L’interliaison comme pendant à la sexualité sous-jacente aux effet de groupe

Dés ses premiers écrits, O. Avron (1986) souligne sa dette envers les travaux de W.R. Bion avec ses hypothèses de « protomental », « protoreprésentation » ou encore « protopensées ». Sur ce dernier point, elle émet un parallèle entre la façon dont W.R. Bion théorisait sur les pensées et la notion d’émotion :comme il y a desproto-pensées, il existerait des proto-émotions. Cela demande un détachement d’avec la sensorialité et l’émotionnalité qui s’exercent sur l’objet. O. Avron pose l’existence d’une combinatoire émotionnelle labile précédent les émotions individuelles. Celle-ci se situe avant la création de l’affect se définissant lui-même selon S. Freud comme un représentant-représentation de la pulsion. En l’occurrence, l’affect qui est représentant d’une pulsion (comportant une source, un but, un objet et une poussée) serait a fortiori trop élaboré dans ce type de configuration labile. En outre, lors d’une conférence, O. Avron a situé la notion freudienne d’affect comme une « expression psychique de la pulsion sexuelle » 99 .

Dans son article datant de 1986, elle note que le terme de combinatoire labile est « […] à la racine des premiers surgissements émotionnels alors que leur qualification affective ne s’est pas encore densifiée par les comportements et l’histoire interindividuelle. » (p 71). O. Avron place cette possibilité combinatoire dans une époque indifférenciée ou encore, selon le terme sus-mentionné, dans un registre protomental 100 , avant l’élaboration des trois principales hypothèses de base développées par W. R. Bion (1961). Celles-ci seraient secondaires et défensives par rapport à la combinatoire émotionnelle labile initiale. Celle-ci se construirait probablement en coalescence avec les fantasmes originaires.

L’essentiel est de percevoir que cette combinatoire, pré-affective, « proto-pulsionnelle » en quelque sorte, interviendrait dés la mise en relation de plus d’un individu (tout comme les fantasmes originaires qui n’ont pu se construire en vase clos). Cette pré-émotion peut ou non entraîner le passage à l’émotion, émotion plus consciemment présente entre deux individus. Cette combinatoire émotionnelle occupe une fonction primaire, « à l’aube des états tensionnels ». Elle fait exister le groupe et ne se confond pas avec une décharge pulsionnelle, il s’agit plutôt d’une « instable mise en acte rythmique » qui va composer des scénarii labiles en faisant émerger les premières relations aux objets libidinaux internes. Cela rappelle les signifiants formels de D. Anzieu .

Au vu de ce qui a été précédemment évoqué au sujet du groupe psychotique, cette notion d’émotionnalité labile est centrale. Les retournements de situations très rapides intervenants entre les sujets du groupe, nul ne dominant ou ne se soumettant à l’autre une fois pour toute, en sont des preuves formelles. Cela nous renvoie une nouvelle fois vers la théorie des catastrophes lorsque celle-ci se base sur l’expérience de la fronce, entraînant la réversibilité des opérations.

Toutefois, là où toute la richesse de son approche consistait à mon sens à séparer pulsion et émotion, O. Avron parlera plus tard de « pulsions d’interliaison » qui se doublent de la pulsion sexuelle. Même si je crois en l’existence simultanée de « phénomènes » sexuels et non sexuels, il me semble que cette nouvelle utilisation du terme « pulsion » soit un peu trop élaboré. Néanmoins l’auteur continuera à y voir une toute première forme d’accrochage des individus entre eux. Dans un article de 1997, elle écrit « […] dans un groupe, le moindre événement touche en même temps la dimension des images oedipiennes internalisées et la dimension d’une interliaison fluctuante qu’il faut maintenir pour pouvoir continuer à vivre et à travailler ensemble. »(P.15) Dans ses derniers écrits, O. Avron (2004) parle « [...] d’états subjectifs qui maintiennent la communauté d’un lien primaire ».

Tout ceci souligne bien que l’auteur est restée fidèle à l’idée de cette interliaison, de cette structure combinatoire labile tout à fait nécessaire à l’instauration d’une liaison, d’une relation. Reste en somme la question de la pulsion qui ne peut être présente d’emblée.

Toujours est-il que la prévalence de cette pulsion d’interliaison demeure un indicateur fondamental dans les groupes archaïques. L’affect et la sexualité qui y sont inhérents existent certes mais de façon diffuse.

Notes
99.

Conférence sur la question de l’émotion.

100.

Indifférenciation, je le rappelle, entre le mental, le psychologique et le physique.