En présence de ces configurations psychopathologiques, la compulsion de répétition ramenant, nous l’avons vu, des expériences douloureuses puisqu’ « Au delà du principe de plaisir », doit être profitable au thérapeute. Si les processus économiques et dynamiques réussissent à contenir ces éléments traumatiques au travers de symptômes spécifiques à chaque structure psychique, le retour du clivé va se réaliser au risque de passer inaperçu. Il ne peut être appréhendé comme tel que si l’objet est en mesure de le « débusquer » au travers de ses manifestations cliniques. Nous avons insisté sur cette dimension au sujet des processus d’auto et de méta représentation.
Dans la dimension méta cognitive que nous mettons en jeu, R. Roussillon (1999) nous propose de repérer ce retour du clivé sous les formes hallucinatoires ou somatiques (les somatoses). Or cette conception me paraît fondamentale en cela qu’elle transforme notre regard et notre approche thérapeutique en retravaillant le concept de régression 107 : il n’y aurait ainsi pas de régression vers un état antérieur mais retour de l’état antérieur qui s’effectuerait de façon diachronique (prise en compte du laps de temps qui sépare le temps de sa réapparition de son point d’origine) et synchronique (en prenant en compte le lieu où ce retour se fait, la scène de l’actuel comme vecteur de ce retour).
Le retour du clivé est un retour des traces perceptives et sensuelles témoins de la période d’agonies primitives. L’idée est que l’appareil psychique ne peut s’en débarrasser et continue à ramener ce contenu non représenté au jour tant qu’il n’a pas acquis un nouveau statut. Ces traces perceptives non représentées se font porteur de la « mémoire brute de l’expérience enregistrée par l’appareil psychique » 108 et sont en deçà des traces inconscientes (représentations de choses) et des traces préconscientes (représentations de mots).
Habituellement, retrouver ces traces clivées, être à l’écoute du retour du clivé, est une action centrale en analyse puisque chacune de leurs apparitions, sous forme de gestes, de silence, de respirations profondes ou d’autres manifestations non verbales, signe que quelque chose est en attente d’être entendu, compris et formulé. L’attitude analytique préconisée par R. Roussillon consiste donc non seulement à être à l’écoute de ce retour mais surtout à aller le chercher là où il se trame. Le patient a besoin de se faire nouvellement sentir, voir, entendre et pour cela, malgré ses résistances, il a besoin de se faire signifier que des éléments au-delà du principe de plaisir se répètent en lui.
Si cette conception peut paraître quelque peu optimiste en ce qu’elle place les processus psychodynamiques et historisants au centre des affections psychiques et somatiques, sa valeur essentielle est de ne jamais lâcher une vue d’ensemble que nous perdons parfois à nous focaliser sur des détails processuels qui peuvent nous entraîner sur des pistes structurelles desquelles l’espoir se tarit. Or, si la logique qui anime le psychotique est celle du désespoir 109 , nous ne pouvons décemment pas nous y laisser prendre. Car comment appréhender autrement des stratégies thérapeutiques vivifiantes ?
Un hic toutefois survient dans ce travail sur le retour du clivé. Nous avons vu que les interprétations du thérapeute tentent de se porter sur le clivage, en se proposant de le creuser, d’aller le chercher et de restituer au patient ce qui peut être fantasmé des premières relations (qui resteront de toutes manières des points d’inconnues toujours reconstruites après coup). Or le patient, habitué à ses symptômes, n’a pas d’intérêts particuliers à être témoin de ce retour d’expériences catastrophiques sous forme d’un discours trop vrai, trop brillant, trop authentique. Au contraire même puisque cela est douloureux. Les résistances interviennent alors et avec elles la répétition de l’expérience d’absentification, de déflexion pulsionnelle.
A cela R. Roussillon, dans son entreprise de mise en adéquation des hypothèses de Winnicott avec la métapsychologie freudienne, propose de s’avancer à tâtons, ou pour mieux dire, « masqué », à travers des jeux, jeux du cadre comme il l’écrivait en 1995. Créer une aire de jeu pour devenir un « environnement symboligène des expériences traumatiques primaires » 110 est alors préconisé. Ces jeux sont divers : jeu de la spatule, aller chercher la chose chue ; jeu de cache-cache, ne pas interpréter tout ce qui a été deviné d’emblée, chercher, se fourvoyer, se rapprocher ; jeu de la bobine, laisser aller le patient dans une direction, le ramener dans la direction la plus probante sur le plan interprétatif… Tout autant de méthodes non persécutives qui vont permettre au patient d’accepter progressivement l’interprétation du non représenté.
Tout autant de méthodes qui fonctionnent, nous dit R. Roussillon, d’autant mieux lorsque d’une part l’ensemble de l’environnement est soignant et adapté sur mesure (pouvant survivre à la destructivité sans retrait ni rétorsion), et d’autre part lorsque les patients sont encore jeunes, point trop détachés ou point trop attachés à leur symptôme, c’est-à-dire pas encore totalement structurés autour de ce noyau agonistique.
S’il n’en va pas ainsi dans notre clinique, reste que ces points de méthodologie méritent d’être exploités.
Voir à ce propos l’article « La mort et le voyage dans le temps ». écrit dans le même ouvrage (1999).
id p 135.
R. Roussillon reprenant A. Green.
Cf R. Roussillon, 1999, op cit p 145