8-5- Sur la question des groupes internes dans une population déficitaire

L’idée de groupe interne représente un fil conducteur dans toute l’œuvre théorique de R. Kaës. Elle est déjà à l’œuvre dans son approche de l’appareil psychique groupal ( 1976) et se précise plus tard dans des articles sur la groupalité psychique (1981), les identifications multiples et les personnes conglomérats (1983). Elle apparaît clairement dans un article nommé « La diffraction des groupes internes » (1985).

L’ouvrage synthétique de 1993, permet à R. Kaës d’apporter des définitions encore plus précises sur la valeur de ces groupes internes en clinique. L’auteur écrit que ce concept est « […] utile pour concevoir la spécificité des transferts et des transférés, pour proposer une représentation des processus associatifs spécifiquement mobilisés dans la situation de groupe » (p 131). Il comporte dans ses structures fondamentales le « fantasme », « les systèmes de relation d’objet, le moi, la structure des identifications, les complexes et imago », dont « les imagos de la psyché » (p 132). R. Kaës (1999) notera d’ailleurs plus tard, en resituant cette notion par rapport aux recherches freudiennes, qu’ils opèrent comme des objets attracteurs : «  Freud nomme groupe psychique (die psychische Gruppe) un ensemble d’éléments (neurones, représentations, affects, pulsions..), liés entre eux par des investissements mutuels, formant une certaine masse et fonctionnant comme des attracteurs de liaison 105  ». (p 760).

Plus loin, il écrit : « la notion de groupe psychique semble s’imposer pour rendre compte de la liaison originaire des objets dans une structure et dans des formes qui constituent l’Inconscient ». Ils sont fondamentalement créateurs d’Inconscient autant qu’organisateurs de la personnalité : « Les groupes internes se qualifient soit comme des schémas d’organisation et de représentations actualisées par l’épigenèse, soit comme des acquisitions et des constructions obtenues par l’introjection des objets perdus. » (R. Kaës, 1993).

Tout comme dans l’appareil psychique en développement de l’enfant, toutes les oscillations rapides rencontrées dans un groupe psychotique présupposent l’existence de groupes internes composés d’un matériel psychique diffus, peu structuré, oscillant entre les aspects les plus matériels du symbolique et des phases plus élaborées avec des objets internes des représentations et des imagos plus ou moins partiels . L’existence, postulée et travaillée précédemment, de porteur, valide en partie l’hypothèse de la prévalence de ces « attracteurs de liaison ».

Dans un point de vue théorique similaire, et pour respecter la logique de la définition des groupes internes apportée par R. Kaës, ceux-ci se composent de fantasmes originaires autant que de fantasmes plus élaborés. N’oublions pas que ce type de fantasme n’admet pas de complément à leur sujet et verbe et sont sur ce point du même ordre que les signifiants formels 106 . Or, écrit R. Kaës (1993), « les fantasmes originaires sont les prototypes des groupes internes ». C’est pour cette raison que je les ai reliés plus haut aux hypothèses de base bionniennes fondatrices du groupement. En outre, ces fantasmes sont « anonymes et trans-individuels » (p 135). Ils sont toutefois de natures sexuels, prégénital, ce qui n’est pas forcément le cas pour les signifiants formels.

Or comme nous l’avons vu, ces fantasmes côtoient d’autres formes, non sexualisées, de processus intersubjectifs. De plus, au vu des manifestations que nous observons dans notre groupe, nous ne pouvons raisonnablement penser que les sujets psychotiques et autistes soient exclus de cette temporalité, ce qui nous emmènent à conclure à l’existence de groupes internes minimaux chez eux. Plus fragiles, moins résistant aux réalités extérieures, ces groupes internes, lorsqu’ils agissent et mettent en avant un processus psychique particulier, peuvent tromper, prendre l’apparence de variables, autrement dit intervenir de façon indéterminée. En fait il n’en est rien, ce qui peut paraître être une variable finit par devenir une constante lorsque, dans les mêmes circonstances et pour le même cas singulier, un événement similaire survient en fonction d’un contexte lui-même similaire. Cela souligne à mon sens la présence d’une mémoire y compris chez le sujet très déficitaire, mémoire de processus psychiques survenus et susceptibles, de nouveau, de survenir. Il y a donc quelque chose de répertorié, comme dans les groupes internes.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt d’existence de ces groupes psychiques est qu’ils permettent la liaison par le biais d’interrelation ou encore de corrélations de subjectivité. Cela a fait l’objet du chapitre précédent.

Notes
105.

Je précise que je n’ai trouvé de concept, marquant des effets groupaux à partir de processus internes, qu’après avoir moi-même parlé d’attracteurs. Cela permet en l’occurrence de valider, par le biais d’autres recherches le fait que l’attracteur puisse être aussi bien interne qu’externe.

106.

Il existe néanmoins un aspect ontogénétique de ceux-ci a contrario de ceux-là, plus de nature phylogénétique.