Les termes du débat contemporain et l’intérêt d’une problématique géographique

Ce mouvement va se poursuivre et s’accentuer lors des décennies suivantes, en même temps que l’on commence enfin « à se préoccuper sérieusement des effets de l’automobile sur l’environnement. Dans les années 1970, ceux qui faisaient campagne contre les dangers de l’adjonction de plomb dans l’essence étaient considérés comme des excentriques et des alarmistes. » 75 Ce temps-là est définitivement révolu et on tend désormais à considérer les avantages respectifs de chaque mode en termes individuels et collectifs, en prenant notamment en compte leurs externalités négatives.

Au niveau local où, en ces temps de décentralisation, les déplacements sont devenus des enjeux de tout premier ordre, le débat devient alors multimodal, voire intermodal. Néanmoins, ces problèmes restent « parmi les plus difficiles posés aux urbanistes et on peut même dire que dans l’état actuel des techniques ils sont sans solution véritable car il y a apparemment antinomie entre plusieurs éléments constitutifs de la ville et une circulation sans entraves. (…) Les politiques sont toutes des palliatifs, des choix entre des inconvénients ». 76 Mais elles sont aussi l’expression de priorités, qui s’expriment notamment entre une préférence pour la mobilité et une préférence pour l’environnement. Les deux termes du débat sont toutefois plus liés qu’il n’y paraît, tant une ville où il fait bon vivre reste une ville où il fait bon circuler. Simplement, si le mariage entre la ville et l’automobile a été auparavant bien arrangé, sa durabilité requiert à présent une plus grande harmonie.

Dans cette optique, s’interroger sur les rapports entre l’automobile et la ville revient in fine à s’interroger sur la ville elle-même, tant ce moyen de transport individuel s’est affirmé comme un élément essentiel des (ré)organisations urbaines. « Au fil des temps, la motorisation et la mobilité des personnes qu’elle engendre ont permis de créer de nouveaux territoires différents de la ville elle-même et de ce qu’elle proposait. » 77 Avec l’automobile, l’urbain a gagné sur la ville et, parallèlement, le choix du système de transport a participé et investi plus que jamais la problématique urbaine. « La ville industrielle du XIXe s’est développée grâce aux omnibus et aux tramways tirés par des chevaux. Les banlieues de la première moitié du XXe siècle sont, dans les grandes agglomérations, l’œuvre du chemin de fer. C’est aujourd’hui l’automobile qui, dans les pays développés, guide l’urbanisation. » 78 La notion d’effet se révèle pour autant insuffisante à expliquer la complexité des interactions qui se sont nouées entre les deux processus. Les liens progressivement établis mettent définitivement à mal les approches en termes de causalité linéaire simple. La voiture particulière constitue alors « un élément parmi d’autres du système urbain ». 79 Néanmoins, la place qu’elle occupe au sein de celui-ci apparaît tout à fait spécifique, particulièrement stratégique et finalement privilégiée. C’est sans doute cet enseignement, celui de la place acquise par l’automobile au sein d’un espace urbain aux prises avec d’incessantes évolutions, qu’il faut retirer du rapide historique auquel nous venons de procéder.

De la même manière, si les transports individuels motorisés se sont profondément inscrits dans les dynamiques urbaines, les paramètres spatiaux se sont retrouvés au cœur des questions de déplacements et apparaissent aujourd'hui comme un des facteurs participant à la pérennité du succès de la voiture particulière. Ainsi, la problématique de l’automobile dans l’espace urbain, si elle comporte de multiples dimensions – techniques, économiques, sociales, culturelles…–, se révèle particulièrement ouverte à un questionnement géographique : d’où l’interrogation générale à laquelle cherche à répondre cette thèse et qui consiste à se demander en quoi et comment les facteurs spatiaux expliquent l’importance de plus en plus grande acquise par l’automobile dans les comportements de mobilité urbaine.

Notes
75.

C. WARD, op.cit., p.14-15.

76.

J. PELLETIER, C. DELFANTE, Villes et urbanisme dans le monde, Paris Milan Barcelone Mexico, Masson, 1989, p.173.

77.

G. DUPUY, "L’explosion de l’automobile crée de nouveaux territoires", in Les cahiers du génie urbain, décembre 1994, p.29.

78.

P. MERLIN, 1992, op.cit., p.12.

79.

C. RAUX, cité in C. Montès, 1992, op.cit., p.45.