-clinique, la question de ce qui conditionne l’existence de ce groupe archaïque. A la base de la constitution de celui-ci, nous serons amenés à utiliser le terme d’intersubjectivité primaire . Nous verrons que, pulsatile, celle-ci oscille entre des processus plus ou moins syncrétiques, plus ou moins progrédiants.

Tous ces phénomènes seront abondamment illustrés par l’analyse clinique de cinq séances. Cet important chapitre clinique permettra d’asseoir et d’éclairer le lieu « d’où je parle », lieu « d’incubation » 98 des éléments théoriques qui suivront. Afin de saisir ce qui dépend plus des éléments syncrétiques ou plus des éléments intersubjectifs, nous questionnerons les effets qu’une absence de l’un ou l’autre des référents du cadre entraînent chez nos sujets. Toutefois, pour de ne pas alourdir cette présentation, qui servira avant tout à agrémenter notre réflexion théorique de multiples exemples cliniques issus de notre pratique, je propose une fois encore dans cette partie une lecture à deux niveaux avec un segment descriptif du déroulement des diverses séances et des illustrations photographiques qui vont avec, matériel que le lecteur trouvera en annexes 3. Ne restera alors dans ce corpus que le segment commentaire et analyse établi par le biais de chaînes associatives groupales et graphiques.

Nous aborderons ensuite plus particulièrement les thèmes des corrélations de subjectivité se manifestant dans ce type de groupe. Pour travailler ces liens archaïques, nous reprendrons le concept de fonction phorique mis en avant par R. Kaës (1993, 1994) et indiquant plusieurs modalités de liaison des appareillages psychiques entre eux. Comme ces fonctions phoriques sont à mettre en lien avec la notion de corrélation de subjectivité, terme utilisé par R. Kaës en 1999, nous émettrons l’hypothèse qu’il existe des corrélations de subjectivité qui peuvent se lire dans les comportements et les traces graphiques pour la raison que ces premières conditionnent ces dernières.

Ceci nous amènera à postuler l’existence de groupes internes chez les sujets déficitaires. Les développements déjà effectués, et notamment les parties I et II, nous viendront en aide dans cette réflexion. Cela posera le problème spécifique de l’existence de ces groupes internes dans note type de population, leur fonctionnement éventuel dans le système intrapsychique et leurs répercussions dans le groupe.

Nous finirons enfin, forts de ces quelques éléments d’analyse, par proposer quelques hypothèses autour de la prise en charge thérapeutique.

Notes
97.

Lors d’une discussion que nous eûmes par le passé, R. Kaës m’avait effectivement encouragé à suivre cette voie.

98.

Le terme incubation, outre l’acception médicale qui indique un temps séparant l’époque de la contagion et l’apparition des premiers symptômes, indique également le développement de l’embryon dans l’œuf, dans une poche incubatrice. J’utilise plus ce mot dans ce sens, la poche étant en quelque sorte le travail conteneur.