Séance du 14 novembre 2003. ( F2)

Durant le temps de pré-séance (dés l’arrivée dans l’ascenseur), Rolland parle de Noël et du Père Noël. Grégoire enchaîne tout de suite sur ce thème, disant qu’il va fêter Noël, etc…

Dans la salle, je commets l’erreur de proposer d’emblée la grande blouse à Grégoire. Il n’insiste pas là-dessus. Il dit que nous sommes vendredi et, dés la première phase, il reconnaît son dessin qu’il montre aussitôt. La discussion tourne vite autour du manque d’Agnès. Rolland interroge : « où ? ». Je réponds qu’elle est dans sa maison, chez elle. Rolland repose sa question à deux reprises puis il parle de bonbons, du Père Noël. Francis demande « y’a quoi au cinéma ? ». Grégoire enchaîne sur l’évocation de Rolland en précisant que Noël, c’est au mois de décembre. Il présente ensuite son dessin, qui laisse voir une sorte de château fort composé de deux tours, et donne à chacune d’entre elles une adresse appartenant au père et à la mère. La tour de gauche (celle qui est placée du côté de Laurent) est du côté Villeurbanne et appartient à sa mère, (celle de droite, du côté de Sylvain et Francis) est du côté Fourvière et appartient à son père. Montrant ensuite les pics qu’il avait dessinés la dernière fois, il précise que ce sont des bâtons de ski. Puis montre les skis « pour faire du ski ». Je lui demande qui fait du ski et il me répond que ce sont son papa, sa maman, ses petites sœurs.

Vient le tour de Laurent qui dit avoir fait de la peinture et montre les couleurs jaune et marron. Grégoire enchaîne : « moi je sais la couleur, c’est marron ». Puis il demande à Laurent de répéter après lui marron, ce que ce dernier fait.

Francis se détourne alors sur la gauche, du côté de l’ordinateur. Je l’interroge alors et il me répond qu’il a fait un peu de vélo. Je lui demande de montrer son dessin et il dit le Parc de la Tête d’Or, j’insiste et il reprend avec ce terme de Tête d’Or. Je lui demande de me montrer et il pointe sa masse compacte violette, je lui demande qu’est-ce que c’est et il répond « je ne sais pas ».

J’interroge Rolland il me montre une patate orange et pousse un rugissement. Il montre ensuite un grand bleu et pousse un autre gémissement. Je lui montre un autre rond violet et il répond que c’est le père Noël. Sur ces entre faits, Francis me demande si je connais Saint-Etienne. Je répond que nous sommes dans l’atelier et que nous allons passer à la deuxième partie.

Durant le temps de distribution, je fournis, seul, feutres et peinture. Grégoire commence dés le début à parler de son père militaire. Il choisit la couleur marron pour faire un homme composé d’une grosse tête, de grandes oreilles, deux jambes parallèles partant de cette tête et deux bras perpendiculaires à ces jambes. Aucun intérieur n’est composé entre celles-ci. Sylvain a choisi du bleu et fait des traces tourbillonnaires. Rolland a choisi du marron. Je distribue plusieurs couleurs de peinture à Laurent. Francis demande où est Annecy. Il demande où se trouve la Suisse, Gerland, je réponds géographiquement dans un premier temps puis lui rappelle les quelques règles. Grégoire veut que je fasse un fusil à ce père militaire, je refuse, lui dit qu’il peut faire cela seul. Il insiste, montre un pistolet dessiné sur une feuille scotchée au mur. J’insiste également dans mon refus. Il dessine son fusil. Je demande à Francis s’il serait capable d’en faire un lui aussi, il part sur des traces denses. Très vite Sylvain arrête de dessiner. Désirant garder un lien avec Francis, je lui demande de faire un vélo, chose qu’il parvient à réaliser, il fait cela puis repart très vite, une fois mon attention suspendue, sur des traces tourbillonnaires.

Grégoire est plus actif, il crie « pan ! », vantant les qualités de son fusil. « Il a des pétards, fait pan ! c’est dangereux un fusil ». Rolland part sur ce scénario, il prononce lui-même ces onomatopées. Laurent fait de larges sourires à ces évocations. Désirant mettre un sens autre que celui que je perçois sur ce tir, je demande à Grégoire à quoi sert un fusil, il répond « à tirer sur les lapins ». Puis il veut que je fasse les lapins. Rolland me regarde comme attristé par cela. Je lui dis qu’effectivement ce n’est pas une belle image. Un air contrarié et un peu triste se lit dans le regard de Rolland, il répète « pan ! » interrogateur. Grégoire insiste sur son désir que je lui dessine des lapins morts. Comme je m’aperçois qu’il a réussi à amener dans sa fantasmatique deux autres résidents, je refuse d’y « succomber » également : « Non ce n’est pas un beau thème, je ne veux ni être un lapin mort ni le chasseur qui tire sur les lapins. ». Rolland dit « maman, pan ! ». Grégoire rajoute : « mon papa, il tire sur mon pépé Robert. C’est le papa de ma maman, il veut tuer et après il est mort. ». Rolland s’agite, répète encore « pan ! ». Durant ce temps, Francis est en dehors, retiré, tout comme Sylvain qui a stoppé depuis longtemps et regarde fixement en face de lui en se balançant d’avant en arrière. Grégoire finit la séance en complétant son tableau par un « mon papa a les yeux rouges ».

Laurent, séance F2 ne pose pas de questions sur l’absence d’Agnès et se laisse finalement guider par Grégoire. Les onomatopées répétées de Rolland le font sourire, cette part affective lui plaît, se rapproche de ses stéréotypies .

Grégoire, séance F2 : je partirais de Grégoire en cela qu’il a orienté la séance. Mon but était de l’entendre jusqu’au bout dans cette destructivité qui l’a fait attaquer la figure de l’objet maternel manquant. Dés le départ il envahit l’espace d’autrui, s’empare de l’objet interne de Rolland, objet excitant placé sur la scène groupale aussitôt que verbalisé, à savoir le thème de Noël et du Père Noël. Ma proposition de prendre la plus grande blouse ainsi que le fait de lui laisser prendre la parole sur un temps plus long que les autres conditionnent l’influence qu’il a sur le groupe. Celle-ci intervient dés le commentaire de son précédent dessin en ce qu’il clive deux pôles qu’il oppose : le pôle maternel est situé du côté de Laurent et paternel du côté de Sylvain, ce qui peut surprendre puisque habituellement ces rapports sont inversés. Quant au ski, dessin placé du côté de Laurent, il semble réunir par le souvenir qu’il évoque non seulement le couple parental initial mais une famille fantasmée tout entière avec les deux enfants du père. Il apporte alors dans le groupe une dimension que Rolland ne pouvait pas laisser passer : celle d’une famille unie.

De cette absence, on peut proposer qu’elle fasse naître son désir de retrouver et réunir le côté maman avec le côté papa sur un même dessin et sur un mode synchronique. Sa façon ensuite de prendre le dessus sur Laurent fait penser à ce besoin de se grandir en se comparant, en s’étendant, en envahissant. Il prend l’ascendant sur Laurent et n’est ainsi pas brimer par ma présence puisque je n’interviens pas.

Toutefois la sureprésentation paternelle est bien là, l’image de ce père, miliaire, le prouve. Un père composé à partir d’une tête immense, tête pensante, lui et moi mélangés. L’intérieur est cependant vide, seules résident des horizontales et des verticales, des droites en guise de bras et de jambes. Or, c’est A. Ciccone (2003) qui rappelle à ce sujet au travers des écrits de S. Resnik que les parents harmonieusement combinés sont figurés par des horizontales et des verticales. La fonction maternelle est représentée par ces horizontales et marque la réceptivité et la contenance, la fonction paternelle se repère dans la verticale et renvoie à la fermeté. Quelque chose de la fermeté et de la contenance, du paternel et du maternel, a bien lieu ici comme nous allons le voir.

Sa couleur, le marron, est également choisie par Rolland, il se fait porteur de quelque chose de difficilement saisissable, il s’est emparé des objets internes de Rolland, il s’en est emparé de force, tout comme son dessin indique un vide interne avec des droites saillantes et fermes, il prend d’autorité, est le plus apte (de par sa capacité de parole) pour ça. Rolland suit en mimétisme. Il suivra également sur le plan verbal. Mais Grégoire va surtout exprimer de l’agressivité envers l’objet absent : celui-ci est représenté par Laurent, le fusil est là pour tuer, il est pointé dans sa direction, Laurent est aussi celui sur lequel il a pris l’ascendant, celui qui représente dans cette séance pour Grégoire l’objet fragile.

En outre, il veut que je lui dessine son fusil, moi qui suis en position de force, de « grand » dans cet atelier. Il désire que je corrobore à cette part destructrice en lui pour détruire ce qu’il appellera les lapins blancs, ces bêtes fragiles et naïves. La preuve en est qu’il cherche bien une cible, lorsque Rolland évoque ce qui peut ressembler à un tir en provenance de sa mère, Grégoire s’en empare pour évoquer un meurtre : celui de son grand-père maternel par son père. Cela vient après mon intervention / interprétation qui visait à lui signifier que je ne voulais ni détruire ni être détruit par lui. Là-dessus il incorpore son objet interne, son père, et va tuer ce père de la mère, ou plutôt, dans sa fantasmatique confuse, cet homme de la mère. La dimension transférentielle est évidente : suite à mon refus, il me tue, moi qui suis également, dans cet atelier, un homme de la mère / Agnès. Il y a bien une visée contre le maternel dans les représentations-buts que se donne son agressivité, il y a bien une part de destructivité à l’œuvre.

L’hypothèse est qu’il tue à la fois l’image de la mère absente et celui qui en est son support, moi-même, mais pas seulement : il tue également l’objet interne de l’autre, de Rolland, cette mère dont il a parlé devient le père de la mère et se fait tuer par ce père qui est une part de son propre objet interne aliénant. Ne voulant pas surdéterminer la position paternelle, j’ai essayé de lui laisser entendre que je ne serais ni sa victime ni son bourreau mais certainement n’ai-je pas su trouver les mots pour lui expliquer qu’il exprimait entre autre de l’agressivité contre l’absente. Les yeux rouges au final peuvent représenter aussi bien la mort, le sang, que la colère, l’accroissement thermique des zones cutanées.

Rolland, séance F2. Comme à son habitude, il est sensible à l’absence d’Agnès. Cependant, il n’aura guère le temps d’y penser. Sa relation avec Grégoire va occuper une grande part de la séance. Tout au long de celle-ci, il a été à la fois spolié et fasciné par Grégoire. La capacité verbale et cognitive de ce dernier lui permettant de réagir plus promptement, Rolland a été dépossédé de ses objets internes excitants et rassurants. Sa présentation de dessins montre au travers des râles, une certaine colère qui sera cependant très vite reprise une nouvelle fois par Grégoire. Son choix de couleur montre bien son adhésivité à Grégoire, ou plutôt la façon dont il est pris dans le réseau signifiant de Grégoire, comment celui-ci agit comme attracteur. Le fait qu’il ne change pas de couleur va également dans ce sens puisque cela est assez peu fréquent. Habituellement pris dans plusieurs réseaux attracteurs, son changement de couleurs est la marque de la fragilité de ses enveloppes psychiques. Ici, une certaine forme de tyrannie provenant de Grégoire est à l’œuvre et le happe entièrement.

L’évocation des lapins morts et sa réaction au sujet de sa mère me fait moins songer à l’agressivité de celle-ci qu’à sa crainte de ne plus voir sa mère, crainte d’être abandonné si sa mère venait à disparaître. Là aussi, cette crainte est immédiatement reprise en écho par Grégoire qui en fait une « affaire personnelle », il va s’agir de tuer, ou faire tuer son grand-père maternel par son père interne. Rolland ne semble avoir qu’une solution face à cela : s’agiter et rester fasciner par ce que dit Grégoire.

Sylvain, séance F2 : il manifeste un certain désarroi en l’absence d’Agnès. Comme je l’ai déjà souligné, il la connaît mieux qu’il ne me connaît et vient même quelquefois la voir dans son bureau en dehors des séances. La manifestation graphique qu’il a mise en avant, lors du temps de distribution ainsi que l’arrêt de celle-ci lors de mon retour dans le groupe, marque peut-être sa difficulté à créer en ma présence, toujours est-il que finalement je n’ai pas eu le temps de lui proposer quoi que ce soit. Je me sens encore une fois pas assez contenant et étayant avec lui.

En l’absence d’Agnès, il cherche à se coller à moi mais par manque de disponibilité suffisante de ma part, il se détourne, fuit, rejoue cette expérience de fuite. Pour lui l’absence d’Agnès représente l’absence d’une personne de plus, susceptible d’être en sa présence, liée à lui, prête à lui fournir cette enveloppe nécessaire pour qu’une construction interne minimale puisse se faire. Son objet interne est momentané. En outre Grégoire le dérange, il vole ses objets internes déjà si fragiles en lui. Francis cherche à se détourner, il se sent attaqué. Mais il n’a pas totalement « régressé », une recherche de plaisir minimal subsiste en lui. A ce sujet, l’évocation d’Annecy n’est peut-être pas neutre, je ne m’en suis aperçu qu’après  : il aurait vécu des moments de détentes gravées dans sa mémoire (selon la mère) dans un lieu de vacances localisé autour d’Annecy auprès d’une éducatrice dont il évoque le prénom par moment (Stéphanie).

Face à l’absence d’Agnès et au climat hostile entretenu par Grégoire, chercherait-il à revivre cette expérience par crainte que je ne sois pas assez présent ? Hors de cette évocation, son retrait partiel à différents moments de la séance montre en tous cas qu’il cherche refuge dans la déliaison, processus qui n’est finalement qu’une réactualisation de vécus plus anciens liés à sa petite enfance. Il y a là quelque chose de défensif mais fondé sur une défense paradoxale avec retour de processus de destructivité des liens antérieurs. En ma présence il crée un vélo, pour le détruire aussitôt, le recouvrir de traces tourbillonnaires. Un vélo pour fuir, une destruction autocentrée (spirales centrifuges) pour montrer l’inéluctable : il ne pourra fuir bien longtemps, mieux vaut casser toute possibilité d’une sortie de ce marasme.