Questionnement par rapport à notre apport thérapeutique. L’atelier peinture-dessin pour Francis : un lieu de libération ?

Peut-être la fuite, la déliaison, dans un contexte de haute pression, est-elle libératrice pour Francis ? peut-être cela lui permet-il une maîtrise paradoxale d’une angoisse de vidage ? Nous ne précédons pas ses demandes, nous mettons des mots sur ce qu’il fait, nous l’accompagnons.

Si Nous savons à présent comment Francis se comporte aujourd’hui dans son foyer de vie, nous sommes moins au fait de ce que nous lui apportons en atelier peinture. Est-ce de l’ordre d’une nouvelle forme d’exigence (dessiner) ou bien d’une libération. Francis ne sourit généralement pas lorsqu’il dessine. En revanche, il semble prendre du plaisir à être dans un contact ponctuel. Si le contact est trop long, il se sent mal à l’aise, rougit, parle d’autres choses de façon compulsive, fuit par les questions. Je pense que l’atelier peinture lui a très longtemps rappelé des souvenirs scolaires, il semblait vouloir nous montrer au départ ses capacités grapho-motrices au travers de choses simples. Toutefois, en dehors de notre proximité (qui ne doit pas être trop proche je le rappelle), les formes partageables, géométriques, s’estompaient bien vite pour se délier dans des traces spiralées ou traces densifiées. Dans le même espace de feuille, les premières formes étaient très vite recouvertes par d’autres.

L’hypothèse est que l’atelier peinture a prolongé dans les premiers temps pour Francis une contrainte, un forçage affectif vécu plus ou moins difficilement (alternance entre confusion et ambiguïté). La défense inconsciente, s’il y en a, serait de nature paradoxale : fuir, se vider de l’intérieur, se vider de ses représentations-choses et perceptions non symbolisées au travers des traces graphiques pour éviter le vidage venant de l’extérieur (résultante probable des premiers troubles neurologiques et convulsions). La fuite, au travers des traces qu’elle met en jeu, serait alors une défense paradoxale : se rendre actif d’un vidage pour éviter de (re)vivre ce vidage.

Quand j’interprète en sa présence son besoin de fuite, son besoin de ne pas être là et son besoin tout aussi paradoxal, de manifester sa présence lorsqu’on s’adresse aux autres membres du groupe, il fuit en posant des questions de pays ou bien fait un sourire embêté (rougit) et dit « ah bon », reprenant ainsi les propres termes du père (l’autre de l’objet).

Aujourd’hui, en nous apercevant qu’il dessine de moins en moins de traces partageables, n’avons-nous pas finalement emmené Francis vers un mieux être, un lieu où il peut libérer cet informe qu’il a en lui dans un groupe, sans pressions et exigences à caractères anales ? Certes, une joie régulière ne se lit pas sur son visage mais cette expérience étant pour nous fragile, ne conviendrait-il pas mieux de nous féliciter lorsque son sourire point ? Ceci est important à prendre en compte car cela renverse sur ce point précis la perspective génétique adoptée lors de mon DEA : la trace partageable (codifiée) n’est plus « l’alpha et oméga » de la symbolisation puisqu’elle est peut être prise dans un réseau qui au contraire l’en éloigne. Francis est certainement en capacité de refaire ces formes mais à quoi bon ? Quelle valeur attribue-t-il au tracé d’une voiture ou d’un vélo lorsque nous savons que ceci est non seulement approximatif mais surtout ne représente rien de plus qu’une forme vide aussitôt dessinée- aussitôt désinvestie ? Pour nous départir des autres objets de son environnement ne convient-il pas mieux de changer d’attitude ? Si ces graphismes font plaisir aux autres personnes, comment le comprendre, nous, en tant que thérapeutes ? Au fond ces formes sont effectuées sans aucun fantasme, aucun plaisir.

Sa mère nous faisait remarquer à ce propos que son fils n’avait pas beaucoup joué dans son enfance et que cela l’avait inquiétée. Par manque de transitionnalisation primaire et interne, tous les vécus sont restés intracorporels, les traces cœnesthésiques et perceptives sont restées dans une part de son psychisme. Pourtant, l’atelier permet que ces traces psychiques fassent retour de manière hallucinatoire dans les traces graphiques, ce qui représente, par son mode de figuration, une première forme de symbolisation. Or tant que Francis répond / obéit à une commande, dessiner telle ou telle chose, le risque de s’aliéner une nouvelle fois est patent. Plutôt que d’accès libre et spontané à des traces anciennes, il y a retour sur une période exigeante de sa vie. Il nous suit alors mais comme il suit son père en tous lieux, « comme un petit chien » nous dit sa mère.