Depuis quelques années, cette question semble avoir atteint à une dimension supérieure, que ce soit dans cet artefact que constitue l’opinion publique, dans les médias ou dans les sphères dites décisionnelles. En gardant au sujet cette actualité qui fait aussi son intérêt, nous pourrions alors mettre l’accent sur un de ses aspects qui suscite sans doute aujourd’hui l’attention la plus vive, à savoir les questions de pollution et de qualité de vie urbaine en rapport avec l’automobile. Néanmoins, ce point, aussi important soit-il dans une période où la fibre écologique des populations apparaît particulièrement développée, reste d’abord le symptôme et le corollaire de phénomènes plus globaux. Il nous paraît notamment faire écho au sentiment diffus d’une voiture particulière qui ne parvient plus à assurer correctement des objectifs de mobilité et de liberté, pour lesquels elle est pourtant initialement consommée. Le paradoxe voulant que l’ampleur même de sa consommation soit à l’origine de cette situation, la figure de l’embouteillage, par l’importance qu’elle tend aujourd’hui à revêtir dans le fonctionnement global de la ville comme dans la vie quotidienne de ses habitants, se présente également comme un des éléments qui exprime le mieux une contradiction importante entre la génération des comportements individuels et leur agrégation dans des processus collectifs.
En dépit de cette actualité brûlante et protéiforme, il ne faudrait cependant pas croire à la primeur de ces phénomènes et des difficultés inhérentes à l’utilisation urbaine de l’automobile. Cette contradiction et bien d’autres, qui peuvent parfois présenter l’apparence d’un conflit, se sont en fait révélées régulièrement dans l’histoire commune de la ville et de l’automobile. Les deux parties en présence auraient pu s’opposer, elles ont finalement fait l’objet d’un mariage, mais d’un mariage "arrangé". En effet, un rapide regard en arrière nous donne surtout à voir la montée en puissance d’une technique de transport, dont la dynamique au sein des organisations urbaines constitue une des thématiques dominantes de la fin du siècle dernier et du début de celui-ci. Partant de ce constat, à travers ses dimensions les plus sensibles comme à travers les autres, il s’agira alors de s’interroger sur la place prise et occupée par l’automobile dans l’espace urbain, dans son organisation et dans ses structures.
Si « les déplacements urbains sont devenus dans notre civilisation moderne un élément de liberté, une priorité économique et un enjeu majeur de la politique urbanistique des villes », 5 il nous paraît utile, pour procéder à une plus juste appréciation du champ d’investigation, de commencer par un bref rappel de l’histoire des rapports entre la ville et l’automobile et, tout en esquissant ce panorama historique, de faire état de l’évolution de l’appréciation de cette question dans nos sociétés.
J.M. JARRIGE, F.X. TASSEL, "A Lyon, la Presqu’île se modernise", in Transport Environnement Circulation, n°101-102, juillet-octobre 1990, p.62.