Relation mère- fils

Dans la relation de madame S avec son fils, des alternances amour/ haine se déroulent sans ambivalence, dans des clivages affectifs en tout ou rien. Laissant à son fils la possibilité d’étendre une certaine forme de despotisme par moment, madame S témoigne l’instant d’après, de ses propres contentions effectuées sur lui de façon assez violentes.

Au fond cette femme, qui a déjà fait des séjours en hôpital psychiatrique, alterne entre des phases où elle « laisse aller » et des phases de débordements pulsionnels dans lesquelles elle laisse sortir sa propre violence. Dans la difficulté de poser des cadres éducatifs et de garder une régularité de décision et de comportement, elle est confusionnante pour son fils, le plaçant tantôt dans une position infantile, tantôt dans une position de « chef de famille », selon ses propres termes. Elle alterne donc avec Rolland les oppositions binaires rapproché / rejet, présence / absence, douceur/ rudesse.

Dans son roman familial personnel, cette femme prétend ne pas avoir posé de limites à son fils avant l’âge de 20 ans, après quoi elle dit avoir été d’une extrême rigueur, voir rigidité (ce que ne confirme pas l’ensemble de son discours). Face à cet écart considérable, nous retrouvons chez Rolland un même type de fonctionnement en tout ou rien.

Tout ceci se fait sur fond de dépendance. Lorsqu’elle le place dans une positon infantile, elle fait à sa place, parle à sa place, le comprend sans qu’il ait besoin de formuler des mots. Ceci étant, Rolland ne se force pas pour parler, un travail en orthophonie soulignait cette difficulté qui n’était pas due au seul fonctionnement de l’appareil phonatoire.

Afin de ne jamais perdre le lien avec son fils, il est aussi difficile pour elle de s’en séparer que l’inverse, madame S utilise également des objets possédant une fonction d’excitation envers Rolland. Cette excitation passe par une fantasmatique essentiellement infantile  : elle lui achète des livres de cirque, des catalogues de Noël dont il se repaît et qui forment l’essentiel de sa culture. Pris dans une problématique psychotique, ces quelques objets excitants sont aussi des objets médiateurs, qui lui permettent d’attendre un retour indéterminé de la mère. Ceci n’est pas le cas pour d’autres objets tels que ses CD, les émissions sportives ou les films d’actions qui eux ne renvoient qu’à la décharge pulsionnelle. Plusieurs de ses passages à l’acte ont été constatés alors qu’il visionnait un film violent par exemple (il a déjà agressé d’autres résidents ou des professionnels).

En somme, l’excitation lui sert parfois à se protéger, de façon maniaque, des angoisses d’abandon qu’il vit lorsqu’il ne voit pas sa mère pendant des périodes trop longues (ou jugées comme telles). En revanche elle est parfois trop conséquente, pas assez métabolisée et effracte son faible système pare-excitation. Par rapport à sa situation familiale, j’ai déjà souligné dans ce sens le climat de violence latente et manifeste, le peu de protection de l’objet pare-excitant.

Au final, cette relation fait également penser aux descriptions de M. Malher (1970) sur les cas de psychose symbiotiques. On a parfois l'impression que Rolland se présente tantôt comme objet partiel pour cette mère, tantôt comme double d'elle-même dans ses attitudes. Madame S a ainsi souvent souligné les ressemblances entre elle et son fils sur plusieurs points (le désordre dans la chambre, la violence, la colère soudaine).

2- Au niveau sensoriel, Rolland ne présente ni trouble visuel ni auditif ; sur le plan de la latéralisation, il peut utiliser indifféremment sa main gauche ou droite. Sur le plan de la motricité globale, il maîtrise la marche et présente un bon équilibre ; ses mouvements dans l'espace apparaissent en lien avec une situation et sont donc peu marqués par des stéréotypies prononcées. La motricité fine n'a pas pu être diagnostiquée par la psychomotricienne mais madame S nous a appris qu’il savait dessiner des formes codifiées (maison, etc.) dans l’enfance. Concernant les praxies, il est à noter qu'il n'est pas opérant dans des actes requérant une maîtrise des mouvements fins des doigts, ainsi n'est-il pas autonome pour l'habillage, en revanche ses traces graphiques sont faites avec précision.

Le diagnostic est partagé quant à la reconnaissance de Rolland des parties de son corps. Concernant ses repères dans l'espace, il peut reconnaître les lieux familiers mais moins les espaces extérieurs à son unité de vie. Pour ce qui est des repères dans le temps, il fait la différence entre le jour et la nuit, tente toujours de se repérer dans le déroulement d'une journée mais y parvient difficilement, il semble toujours perdu dans un indéterminé temporel. Sa faculté d'attendre, de différer, est faible, il s'impatiente vite.

J'avancerai ici que Rolland vit l'instant présent avec des questions fortes envers son complément symbiotique. Cela tend à aller dans le sens d'une capacité, aussi faible soit-elle, à contenir l'objet pour un temps restreint. Néanmoins, s'il a la perception de l'objet dans ce laps de temps d'intériorisation et si cet objet ne lui est pas destiné, la pulsion fait effraction dans son espace psychique et l'attente ne peut plus se faire, envahi qu'il est par la conscience du manque de l'objet. Ainsi, s'il voit sa mère du foyer de vie en milieu de semaine et que celle-ci ne vient pas pour lui, Rolland peut être sujet à une crise de panique se traduisant par l'agression des objets directement en présence. Par rapport aux hypothèses de la construction dimensionnelle de l'espace psychique telles que formulées par D. Meltzer, cela nous amène à entrevoir un début de tridimensionnalité, avec un objet contenu dans le self, mais une quête infructueuse de la quadridimensionnalité. Pourtant là aussi, la dépendance à l'autre sujet est essentielle. Chaque crise le ramène à la bidimensionnalité.

Dans les rapports à son corps, il est amusant de constater que les résultats de l'enquête effectuée par la psychomotricienne auprès des membres de l'équipe indiquent une dichotomie dans les réponses apportées. Après observation, une moitié dit qu'il a un espace de sécurité par rapport aux autres, l'autre moitié non. Une moitié avance qu'il explore spontanément l'espace dont il dispose, l'autre l'inverse. L'ensemble indique en revanche qu'il cherche à coller à l'autre et notamment aux membres de l'équipe. Dans le contexte de psychose symbiotique que nous mettons en avant, il n'est pas très étonnant qu'il clive ainsi l'équipe, son rapport à l'objet oscillant alors entre phases de rapprochement et de distanciation. En cela, il fonctionne en syntonie avec sa mère. Son espace de sécurité n'est pas comme chez les autistes une protection immuable face à l'autre, comme pour Laurent, des mouvements claustrophobiques / agoraphobiques sont fréquents.