* Compléments sur Grégoire

Au point de vue familial

Les parents sont séparés. Grégoire rentre chez la mère le week-end et ne voit son père que très ponctuellement, la présence de ce dernier manquant de fiabilité, il en arrive à occuper de façon quasi permanente l’esprit de son fils. Depuis quelques mois, Grégoire le voit plus régulièrement (quelquefois dans l’année) et cela dévalorise souvent la part fantasmatique qu’il attribue à son père. Cet homme est présenté par la mère comme un marginal, alcoolique plus ou moins « repenti ».

Auprès de cet homme plus âgé qu’elle, madame C. prétend tout d’abord avoir acquis une positon de femme avant de remplir de façon progressive et de plus en plus constante une fonction qu’elle nomme « maternelle ». Très vite elle dit s’être rendue compte qu’il ne pouvait remplir son rôle de père et dit avoir pallié ses carences en jouant sur un registre maternant aussi bien auprès de lui que de leur fils. Cette attitude est constitutive du mode de relation que madame C. entretient avec les objets : gérant parfois mal sa pulsionnalité interne, son rapport à l’objet passe par des relations de soumission / domination. Lorsqu’elle est angoissée, elle peut ainsi projeter son agressivité sur certains professionnels et en idéaliser une autre partie (clivant l’équipe). Si l’objet attaqué accepte cela, son attaque se poursuit, ce qui prend des formes dans lesquelles le professionnel est infantilisé, madame C. suggère alors à celui-ci comment agir, comment travailler auprès de son fils. Si en revanche le professionnel infantilisé reprend sa place, c’est elle qui redevient la mère en détresse et elle finit souvent par fondre en larmes. Au fond, l’enjeu est toujours Grégoire : soit l’autre ne lui a pas apporté assez, soit c’est elle qui n’a pas suffisamment bien agi.

Cette dame, qui se présente de façon soignée et exerce une profession commerciale, a en outre toujours eu du mal à accepter que son fils soit « mélangé » avec des personnes jugées « plus handicapées » que lui. Alors qu’une partie d’elle-même dénie son handicap (elle aimerait que Grégoire puisse trouver une structure de vie « digne de ses capacités »), l’autre partie ne méconnaît pas l’illusion de ces propos. Reste que la problématique de cette dame est essentiellement d’ordre narcissique. Outre le clivage des imagos, la nécessité de se faire bien voir, bien comprendre, de renvoyer une belle image de soi et de son fils se joue dans un surinvestissement permanent et certainement épuisant pour elle. La contre-partie, et c’est là où nous rejoignons par exemple les analyses de J. Bergeret (1975, 1986), sur ces personnalités, est la dépression. Madame C. dit qu’elle déprimerait si elle devait vivre à la place de son fils parmi ces personnes déficitaires et dans de tels locaux, « trop exigus ». De plus, elle a tendance à projeter les aspects douloureux, peu affichables, de Grégoire sur une responsabilité paternelle : il est « fainéant » comme son père.

Mais pour en revenir à la dimension paternelle, nous avons pendant longtemps ressenti un manque flagrant à cet égard. Son absence prolongée est à l’origine de délires de filiation très souvent remarqués chez lui. Il lui octroie par exemples diverses attributions telles que de nombreux métiers ou la possession de diverses voitures de luxes. En apparence de nature phallique (grosses voitures, motos, argent…), mon hypothèse le concernant consiste à voir dans cette relation fantasmatique l’existence d’un objet aliéné. Madame C. y est pour quelque chose puisqu’elle a mis beaucoup de temps pour lui avouer que son père n’était pas l’homme tant investi du prestige qu’il lui octroyait. Ce non-dit, ce laisser croire, ce laisser illusionner, se traduisait par un état délirant constant dans lequel Grégoire ne faisait que parler de son père. Hors communication, son débit verbal n’avait valeur que de décharge. L’objet aliénant devenait l’essentiel d’un discours lui-même aliéné. L’objet interne resurgissait sur le dehors, occupant tout l’espace environnant.

Voilà pourquoi à cette époque, remplissant mon rôle de clinicien sur la structure, j’ai dû répondre à une demande d’intervention provenant de madame C. Celle-ci était alors totalement « encombrée » des obsessions de son fils concernant son père. Aussi, lors d’une de nos entrevues, il y en eut trois au total, je suggérais l’introduction, dans cette logorrhée aliénante, du principe de réalité : je lui proposais donc d’apporter les éléments de vérités dont elle était garante.

L’essentiel était de casser ce vernis social, qui avait probablement une fonction pour la mère mais s’avérait préjudiciable à Grégoire. Il fallait rompre aussi quelque chose qui était resté secret trop longtemps. J’en restais néanmoins sur la préconisation de révéler la véritable réalité matérielle (différente de celle fantasmée par Grégoire) sans interférer sur le registre psychologique (qui, de toutes façons, n’est pas abordé par Grégoire). Il convenait par exemple de dire à Grégoire que le père ne travaillait pas actuellement mais qu’il avait déjà exercé une profession, qu’il ne possédait pas telle Mercedes ou telle autre gros véhicule. Le résultat en a été un retour d’une tranquillité relative pour la mère, Grégoire ne l’encombrait plus de cette pseudo-réalité lancinante.

Reste toutefois que je réévalue aujourd’hui ce travail, visant à un changement, comme assez superficiel. Nous nous en persuaderons en interrogeant plus tard la fonction polysémique des traces inscrites sur ce fond d’objet interne aliénant.

Il me reste à dire sur le point familial qu’actuellement Grégoire vit selon la mère une seconde histoire en la présence de son nouvel ami. Madame C. rapporte que Grégoire arrive à apprécier cet homme auprès de qui il reprend d’anciennes activités de bricolage ou de mécanique entreprises avec le père. L’objet paternel aliéné en devient quelque peu soumis à rude épreuve lorsque Grégoire opère certaines comparaisons. Il se rend alors compte des défaillances de son père. Toutefois, il est capable de dire à cet homme qu’il n’est pas son « vrai papa ».