Présentation des séances du 20 février et du 3 avril 2002

  • Présentation de la séance du 20 février (A1)

Grégoire s’aperçoit de l’absence de quelqu’un, il met un moment avant de s’asseoir. Agnès demande qui n’est pas là, Francis dit Laurent et ce dernier rigole. Tout le monde cherche le nom de l’absent. Agnès aide : « il anime avec moi et il s’appelle ? ». Grégoire dit « ben ton copain », Agnès lui répond qu’il ne s’agit pas d’un copain mais d’un co-animateur (« il anime avec moi »). Là-dessus, Francis répond « Frédéric » et Grégoire demande où je me trouve. Agnès précise que je suis en vacance et donne les prénoms des présents comme pour reformer l’enveloppe. Grégoire s’enquit de savoir si je reviendrai. Agnès le rassure et demande de désigner l’endroit où se trouvent les dessins de la dernière séance. Rolland désigne le lieu au moment où Francis regarde dans la même direction sans rien dire. Agnès s’adresse à Sylvain pour savoir s’il sait que je ne suis pas là, ce dernier est très agité.

Francis reprend Agnès en disant « pas l’OM, l’OL ! ». Grégoire coupe Francis en disant qu’il a sommeil, qu’il a mal dormi. Francis dit qu’il est allé en Savoie. Sur les demandes d’Agnès de parler de son dessin, il montre un carré rouge qui est pour lui une voiture puis un autre qui est un car. Francis regarde Grégoire. Agnès veut savoir s’il a d’autres choses à ajouter. Il répond « le drapeau de l’OL ». Agnès, voulant faire du lien à partir de l’élément central du dispositif, s’enquit de savoir si d’autres ont dessiné une voiture. Francis regarde Grégoire avant que ce dernier parle d’une 405. Il dit aussi qu’il veut dessiner. Rolland montre ses dessins oblongues en forme de patates. Grégoire prolonge sa propre exposition : « c’est la voiture à papa ». Rolland montre le dessin de Laurent. Grégoire dit qu’il manque le volant pour conduire et surtout le moteur. Il montre un autre point de la voiture et dit qu’il manque le contact de la voiture. Il y figure en revanche le frein à main. En présence de tout ce manque, il répète son souhait de dessiner. Agnès interprète qu’il manque quelque chose mais aussi quelqu’un et qu’il est bon de dessiner pour colmater ce manque.

Francis dit que Grégoire n’a pas montré son dessin. Agnès indique un précédent en questionnant : « que s’est-il passé la semaine dernière entre vous deux ? ». Pas de réponse. Laurent montre sa peinture en y posant ses deux mains. Agnès propose de dire que « c’est doux et agréable ». Laurent est d’accord. Grégoire, se souvenant de la précédente altercation, crie sur Francis : « arrête, toi ! ». Il montre la partie de Francis qui se dirigeait sur sa propre partie de dessin lors de la dernière séance. Il dit « je veux pas ! ». Rolland caresse son dessin, il montre Francis puis un rond vert qu’il semble effacer (il le gratte). Agnès interroge le groupe sur celui qui n’a pas montré son dessin, Laurent montre et prononce «Sylvain ! ». Sylvain tourne ses mains nerveusement, Laurent bouge les bras. Rolland dit à Sylvain « coucou » et applaudit. Agnès explique que la trace graphique qu’avait produite Sylvain se dirigeait vers Laurent, Rolland et Grégoire. Laurent semble démentir, il dit que Sylvain ne lui a pas dit bonjour. Peu avant la deuxième phase, Laurent repousse Grégoire qui lui touche les jambes sous la table depuis un petit moment.

Pendant la phase de production, Grégoire dit qu’il va chez sa mère le samedi et dimanche. Francis, Rolland et Grégoire prennent des feutres. Laurent utilise de la peinture rouge, verte, marron, violette, jaune et bleue. Rolland commence par de grands cercles aussitôt son feutre bleu en main. Laurent veut de l’eau, Sylvain éclate de rire. Grégoire prend du bleu. Rolland prend du rouge. Grégoire commence un dessin en pointillés. Sylvain a pris le pinceau à l’envers puis il fait des traits les uns sur les autres. Agnès, placée à côté de Francis, lui parle et Grégoire, voulant manifestement attirer son attention, lui dit « regarde ce que j’ai fait ! ». Il a dessiné un coq.

Rolland regarde la pendule et dit « Ahhh ! » s’inquiétant de l’heure, désignant apparemment la fin de l’heure. Sylvain pose son pinceau et s’agite, il veut boire l’eau placée dans sa coupelle, Agnès l’en empêche. Il avait réalisé un trait qui ne touchait pas les autres et reprend le pinceau pour le camoufler. Rolland demande où est Sylvain alors que ce dernier n’a pas changé de place, toujours situé en face de lui. Sylvain reprend l’eau et en boit, il tousse, est sur le point de s’étouffer, Grégoire rit beaucoup face à cette situation. La fin de la séance arrive mais Sylvain recommence au moment où Agnès signifie la fin de la séance.

  • Analyses des processus mis en jeu par Laurent

 Séance du 20 février 2002 (A1)

  • Sur une incorporation de l’objet protecteur pour pallier une absence

En apparence, Laurent ne semble pas touché par mon absence, aucun incident ne vient perturber la séance. Néanmoins Julie constate que Laurent prend plus la parole que d’habitude et noue plus de liens avec les autres personnes. Il reprend en outre Agnès quand celle-ci lui dit que Sylvain est venu le visiter avec ses traces : selon lui, Sylvain n’est pas venu lui dire bonjour. Peut-être n’a t-il pas saisi la subtilité, trop symbolique, du mot « visite » mais il reste que Laurent souligne là un manque, une absence. Dans ses traces, son empreinte comporte six couleurs là où habituellement il y en a 5. Tout se passe comme s’il incorporait Agnès qui le protège de mon absence. Un travail syncrétique, peut-être défensif je le reprendrais dans la prochaine séance travaillée, apparaît ici une fois encore.

  • Grégoire  Dans la séance A1 Julie constate une perturbation chez Grégoire. Il refuse de s’asseoir et il est difficile pour Agnès de se faire entendre (« obéir » note-t-elle). Nous avions déjà constaté ce phénomène lors d’une séance dans laquelle mon absence avait amené Grégoire à dessiner des animaux carnivores. Déjà à cette époque le lien avec l’agressivité orale, de nature cannibalique, était apparue. En mon absence, la seule femme du groupe (il n’y avait pas encore de stagiaire) éveillait déjà ce type d’affects sur un mode similaire à celui qu’il entretient avec sa mère (celle-ci étant obligée d’arrêter cette emprise à fond agressif en y opposant un cadre très ferme). J’ai déjà précisé plus avant qu’Agnès se sentait fréquemment mal à l’aise pour répondre à ses demandes, ressentant une forme de manipulation dans ces processus d’identifications projectives pathologiques. Mais continuons de décrire le déroulement de la séance.
  • Effet de contamination et protection par le renversement en son contraire : d’un monnayage groupal singulier

Au bout d’un moment, Grégoire va jeter des regards en direction des anciens dessins, disposés sur une petite table excentrée. Nous constatons ici qu’il se préoccupe d’éléments du passé, l’absent renvoyant au passé, ce premier est quelque part récupéré dans une pulsion d’emprise (sur un mode scopique autant que tactile). Grégoire va ensuite être le premier à répondre à Agnès quant à la question, rituelle, de savoir qui est absent dans le groupe. Sa réponse est cependant « ben ton copain ». Cette mise en lien explicite, je l’explique non seulement comme une levée du refoulement primaire exposé plus haut comme élément fantasmatique récurrent ainsi que comme un nouvel effort pour éviter la perte.

Grégoire reprend ensuite, après Francis, que l’absent s’appelle Frédéric. Cela présage déjà d’un lien à Francis. Lors de la dernière séance, ce dernier avait empiété par ses traces sur le « territoire » de Grégoire, l’attachant ainsi. Je pense que Grégoire cherche ici à se départir d’un collage, à se sortir de cette collusion, de ce lien trop aliénant pour lui. Ajouté à cela, c’est quelque part Francis qui lui permet de se remettre dans le groupe en me prénommant, en apportant un mot. Mais ce qui prédomine chez Grégoire, c’est la tentative de s’extraire de son influence, il le fait en voulant prendre la place de Francis auprès d’Agnès, par effet de « vampirisation ». Reste que cet accès aux mots lui permet de sortir (par discrimination) du lien initial syncrétique (les dessins disposés dans la salle) par lequel il avait débuté cette séance.

Cette nouvelle accession entraîne une prise de conscience différente suivie d’affects : il va finir par s’asseoir et s’enquérir, sur un ton inquiet, de ma situation « où il est Frédéric ? » et de mon éventuel retour. Nous voyons qu’une fois assis, reposer sur une base, les aspects maniaques chutent, un sentiment de légère dépression survient, je suis moins, de façon défensive, « fondu dans la masse », j’était donc bien une gêne en tant qu’absent. De plus, il montre aussi par là qu’il ne joue pas la rivalité qui pourrait signer un accès oedipien. Il cède une place à l’objet qui l’envahit.

Là-dessus, Francis prend la parole et Grégoire le coupe, il prétend avoir sommeil, ne pas avoir dormi. La brèche est ouverte, des aspects qui donnent l’impression en surface d’appartenir au registre hypocondriaque, rappellent la structure psychosomatique de Grégoire. Ainsi la perte rappelle inexorablement la défaillance psychosomatique, des symptômes (encore très bénins) se font jour. La seule façon de les contrecarrer serait de prendre la vedette dans le groupe, c’est ce qu’il fait en coupant Francis. Prendre la vedette revient à se reconstituer une enveloppe psychosomatique non trouée, non défaillante, propice donc à résoudre ce problème d’absence. Il rejoue là ce qu’il vit en continu avec son père absent : mon absence crée une aliénation qui ne peut être colmatée que par une nouvelle tyrannie, nouvelle emprise sur le groupe. Angoissé par l’absence, il fait vivre son mal en projetant un trop plein de présence sur les autres.

Francis reprend la parole, et Grégoire le coupe de nouveau : il veut dessiner tout de suite. Tout comme, tout à l’heure debout et agissant, il veut revenir à l’acte, à ce graphisme alors considéré comme support propice à une reconstruction, car l’enveloppe passe bien sûr aussi par là.

  • Auto-représentation d’un manque et fonction d’accrochage médiateur sur une image

Comme il lui est dit que tout le monde n’a pas encore présenté, Grégoire aborde la question de la 405 de son père, 405 dessinée lors de la dernière séance. Il dit qu’il y manque le volant et le moteur, puis il dit qu’il manque aussi la vitesse et le frein à main, finit par ajouter que tout manque dans sa voiture. Sur le plan de la contiguïté, ces objets évoquent bien sûr un ressenti de manque face aux fonctions qui m’incombent habituellement dans cet atelier : animer, propulser le groupe mais aussi reposer le cadre, freiner par exemple les tendances envahissantes de Grégoire sur les autres. Je suis alors positionné dans une double fonction d’embrayeur et de frein. L’accrochage visuel sur un dessin passé permet de manifester cette complexité sans que le manque ne soit vécu trop fortement.

  • Reconstruction possible par le biais d’un représentant de la sensorialité du groupe

Reste néanmoins que les lacunes propres à cette voiture doivent trouver réparation : Grégoire veut rajouter des éléments à sa voiture, combler les manques. En partie ré-enveloppé par le lien une nouvelle fois tissé, il est prêt à pallier les trous dans cette construction défaillante. Il demande à nouveau à dessiner mais coupe encore une fois Francis, se « vengeant » par une nouvelle interruption de l’empiètement qu’avait réalisé Francis sur son graphisme lors de la dernière séance (Agnès le leur avait rappelé). Il va ensuite aller toucher la jambe de Laurent, qui ne le supportera pas et le renverra abruptement, comme s’il compensait l’empiètement de Francis par les traces par un empiètement corporel, sensuel, sur Laurent. Je pense que cela ne se fait pas au hasard, Grégoire sait que Laurent est basé sur ce pôle sensuel, ne va-t-il pas chercher à colmater et renforcer son enveloppe, anciennement intrusée par Francis, dans un lien peau à peau, avec l’un des référents de ce pôle tactile ? Laurent est par là un représentant de la sensorialité groupale.

  • Tracer des pointillés : dynamique inter et intrasubjective

Lors de la phase de production, il évoque sa mère, autre représentant sensuel, qu’il ira voir ce week-end, il prend aussi un feutre bleu et commence à dessiner en pointillés. Lorsqu’il ne se sent plus observé il demande à ce qu’Agnès regarde ce qu’il a fait. Le jeu d’absence- présence est là particulièrement mis en scène. A travers sa mère, il évoque l’absent qu’il rejoindra : il peut y avoir réparation. Les pointillés sont une figuration des objets perdus / retrouvés tout comme ma présence, celle de sa mère, celle du regard d’Agnès. La couleur bleue le représente : il se perd et se retrouve en fonction de la perte et de la retrouvaille des objets. C’est donc une représentation auto de son lien en liaison –déliaison avec Francis et Laurent.

Mais ce jeu est fragile et mal maîtrisé, le pointillage dans son graphisme fait vite place à une forme contenante et défensive. Celle-ci se fait à l’aide de quadrillages multiples à la manière de Salem à l’époque. Grégoire évoque les poules et les coqs présents dans la maison de campagne de sa mère et complète sa production en la faisant évoluer vers l’image de ce coq / poule. Cela rappelle les animaux sauvages dessinés lors de ma dernière absence. Mais cela se relie également bien avec le comportement de Grégoire durant la séance : il refuse initialement de faire ce qu’Agnès lui demande, il interrompt ensuite Francis comme par retour de bâton, il fait subir à Laurent sur le registre tactile l’empiètement pictural précédemment vécu, puis il rira de façon « sadique » (cf les propos de Julie), lorsque Sylvain, après avoir bu une partie de son eau servant à tremper les pinceaux, est à deux doigts de s’étouffer.

Quelque chose de tyrannique 119 (une tyrannie projetée sur le groupe) apparaît en première analyse dans ce comportement. Lui-même aliéné par un objet interne paternel, il se sert du groupe pour y projeter ce contenu interne. Lorsque l’entourage a du mal à répondre, la tyrannie peut s’exercer. Ma présence sert en partie à l’éviter, la freiner et en partie aussi, elle l’excite, lui donne un modèle identificatoire repris selon une configuration personnelle. En deuxième analyse, mon absence ne peut être vécue que dans un colmatage qui requiert un ensemble composé des autres sujets du groupe. Faute d’une élaboration suffisante de la perte et de l’absence, il met tout un chacun à contribution. L’aspect tyrannique serait ici une forme défensive de projection de la destructivité interne sur l’environnement, ceci afin que cette destructivité, vécue intérieurement, agisse à l’extérieur et le protège, par retournement dedans/ dehors, du mal psychosomatique vécu (sommeil, mal dormir). C’est par ailleurs habituellement une mise en dépôt de l’objet aliénant.

Si la relation aux objets externes, aux autres personnes du groupe, n’est pas toujours favorable à cette forme de tyrannie, la trace graphique est un objet suffisamment malléable pour permettre non seulement la représentation de ce qui se vit sur le plan affectif et groupal (autoreprésentation par des pointillés marquants la présence / absence) mais également faire intervenir un objet représentant de la pulsion ( un coq imposant qui prend ma place).

  • Rolland Durant la séance A1, Julie note que Rolland porte également un intérêt à mon absence. Dés le début de la séance, il montre la peinture de Laurent et se met à caresser, de façon mimétique, son propre dessin à la façon de ce dernier. Il pointera ensuite Francis pour lui demander s’il sait où je me trouve (« où ? » laisse-t-il sortir). Il est vrai que ce fut Francis qui, l’instant d’avant, était parvenu à formuler mon prénom. La stagiaire note ensuite qu’il est « très perturbé » par mon absence, il pose des questions à Agnès qui, malgré ses réponses, ne parvient pas à lui suffire. En même temps qu’il formule ces questions, il montre un rond vert qu’il avait laissé sur son dernier dessin et fait mine de l’effacer.
  • Traces et colmatage du vécu d’abandon par la mise en forme des états natifs, pré-émotionnels

L’assimilation d’une absence n’impliquant pas forcément destruction de l’objet manquant n’est pas faite. L’absence peut alors revenir à la destruction de l’autre. Rolland, au sein du foyer, passe beaucoup de temps à demander sa mère, à demander quand ?, comme si, faute de repères temporels, il devait combler continuellement son sentiment d’abandon par la sécurité que l’autre peut lui fournir afin d’y pallier. Lorsque dans son lieu de vie ces réponses ne lui sont pas apportées ou lorsque la présence psychique de l’autre est en défaut, il peut se mettre en colère et passer à l’acte par des agressions. Ici, peut-être montre-t-il par le biais de sa trace verte, couleur de nos blouses à Agnès et à moi, que celle-ci fait défaut. Il reprend certes le geste de Laurent mais là où ce dernier cherchait à effacer l’excès d’absence, le point de défaillance, Rolland, plus dans une relation à l’objet « traditionnelle », basée sur la présence psychique de l’autre, cherche à indiquer à Agnès l’objet manquant (objet qui certes, par sa présentation colorée, renvoie à un état émotionnel).Laurent renvoie bien une nouvelle fois dans un degré de sensorialité pris et recréé en interne, de façon idiosyncrasique, par Rolland.

Rolland, par ses formes perçues, dans ce premier temps de l’atelier, s’empare d’un rapport au monde qui vient de l’extérieur pour le faire sien. Dans la conceptualisation de P. Aulagnier, il passe par cet accrochage aux processus prévalants de Laurent, de l’originaire au primaire, il donne des images aux premières sensations. Il y a bien quelque chose chez Rolland qui nous renvoie à l’idée d’une combinatoire émotionnelle labile liée au groupe (O. Avron, 1986). Ses traces, faisant écho aux mouvements dynamiques du groupe, en témoignent.

Ensuite Rolland sollicite Sylvain et le gratifie d’un « coucou ! ». Cette recherche de Sylvain est fréquente, Sylvain ne parlant pas, Rolland se sent très proche de ce registre lui qui ne prononce que quelques mots « intelligibles ». Mais cette recherche provient aussi du fait que, Sylvain étant le seul à ne pas partager le quotidien de l’ensemble du groupe, il est quelque part lui aussi l’absent qui ne réapparaît que dans ces séances. Mais dans cette configuration des événements, ce signe d’accroche peut aussi représenter une mise en dépôt face à sa propre angoisse, l’objet absent et qui souffre de cette souffrance, c’est Sylvain.

Dés les premiers temps de production, Rolland dessine une première grande forme ovoïde bleue puis, les autres sujets commençant à investir l’espace graphique, il change de couleur, prend du rouge et comble les trous de petites formes. Les trous doivent être bouchés, la structure doit se consolider. Le rouge revêt une teinte émotionnelle non négligeable pour exprimer cette nécessité de circoncire son espace propre. Le vide, le blanc doivent être évités dés lors que d’autres sont en présence, mouvement de rétractation comme pour se replier sur un espace plus restreint une fois que le cadre général a été posé. Une reconstruction psychique, avec feuillet externe pare-excitant et feuillet interne surface d’inscription se précise alors.

  • Absence et phénomène de surdétermination

En l’occurrence, nous avons déjà repéré que ce mécanisme est indépendant de mon absence ou présence. Or, si la perte et l’angoisse de séparation sont omniprésentes chez Rolland, il n’empêche que mon absence va surdéterminer un phénomène partiel d’hallucination négative. Il fixera ainsi Agnès et lui demandera où se trouve Sylvain qui, pourtant, n’a jamais cessé d’être en face de lui, légèrement sur sa gauche. Mon absence, réelle, se serait-elle doublée d’une absence réactualisée en interne, absence inhérente à une angoisse d’abandon constante ? Celle-ci se serait alors matérialisée sur la personne la plus proche de lui, son double unaire en quelque sorte ? Sylvain, de par les attributs précédemment soulignés, servirait à Rolland pour une reconstruction perpétuelle se jouant en miroir.

  • Sylvain Lors de la séance A1, Sylvain est très énervé, nous apprendrons plus tard que, fort de ses habitudes, il a bu l’équivalent d’une carafe de café en cachette juste avant de venir au groupe. Nous ne proposerons donc pas trop rapidement de corrélation entre cet énervement et mon absence. Julie note qu’il a une grande détresse dans son regard, qu’il parait perdu mais je reste circonspect pour le moment, c’était alors la quatrième fois qu’elle participait à cet atelier et la première où j’étais absent, y aurait-il quelque chose de projectif ?

Julie note néanmoins qu’Agnès a remarqué que quelque chose n’allait pas chez Sylvain et qu’elle tente de savoir quoi en rentrant en communication par des gestes. Agnès se pose également des questions quant à la corrélation précédemment mentionnée. Rolland et Laurent tentent d’entrer en contact avec lui mais en vain.

Comme à l’accoutumé, il ne montre pas sa dernière production et c’est Laurent qui le fait remarquer, répondant ainsi à la demande d’Agnès. Sylvain se tord les mains nerveusement. Cela marque peut-être quelque chose d’un lien qui fait mal, se tord. Les autres ne peuvent entrer en contact avec lui. Une répercussion corporelle se joue en tous cas. Agnès tente alors de ramener Sylvain au groupe par l’intermédiaire de la peinture qu’il fit lors de la dernière séance : elle précise qu’à la dernière séance, sa trace s’est dirigée vers Laurent, Rolland et Grégoire. La technique mise en place par Agnès est ici basée sur la fluidité des enveloppes psychiques : des liens se nouent aux interfaces. Là où Sylvain est retourné dans le corporel, Agnès tente de le ramener au symbolique contenu dans notre dispositif. Mais Laurent se défend de cette interprétation : Sylvain n’est pas allé « lui dire bonjour ». Je pense que là, Laurent conçoit la phrase au premier degré, sans faire de lien avec le passé, la séance d’avant. Dans ce registre il a raison.

Durant la deuxième phase, Sylvain va choisir de la peinture, chose qu’il n’avait pas fait durant les 4 dernières semaines dans lesquelles le groupe était au complet. Il me semble que l’intervention d’Agnès a permis son retour dans l’ici et maintenant de la séance. La peinture, comme je le postule ailleurs, devient ainsiune première marche, un premier vecteur vers ce retour. Bien sûr, quand j’évoque le terme « plus symbolique » pour Sylvain, il s’agit de liens, d’aller, comme lors de la séance du 13 février, toucher les autres.

  • Phase d’accrochage, de monnayage, autour d’une substance primaire

Lorsque Francis demande de l’eau, Sylvain rit. Il y a quelque chose du retour au groupe mais le rire sur l’élément liquide n’est pas anodin. Il a volé 120 du café ce matin sur son unité de vie, il prend de la peinture, élément liquide à présent, le liquide représente l’objet interdit autant que l’objet de transgression et l’objet nécessaire pour trouver un plaisir. Quand Francisévoque cette notion, un lien se réalise, lien basé sur une substance primaire. Cela aura pour conséquence une forte réunion entre les deux : placés côte à côte, leurs traces vont partiellement se mélanger. Sylvain peut reprendre une place.

Mais avant ceci, voyons comment ses traces s’agencent : elles sont faites à partir d’un mélange des couleurs à sa disposition, de la même manière que Laurent. Cela ressemble à une empreinte à la différence que le mouvement n’est pas fait en spirales mais en balayages rythmiques. La fonction défensive semble moins présente et plus faire place à une recherche de contacts. Il y a tout de même un processus syncrétique derrière, tous les traits sont posés les uns sur les autres.

  • Symbolisation élémentielle / désymbolisation ou symbolisation corporelle ?

Lorsque Grégoire reprend ses invectives vis-à-vis de Francis, Sylvain se frotte l’avant bras puis la nuque, ce qui laisse entendre un retour au corps, son pare-excitation, plus symbolisé lorsqu’il était sur papier, se désymbolise en quelque sorte ou bien, et c’est l’expression que je propose, il symbolise avec son corps. Il en va de même lorsque Rolland fait remarquer, en pointant la pendule de l’atelier, qu’il est presque l’heure, Sylvain pose son pinceau. L’arrêt paraît brutal, le besoin de revenir au corps se fait sentir. Sylvain veut boire l’eau, Agnès l’en empêche et lui conseille de reprendre sa peinture. Il s’exécute en liant deux traits qui initialement ne se touchaient pas. Le stop remet de l’absence, quelque chose va être fini, le retour au corps, par l’intermédiaire du remplissage, se manifeste. Il veut se remplir d’eau, ce qu’il sait être interdit. Agnès le reprend, il retourne sur sa création, et bouche finalement le trou qui s’y trouvait. Nous assistons donc à un jeu de va et vient entre la feuille et son corps, jeu devenu possible puisqu’il n’avait pas lieu dans les premiers temps de présence dans l’atelier.

  • La substance primaire comme premier niveau pour l’accession aux objets internes

A la fin, Rolland va demander où Sylvain se trouve, alors qu’il est en face de lui et, pendant qu’Agnès lui répond, Sylvain va en profiter pour boire l’eau dans laquelle trempait son pinceau, manquant ainsi de s’étouffer. Agnès l’arrête, dit « stop ! » et Sylvain reprend son pinceau pour peindre. Plus qu’un rapport à la provocation et à la loi (dimension présente dans un moindre niveau) cette séance marque le besoin de Sylvain de se remplir, la substance primaire est alors un équivalent d’objets internes, de la matière pour fabriquer les objets internes, autrement dit pour se sentir exister. Si ce déroulement a eu lieu ce n’est pas uniquement dû à mon absence mais à une surdétermination de celle-ci se jouant au travers de tous les mouvements déjà soulignés. Surdétermination car ce qui compte avant tout pour Sylvain est le soutien psychique des autres, les phases de présence et d’absence liées aux regards portés sur lui et qui peuvent soit le rassurer, soit le persécuter.

Cela rejoint le développement qu’en apporte D. Mellier sur la fonction d’attention. En l’absence de cette fonction, cela se lit, dans notre dispositif, par une désymbolisation, un retour à la peau, aux sensations corporelles. N’étant plus perçu par Rolland, quelqu’un qui est habituellement en lien et avec lui, Sylvain cherche à se remplir d’autres choses que de cette attention, il en va de même lorsque, à deux reprises, les autres mentionnent son prénom à la fin de la séance. Un remplissage est nécessaire. Il y a bien aussi quelque chose ici qui se rejoue des premières relations aux objets et aux agonies primitives. Se remplir pour se sentir plein, déjouer le vide, vide paradoxalement retrouvé dans les défenses autistiques par le biais du retrait psychique.

  • Francis : Au cours de la séance A1, lorsque Agnès demande qui est absent, il répond « Laurent ». L’on peut pour le moment interpréter cela en terme de confusion due à l’absence effective, lors de la dernière séance, de celui-ci. Tout se passe comme si Francis avait du mal à ré-émerger dans le présent, comme s’il s’accrochait constamment à des éléments passés. Agnès dément, insiste, et il finit par donner la bonne réponse : « c’est Frédéric » à la suite de Grégoire qui a répondu « ton copain ». Francis est ensuite capable de montrer les dessins de la dernière fois. Il se trouve à la même place. Cela témoigne au passage que le dessin n’est pas lettre morte une fois effectué, reconnaître son graphisme, c’est à mon sens se reconnaître dans cette part de soi-même, reconnaître les signifiants formels effectués. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, Francis peut même perdre cette capacité en se dépersonnalisant (ou plutôt une perte dans sa continuité d’être).
  • Des accrochages, des monnayages se jouant sur des plans dynamiques, économiques et topiques différents

Francis dit avoir fait une voiture puis un bus. Dans les deux cas, il s’agit de contenant, de sécurité. Il passe ensuite la parole à Grégoire. Après que celui-ci s’est exprimé, Francis prétend le contraire. Agnès, non dupe, demande ce qui s’était passé entre eux la semaine précédente (Francis avait recouvert partiellement la voiture de Grégoire). La question ravive les animosités, Grégoire en veut à Francis qui touche son dessin, il s’y oppose. Un lien basé sur la rivalité ou plutôt sur une tentative de se faire voir, se faire entendre, existe entre les deux. Tout se passe comme s’ils cherchaient tous deux une validation à leur existence. Toutefois cette recherche s’établit sur un plan différent, recherche de la grande personne dans la logique plus phallique de Grégoire, recherche du miroir externe répondant au miroir interne brisé pour Francis (logiques dans laquelle les processus auto-méta sont gravement endommagés).

Lors de la deuxième phase, Francis répond à la place de Grégoire à la question d’Agnès sur feutres ou peinture ? Grégoire voudrait ainsi des feutres. L’on peut voir ici une nouvelle forme d’empiètement sur le territoire de l’autre, j’y vois surtout une nouvelle forme de recherche d’un lien en double unaire. Francis cherche en effet à circoncire un peu de confusion. Il dit à Agnès « c’est pas l’OM, c’est l’OL ! ». Avec Grégoire, une rivalité est consommée, Agnès s’adresse à Francis, Grégoire tente d’attirer l’attention sur son dessin.

Les traces de Francis sont très densifiées. Plus qu’habituellement, la couleur choisie, violet, est la même que la peinture d’un des murs de la salle (adjacent à la fenêtre). Il y a également de grands traits qui se dirigent vers le graphisme de Rolland sans le recouvrir. Ses traces là révèlent l’expansion, la défense en de multiples lieux là où la densification indique un retour défensif sur son corps, sa masse corporelle, le lieu où cela se ramasse.

Notes
119.

Thème déjà abordé, voir l’écrit de S.Resnik (2003) sur ce sujet.

120.

C’est sciemment que j’utilise ce terme, Sylvain dans son lieu de vie prépare en quelque sorte ces « coups » et connaît, au sens de l’équipe, cet interdit.