8-3-2- Bilan et ouverture

Comportement face à l’absence chez les cinq sujets de notre groupe.

Constante générale : tous sont en-deçà de la problématique Oedipienne. Ils oscillent entre excorporation et processus ectopique de l’inconscient, interliaison, affect et sexualité. En général, l’absence compte moins que la qualité de la présence et il n’est bien sûr pas possible d’assurer l’équation homme = fonction paternelle et femme = fonction maternelle. Néanmoins le masculin et le féminin peuvent surdéterminer non pas des fonctions traditionnelles mais plutôt des fonctions archaïques à dominante plus violente. Destructivité, aliénation, parents combinés sont alors prévalants, l’autre est vécu comme intrus ou comme force omnipotente.

  • Grégoire  : il oscille entre des positions de démantèlement de l’appareil sensoriel au niveau le plus régrédient et une position pseudo-oedipienne en laissant surgir une destructivité auto ou hétéro-centrée. Je décrirai donc les processus du plus régrédient au plus progrédient :
    • Position de démantèlement : Cela se passe lorsque Grégoire est vraiment mal. L’absence de l’un ou de l’autre n’est pas une condition nécessaire bien qu’elle puisse surdéterminer son malaise si elle vient faire écho à un problème du moment. Il peut alors y avoir un retour du non-processus/ cadre là où habituellement il est plus centré sur le processus. Grégoire projette alors sa faille psychosomatique sur le Réel du cadre. Il fixe un objet du cadre et dit qu’il est cassé, il se met alors comme en catalepsie, semble se noyer à l’intérieur . L’extérieur est cassé au même titre que lui-même et pour se défendre du démantèlement de l’appareil sensoriel, il se retrouve dans un point de l’espace.

Exemple : une lumière présente dans le cadre est cassée. L’objet absent devient, dans le cadre, objet cassé. Pour cela, et en conformité avec l’hypothèse fractale, il dessine des objets manquants, défaillants, eux-mêmes cassés. Le dessin peut ainsi servir en première phase d’accrochage visuel, en deuxième phase d’agent actif pour dire quelque chose du cadre défaillant : une voiture peut apparaître où il manque moteur et contact.

En somme ce sont des instants dans lesquels le cadre, habituellement non processus, commence à jouer un rôle, où l’appareil perceptif s’y projette, le fait exister. La plupart du temps quand il est pris dans ce type de fonctionnement, il ne peut créer, la parole envahit tout le champ perceptif, elle peut être prise comme une logorrhée causée par quelques processus hallucinogènes pour pallier le manque, Grégoire ne fixant plus son interlocuteur en parlant. Les processus graphiques quant à eux, impliquant une mise en avant du corps dans une plus petite unité de mesure (marquée par la mise en lumière des signifiants formels), sont délaissés, comme non accessibles. La motricité fine qui en découle en est exclue. En relation avec l’ambiance groupale, lorsqu’il parvient à sortir quelque peu de sa fixation (par projection / incorporation) sur le cadre, Grégoire est alors pris dans une identification projective pathologique massive où il va comme diluer des parties de lui-même dans les espaces des autres pour les récupérer. Il peut par exemple s’emparer de tous les commentaires du groupe pour les faire siens, déposer son objet aliénant, son père, sur tous les autres sujets du groupe. L’objet aliénant en interne se défend en externe sur le mode tyrannique. Cependant, tyrannisant l’autre, il déserte son corps.

  • Position pseudo-Oedipienne : Position la plus progrédiente. Grégoire se prend pour l’objet manquant. Il commence tout de suite à dire qu’il a grandi, (par exemple dans la séance A1, il dit à Agnès que celui qui manque, c’est son copain) mais la phase de rivalité, avec sa connotation normalement sexualisée, n’est visiblement pas atteinte, le conflit est non seulement évité mais rendu caduc par un effet d’asservissement envers une position idéalisée. Il n’en veut pas à l’objet de même sexe. Exemple avec la séance A2 où il dit « on est content de Frédéric » ou encore « je penserai à vous et à Frédéric ».

En l’absence d’Agnès, ma présence unique semble saturer l’appareil psychique de Grégoire de représentation paternelle (surdétermination paternelle due non seulement au fait que je sois un homme mais surtout au fait que je le recadre régulièrement). Il s’en défend soit par l’emprise tyrannique sur le groupe (puisque l’objet aliénant est surdéterminé et vécu passivement en interne, il va s’en protéger en s’en rendant actif dans le groupe). Autre fonctionnement si celui-ci, finalement plus élaboré, s’avère insuffisant : il se retire de la scène, s’efface psychiquement. Ou encore, telle la séance F1, il se met en position infantile. Néanmoins des formes de rivalité, très déplacées, peuvent se jouer également : lors de la séance F2, j’ai interprété qu’il me tirait dessus, que son agressivité était bien à la base dirigée contre moi. La destructivité trouve néanmoins un médium sur lequel sont déplacées les pulsions agressives.

En mon absence, la surdétermination paternelle absente, il peut soit attaquer indirectement la référente du cadre (les lapins blancs tirés par le chasseur) ou encore, au cours d’une autre séance dans laquelle la sphère sadique-orale (cannibalique) était prévalente, il peut représenter graphiquement des animaux dévorants. Rien d’étonnant à voir ce phénomène intervenir dans la sphère femme = maternelle, puisque avec sa propre mère Grégoire a très longtemps laissé surgir une forte agressivité, se manifestant sous forme d’emprise pathologique, face à laquelle celle-ci n’a pu avouer sa peur que récemment.

Invariants souvent rencontrés dans ces deux positions :

  • Faille psychosomatique « simple »: il se plaint souvent d’avoir mal à la tête mais, de par le repli sur lui-même, la sensation d’être éclaté dans l’espace est moindre. Il nous parle alors de sa douleur mais cela fonctionne plus comme une exposition d’une angoisse / signal d’alarme. Voir par exemple la séance F1. 
  • Attaque / fuite : Là le jeu avec la destructivité s’opère sur l’autre. Ce comportement peut rentrer aussi bien dans la phase de démantèlement que dans la phase ultérieure dans laquelle il attaque les positions parentales mais non au travers d’une problématique oedipienne triangulée. Il parle d’autre chose, s’évade par la parole, bifurque sur autre chose, est en dehors. Ce fonctionnement est assez similaire à celui de Francis et est à mettre en relation avec la logorrhée.
  • Rolland : L’absence est d’emblée perçue par Rolland qui peut la traduire dans un langage plus compréhensible. Avec lui, un gradient supplémentaire survient : un autre type de langage rentre en jeu, s’éloignant du réel du cadre mais n’accédant pas à des affects sexualisés. Dans sa problématique symbiotique, l’absence ravive, au travers de la perte d’objet d’étayage qu’elle peut sous-tendre parfois, en fonction de l’objet perdu, une défaillance narcissique importante. Dans un contexte transférentiel, l’une ou l’autre de nos absences renvoie à l‘imago maternelle ou grand-maternelle. Aussi, globalement, sa sensibilité le fait réagir aussitôt à cette absence. Exemple lors de la séance A2 dans laquelle Rolland demande d’emblée où je me trouve. Il traduit verbalement la demande. Bien plus présent psychiquement, l’absence se lit plus dans les relations, les interliaisons, que dans ou sur le cadre. Cela renvoie pour lui à un vécu d’abandon. Par manque de constance représentative, par carence de la fonction de représentations, l’évocation d’une absence renvoie à la perte de l’autre et le risque de perte de soi-même par accolement. La fonction défensive se déroule pour lui par colmatage de l’absence grâce à l’énergie du groupe, à ses états natifs pré-émotionnels (séance A1 et A2). Rolland peut être aussi touché par l’absence d’Agnès qui peut lui faire penser à l’absence ou à la mort de sa mère ( séance F2).
  • Laurent : Pour sa part, Laurent est celui qui est le plus accroché au non-processus, aux éléments du cadre. Lorsque survient une absence, la moindre brèche dans le cadre (fenêtre ouverte et froid-séance A2) fait alors survenir des affects importants vécus en lui (sensation de froid) mais véhiculés du dehors. De fait, de façon ectopique, son froid intérieur trouve pour cause un objet extérieur toutefois compris dans la structure réelle du cadre. Sa peinture lui sert à lui aussi de défense, comme pour Grégoire : Laurent s’incorpore dans sa peinture, il n’admet alors pas que ses couches séchées dépassent, elles doivent rester lisses, non rugueuses (il les gratte alors). De façon globale, que ce soit mon absence ou celle d’Agnès, il semble que Laurent réagisse surtout en fonction des ambiances, du climat général, de l’environnement syncrétiqu e. Lors de l’absence d’Agnès, séance F1, nous voyons bien que la faille est avant tout occasionnée par moi-même dans mon insistance pour que le groupe parvienne à trouver l’objet manquant. Il cherche alors visiblement à colmater cette faille en utilisant Sylvain : cet absent-présent est certes moins angoissant à penser que la réelle absence d’Agnès. Pour lui, la faille doit être annulée au plus vite. Au besoin, il peut donc utiliser sa peinture, son empreinte, comme lieu de dépôt, comme recharge libidinale contra-phobique (deux mains sur sa peinture sèche). Sur ce point, une résurgence de son vécu affectif peut se lire, de façon ectopique, dans son choix de couleurs. Tout cela souligne la dimension d’accrochage au cadre ainsi que le fait (F. Tustin) que la personne autiste ne puisse vivre le manque. Ses empreintes en témoignent, le vide aspire (peut-être entraînant le sujet dans ce « trou plein de piquants » évoqué par F. Tustin) ? Mais le vide c’est aussi l’inconnu, l’altérité, toute scène primitive potentielle est vécue dans une fantasmatiques violente de parents combinés, l’imago maternelle archaïque est donc ce plein qui vient éviter la fissure.
  • Francis : L’absence de personnes chères semble accentuer son processus de fuite, un processus ectopique, de séparation d’avec soi-même. Elle l’emmène aussi à évoquer des lieux qu’il a appréciés (la Savoie) ou encore, dans une version plus ambivalent puisque liant agressivité et libido, des sports qu’il aime (le foot) avec les équipes qu’il ou un autre (le père) a aimé (l’OL, l’OM) sans pouvoir les mettre en relation avec l’actualité, la situation hic et nunc. Tout devient haché, coupé, c’est à nous de faire les joints, les liens.

L’on pourrait dire que l’absence convoque chez lui l’absence, une autre absence plus ou moins ancienne en rajoutant de la confusion (mais cette fois-ci sur le plan diachronique) là où il en existe déjà de façon constante dans son espace mental. Exemple : il parle d’une Stéphanie ou d’un autre éducateur qu’il a connu des années en arrière.

Cependant nous constatons surtout que l’absence n’est pas prise de la même façon non seulement selon les personnes absentes mais surtout une nouvelle fois selon les qualités de présence des personnes restantes. Les séances A1 et A2 mettent en évidence le vécu de perte de Francis. En mon absence, une homosexualité primaire en double (avec dominante dans la phase du double unaire ) disparaît et c’est en somme, de par la fonction du double, une partie de lui qui s’étiole et le rend confus, perturbé, il peut y répondre par une agressivité diffuse, qui peut elle-même mener à une rivalité avec Grégoire. Toutefois cette rivalité est loin d’être oedipienne, elle reste indirecte et ne se joue qu’en prise directe avec nous, thérapeutes. Les fantasmes originaires de castrations sont très présents, ils véhiculent des hypothèses de base attaque-fuite. Attaque et fuite au travers des processus graphiques comme attaques et fuite dans les relations. L’hypothèse de base dépendance est pour sa part très importante, elle réclame la fonction d’attention des thérapeutes en présence.

Ainsi, l’absence d’Agnès détermine une énième fois la qualité de la présence de celui qui reste. Si celle-ci est suffisante (F1), l’absence est secondaire, si elle ne l’est pas (F2) Francis peut avoir tendance, mais toujours de façon morcelées, à tenter de revivre des moments heureux ou fuir, détruire les liens.

Malgré cette destruction fréquente Francis est toutefois un de ceux qui a le plus de capacités cognitives, le fait qu’il trouve parfois en premier les prénoms des absents en témoigne (séance A1). Bien étayé, il peut reconquérir quelques capacités de symbolisation. En réalité, Francis peut être aussi bien étayé par Agnès que par moi, il reste qu’en ma présence, il se focalise sur le représentant masculin qui représente alors cette sorte de double. Il existe peut-être alors un début de fantasme de séduction passant pour beaucoup par le collage. Ainsi peut-il y avoir des phénomènes de surdétermination du père pour lui aussi. Mais ces fantasmes de séduction sont eux-mêmes dangereux, ils génèrent des attaques. La séance F1 montre, au travers de plusieurs artifices (dont les ronds barrés), comment il tente d’éviter de sombrer dans l’autre, indiquant par là comment il se défend face à des angoisses claustrophiques véhiculées paradoxalement par une grande recherche de proximité.

  • Sylvain  : Il a une plus grande habitude d’Agnès que de moi-même. Il a travaillé avec elle dans le passé et il lui arrive encore fréquemment de faire des incursions dans sa salle. Malgré son comportement autistique, une hypothèse de base dépendance se lit chez lui. Elle sert certainement à se protéger des effets d’interliaison groupales. De fait, en deçà de rapports sexués bien discriminés, Sylvain peut paraître plus perdu en son absence (séance F1). Sans Agnès, il peut avoir tendance à se retirer, et du coup à sembler moins présent pour les membres du groupe qui le considèrent parfois comme absent. De plus le lien avec lui semble plus proxémique, plus corporel, sensoriel. Agnès est plus opérante dans la mise en place de cette fonction maternelle que moi qui m’exprime beaucoup plus par la parole. Sur le plan corporel, Agnès utilise un langage gestuel proche du langage des signes. Sylvain, qui a surtout besoin de soutien psychique, faisant office de soutien et de remplissage, oscille entre dépôt sur la feuille et utilisation de son corps lorsqu’il sent une agression. En dehors, il peut aussi utiliser la fuite psychique. Toutefois le dispositif, suffisamment étayant quand son objet d’étayage est présent, lui permet d’établir et d’expérimenter les contacts avec les autres par le biais du graphisme.
Rapport à l’absence
Processus à l’œuvre / Liens avec les processus graphiques chez chaque sujet du groupe Relation au corps. Coupure du groupe et retour sur soi. Liaison au fantasme originaire de castration Utilisation du cadre et démantèlement Fantasme originaire de castration Emotionnalité groupale. parents combinés et Fantasme de séduction Sexualisation des rapports. Fantasme de scène primitive, hypothèse de base couplage
Grégoire Pas de traces ou utilisation de la peinture sur le modèle de Laurent (identification mimétique) Première phase de collage puis réémergence dans les traces figuratives avec la matière peinture Là il n’y a plus mimétisme mais identification projective par le flot de paroles et l’accrochage aux objets internes d’autrui. Dessin formes partageables, dessins avec des formes géométriques. « Une voiture tracte une caravane » par exemple.
Rolland     Utilisation des couleurs comme colmatage aux failles. Energie du groupe utilisée. Dans les traces qui ne se touchent pas : sorte de lutte contre le fantasme des parents combinés. Non accession à la scène primitive. Tout doit rester clivé. Notre effet thérapeutique : ramener de la liaison verbale en première phase entraîne, en deuxième, la liaison dans ses traces
Laurent Utilisation peinture / empreinte comme objet contra-phobique. Colmatage de la faille liée à l’objet manquant. Relation à une mère archaïque qui peut être Agnès ou moi. Coupure face à l’interliaison et régression au niveau précédent. En fonction de différents facteurs dont notre fonction d’attention, figure des parents combinés dans traces. Mais : protection insuffisante, mise en danger.
Francis Spirales/ Balayages rythmiques   Coupure parfois liée au groupe ou à des interprétations très marquées Création de formes puis destruction des liens par recouvrement des traces créées.
Sylvain Retour des traces sur l’espace corporel   Coupure face à l’interliaison. Des liaisons s’effectuent dans les rapprochements ou les recouvrements de deux peintures