8-2-1- Illustrations cliniques des processus se jouant dans les groupes archaïques

En ce qui concerne la fonction ectopique de l’inconscient. Nous reviendrons sur le cas de Salem mais avant, en ce qui concerne Laurent, j’invite le lecteur à se reporter à l’étude fournie plus loin au sujet de la séance du 3 avril 2002 (A2).

Laurent : la répercussion des fantasmes de casse et pulsions d’interliaison sur ses processus graphiques : entre mère-environnement et parents combinés

Fantasme de casse : terme intéressant mais certainement impropre dans sa structure sémantique pour témoigner d’une clinique de l’archaïque. Impropre mais cliniquement très utile. Avec W.R. Bion, nous reprendrons le terme d’hypothèse de base attaque-fuite pour tenter d’entrevoir ce qui se passe dans le psychisme de Laurent. Autiste, c’est bien sûr la fuite, le retrait, qui caractérise sa conduite en groupe. Bien plus ouvert et en confiance qu’à ses débuts dans notre atelier, il reste tout de même encore beaucoup voûté, tête penchée en avant, durant toute la première phase du dispositif et ne relève les yeux que lorsqu’il est sollicité. Aussi, dans son mode défensif, Laurent m’apparaît-il, avec Sylvain, vivant le plus le fantasme originaire de castration et se servant le plus dans une hypothèse de base attaque-fuite, des éléments du cadre réel (des murs, des fenêtres, etc.), de ce syncrétisme au sens où l’a repris J. Bleger de Wallon. C’est en tous cas l’application que je propose de faire de cette notion dans un registre archaïque.

La pulsion d’interliaison engendre donc des fantasmes originaires de castration qui eux-mêmes sont pare-excités dans l’espace groupal par l’hypothèse de base attaque-fuite. En lien avec la création graphique, l’empreinte picturale, l’amoncellement, la forme spiralée ouverte, centrifuge, sert à la fois de défense et d’ouverture vers l’altérité :

  • de défense puisque nous avons constaté, et nous nous appuyons ici sur quelques séances similaires, que lorsque Laurent parvenait, lors de contextes singuliers, à sortir de sa trace- magma pour peindre des formes humaines qu’il nomme « papa » et « maman », il était comme fragilisé et suscitait d’autant plus notre fonction d’attention, lui qui habituellement semble se débrouiller sans trop nous solliciter. Défense par l’empreinte donc, matière d’abord auto-sensuelle (il sourit en sentant la peinture), mais aussi magma devenant coque qui, de diluée, se rigidifie dans ce processus paradoxal d’inclusion réciproque décrit précédemment.
  • Mais ouverture vers l’altérité également : spirales centrifuges, inclusion réciproque, son empreinte semble lui permettre d’aller spatialement (sur la surface de la feuille) vers autrui.

C’est bien à cause de cette ouverture vers l’altérité que le travail avec les processus graphiques s’avère utile pour Laurent. Comme je viens de l’indiquer, il peut sortir du magma, à la fois défense et représentation de son image du corps, pour rentrer dans un espace créateur « figuratif ». Mais ces personnages parentaux, entraînant par effet de collage du représentant avec son représenté une fragilité narcissique, doivent être accompagnés. Cet accompagnement passe par notre fonction d’attention à nous thérapeutes. Si celle-ci ne s’exerce pas de façon suffisante, le fantasme originaire de castration (ou fantasme de casse) fait retour, la structure peinte exposant le sujet aux aléas de l’altérité. Comment ne pas faire de liens ici avec la fuite ou le retrait constaté chez les personnalités autistiques ? C’est bien la relation, dans ce qu’elle a de potentiellement sexualisée, qui effraie.

La trace graphique figurative éveille et vectorise quelque chose de nouveau par rapport à l’effet d’interliaison : cela réveille la partie sexuelle qui la côtoie. Je rappelle à cet égard que pour O. Avron toute vie de groupe fait coexister un effet de présence non sexuel avec des pulsions plus sexuelles. J’illustrerai cette pulsion sexualisée passant dans la figuration par un exemple : lors d’une séance où Laurent avait peint ses parents et où il commençait à repasser par dessus ses tracés, paraissant déployer une nouvelle empreinte, je lui posais la question de ce qu’il était en train de faire. Il me répondit qu’il continuait à peindre son papa et sa maman. Ne peut-on y voir ici ce type de pré-fantasme originaire marquant une problématique de la figure des parents combinés, en-deçà de celle d’un fantasme originaire comme la scène primitive? Si l’on sait que cette figure 101 , antérieure à la scène primitive, est chargée de violence et de radicalité, il semble que le processus de symbolisation picturale permette de le mettre en scène. Cela ne va pas sans tension : l’équation symbolique prévalente entre représentant et représenté, peintre et formes dessinées, fragilise le système, il convient de le combler par une nouvelle accumulation de couches. Père et mère sont alors mélangés, mêlés dans un même espace, tirant leur force l’un de l’autre. La sexualisation naissante retourne alors à son amalgame initial.

En sommes, quelque que soit notre interprétation, on peut constater pour Laurent que, lui qui peint habituellement des empreintes, pouvant faire penser à un groupe originaire marqué par l’imago maternelle archaïque, il peut, dans certaines conditions, déployer devant nous sur un mode plus figuratif une relation dans laquelle père et mère figurent en se chevauchant à l’infini. La représentation-chose, mise à jour sous le sceau de la figuration, potentiellement dangereuse en cela qu’elle expose le sujet au joug extérieur, doit être recouverte, tout comme lui se recroqueville face au groupe. Il y a donc un passage régrédiant des parents combinés à la mère archaïque, unique et despotique.

Dans le domaine de la sensualité, cette mère archaïque figurée renvoie sur l’auto-sensualité renvoyant elle-même, au travers de processus auto-calmants (Sregg, 1994), sur un pictogramme de liaison (P. Aulagnier, 1975). Ce retour à l’auto-sensualité dans le groupe peut donc s’expliquer comme une façon d’échapper aux liens sexualisés, trop compliqués pour sa gestion psychique.

Un autre sujet de notre groupe a pu parfois réussir partiellement à passer du syncrétisme à une mise en perspective de relations plus sexualisées : il s’agit de Salem.

Notes
101.

Cette figure a été mise en lumière en 1928 par M. Klein. L’enfant très jeune vivrait un sentiment de violence extrême à l’idée d’être exclu par les parents. Le fantasme de dévoration des parents entre eux en est corrélatif.