8-2- Sur la notion de groupe archaïque

Qu’entend t-on par là ? Nous regroupons dans cet ensemble les sujets déficitaires autistes et psychotiques.

Tout d’abord, en terme de terminologie, appeler ce groupe « groupe psychotique » pose des problèmes : en premier lieu, la variété étiologiques des psychoses ne met d’abord pas en valeur la spécificité que représente la psychose déficitaire ; en second lieu tous les sujets ne sont pas psychotiques mais aussi autistes ; en troisième analyse, le groupe dont nous parlons nous comprend dans son enveloppe : nous y sommes impliqués, le « porte-cadre » par exemple s’empare des éléments du cadre et du dispositif que nous avons mis en place, nous obligeant de la sorte soit à reprendre les choses en main au cas échéant, soit à accompagner ce type de fonction phorique de notre parole. Pris, intrusés par les processus mis en jeu, c’est quelquefois la phase d’analyse des contre-transferts et inter-transferts, phase qui succède à l’atelier, qui nous permet d’en sortir.

Le terme « groupe déficitaire » manque de précision, des déficits sont analysés en psychologie clinique comme en psychologie cognitive ou en neuroscience. Bien qu’étant un fil rouge reliant l’ensemble des sujets dont nous traitons, la notion de déficit est donc trop large.

Nous ne pourrons pas non plus parlé de « groupes autistiques », le paradoxe manifeste (mais seulement manifeste) entre processus de fermeture sur soi et groupalité est trop ancré pour rendre ce terme facilement admissible.

J’ai donc opté au final pour le terme « groupe archaïque  ». Il me semble congruent avec l’optique générale de ce travail en cela que notre objet d’étude, que ce soit l’appareil psychique, les mécanismes psychiques à l’œuvre dans les processus graphiques ou encore les rêves sont analysés tout au long de ce travail sous l’angle de l’archaïque. Cela représente d’ailleurs une bonne raison de nommer ce type de groupe. Comme je le rappelle en introduction, nous travaillons moins sur l’originaire que sur l’archaïque ici. En rappelant brièvement la définition de ce terme qu’en donne R. Kaës (2003), l’archaïque renvoie à une « construction de l’objet instable », des « mécanismes de défenses rudimentaires », des « mouvements pulsionnels massifs ». Tous ces aspects sont au fond aussi présents dans notre population étudiée qu’en nous-même. Les différences se font en terme économiques et de fait dynamiques. A partir de là nous nous attacherons dans ce qui suit à expliquer le fonctionnement de ce type de groupe.

Mais avant tout que revêt donc ce terme ? Certes, la situation de groupe alimente déjà les dimensions les plus archaïques des sujets qui la vivent. Les travaux de D. Anzieu (1975) sur l’entité groupe dans ses liens avec l’inconscient, font ressortir l’existence de « fantasmes de casse », opérant en deçà de la castration proprement oedipienne, ainsi que d’angoisses de morcellement ou encore de retour des angoisses d’ordre sadique-orales dans les moments de groupement. Toutefois, l’idée de groupe psychotique revêt des spécificités en cela que celui-ci se structure selon différents pôles constitués entre autres par la psyché du ou des thérapeutes eux-mêmes.

En cela ce type de groupe est d’ordre hétérogène et rentre partiellement dans la catégorie de l’archigroupe conceptualisée par R. Kaës (1973) et reprise en 1993. « […] il s’agit de la forme que prend le groupe sur le modèle de la relation bouche-sein, plus généralement selon la perspective établie par P. Aulagnier (1975) sur le modèle du rapport objet-zone complémentaire ». (p158). « Plaisir, déplaisir » et état de la matière groupale : « corps plein et lourd », « corps vide », « cercle », « éclat », deviennent autant de caractéristiques définissant ce type de groupe « organisé par l’imago de la mère archaïque ». L’adverbe « partiellement » renvoie à une oscillation progrédiante / régrédiante observable dans les interliaisons groupales (O. Avron).

C. Pigott (1999) a repris ces concepts issus de la théorie de P. Aulagnier en proposant trois types de groupes dont le groupe originaire, primaire et secondaire. Je pense que chaque groupe (psychotiques, névrotiques) est constitué de ces trois ordres de réalités. Cependant le groupe archaïque ne fait pas que plonger ses racines dans l’originaire, il en est encore en grande partie emprunt. Il est à présent assez aisé de constater que ces théorisations renvoient bien à nos principaux développements, notamment dans la liaison entre les matériaux proposés et les sujets en présence (Laurent est un bon exemple de ce lien à la zone complémentaire).

En somme cette notion de groupe archaïque introduit selon moi une diversité directement issue de ce qu’apportent les différents sujets en présence. La pluralité des groupes internes de ces derniers crée en effet une liaison entre ces différents niveaux, ces différents registres qui se créent à proprement parler dans les groupes psychiques. S. Resnik (1992) caractérise la versatilité de ces registres de la sorte : « Des groupes fondés sur un abîme confusionnel expansif et rétractif, et donc pulsatile, introduisant l’idée de la division dans la groupalité intangible et confuse ». (p 22)

Lorsque l’on est en présence de ces sujets, nous n’avons d’ailleurs pas toujours le sentiment d’être avec un groupe tant les processus auxquels nous avons affaire se déroulent soit dans la coupure, le retrait, soit dans une recherche dyadique, recherche de complémentarité, d’étayage.

Dans ce deuxième cas les processus organisateurs qui relient chacun de ces sujets entre eux renvoient surtout à l’hypothèse de base dépendance révélée par W. R. Bion (1961), dans ses études sur les groupes de travail, au travers d’une attente des patients envers leur thérapeute. Vu la grande dépendance affective des sujets en présence, cette hypothèse (ou présupposé) de base reste un vecteur essentiel de la structuration de notre groupe. Toutefois cette valence, qui fait se combiner entre eux plusieurs sujets d’un même groupe, n’est pas unique. Faute d’homogénéité, d’autres sujets portent, à certains moments pour les uns, de façon privilégiée pour les autres, d’autres types d’hypothèse de base marquant par exemple cette rupture et ce retrait soulignés précédemment.

Le présupposé attaque- fuite est ainsi souvent utilisé par les sujets les plus autistes de notre groupe. Il s’agit alors pour eux de s’y retirer partiellement afin d’y faire face. Toutefois ce retrait n’est pas total et a eu tendance, grâce aux effets thérapeutiques et évolutifs, à s’estomper progressivement (mais jamais totalement pour ces mêmes sujets) au profit de l’hypothèse de base dépendance. Reste que, ponctuellement, cette hypothèse puisse être utilisée tour à tour par chacun des membres du groupe. Conformément à ce que soulignait W.R. Bion, elle peut se mettre en place lors de certains éclaircissements fournis par les thérapeutes et non acceptés comme tel, la liaison créée par le processus de symbolisation est alors inentendable (voire notamment pour Francis qui en prend la fuite).

L’autre hypothèse de base, qui s’exprime elle aussi de façon ponctuelle, est le couplage. W. R. Bion fait remarquer que ce présupposé renvoie dans les groupes qu’il a observés à un espoir messianique et est annonciateur d’une partie intégrante de la sexualité. En tant que ces hypothèses de base sont des représentants des états émotionnels spécifiques (R. Kaës, 1993, p 62-63), cette dernière hypothèse serait ainsi la plus évoluée. Dans notre groupe, elle correspond à des liens entre sujets du groupe sans forcément passer par les thérapeutes.