Nous avons retenu plusieurs terrains d’étude pour évaluer la portée réelle de telles propositions, selon des principes qu’il nous faut à présent définir.
Avant tout, c’est l’agglomération lyonnaise qui servira de cadre principal à notre approche de l’automobile en milieu urbain. En France, Lyon est en effet de ces grandes agglomérations pour lesquelles les questions de déplacements sont devenues des enjeux majeurs, en raison du rôle qu’elles jouent dans le fonctionnement quotidien du champ urbain et de l’acuité particulière avec laquelle s’expriment les problèmes inhérents à la gestion de la mobilité dans des organisations socio-spatiales de cette taille. Par sa qualité de carrefour routier de première importance autant que par son statut de métropole régionale aux ambitions internationales, la capitale rhodanienne est certainement – derrière l’agglomération parisienne qui présente une certaine spécificité en la matière – une des villes françaises pour laquelle la place de l’automobile relève d’une problématique politique éminemment complexe, entre multiplicité des contraintes et nécessité d’action.
Agglomération millionnaire, Lyon se caractérise par le maintien d’une centralité particulièrement forte et attractive au sein d’une aire urbaine qui ne cesse de s’étendre. Entre convergence des flux et dispersion spatiale, l’essentiel des difficultés d’organisation d’un système de déplacements cohérent à l’échelle d’une agglomération se trouve ainsi résumé. Par ailleurs, en matière routière, la capitale des Gaules a été marquée par de nombreuses réalisations de nature spectaculaire ou novatrice : du percement du tunnel de Fourvière – amenant le transit national et international jusqu’au cœur de la ville par une infrastructure qui est, selon Christian Montès 153 , le seul exemple français d’autoroute intra-urbaine – à la réalisation du tronçon nord du périphérique – tentant de s’inscrire, non sans peine, dans une nouvelle génération de voies rapides urbaines à péage –, l’agglomération lyonnaise propose une vision édifiante de la façon dont les politiques urbaines ont tenté de prendre en compte les questions de mobilité automobile. Au fil du temps, elle a également présenté différentes formes d’action politique locale, dont les orientations mais aussi parfois les contradictions apparaissent par bien des points emblématiques : du maire bétonneur et résolument pro-automobile des années 60, « très fier d’obtenir chaque année pour sa ville "la coupe d’or de la circulation" décernée par l’Auto Journal » 154 , au président de la communauté urbaine partant publiquement en croisade contre l’usage irrationnel de l’automobile 155 et pour la priorité aux transports collectifs 156 , tout en lançant parallèlement un plan sans précédent de construction de parcs de stationnement dans l’hypercentre, les schémas stratégiques et décisionnels apparaissent riches en enseignements potentiels. Aujourd'hui encore, à travers les débats et les enjeux qui se sont concentrés autour de l’adoption du Plan de Déplacements Urbains et de la réapparition du tramway dans l’agglomération, c’est plus que jamais de la condition urbaine de l’automobile dont il est question.
Cette rapide présentation permet d’envisager en quoi ce terrain d’étude présente des perspectives d’analyse particulièrement intéressantes. Toutefois, il nous apparaît également clairement que « toute évaluation suppose (...) une comparaison ». 157
En fait, plus qu’à une comparaison intégrale où les "spécimens" mis en relation bénéficieraient d’un traitement équivalent, nous nous livrerons à une mise en perspective du cas lyonnais dans la mesure où les deux autres terrains retenus ne seront pas étudiés avec un degré de précision aussi important. Les principes de cette exploration plurielle n’en restent pas moins ceux d’une démarche comparative : souligner la relativité de toute solution en la resituant dans son contexte et montrer qu’il n’existe pas une vérité universelle et intemporelle, one best way, mais un éventail de possibilités déterminées par un ensemble de contraintes, d’intérêts et de valeurs qui, s’il interdit d’ériger un exemple en modèle, n’exclut pas pour autant toute transposition d’expériences entre les terrains ; révéler parallèlement les constantes qui transcendent les circonstances particulières et mettre en lumière différentes alternatives permettant d’ouvrir une porte sur un "champ des possibles".
Pour mener à bien cet exercice, nous avons souhaité nous appuyer sur une autre agglomération française, ce qui permet d’évacuer les différences de contextes institutionnels, mais aussi sur une agglomération étrangère, afin d’enrichir l’analyse d’un éclairage moins franco-français. Pour cette dernière, l’appartenance à un pays européen s’imposait d’autant plus « que Lyon se place aujourd’hui résolument dans le cadre européen et multiplie les comparaisons avec les villes étrangères, à la fois pour y chercher des solutions et pour conforter ses ambitions d’Eurocité » 158 ; il nous est également apparu judicieux, afin de préserver des conditions socio-économiques globales comparables, que ce pays dispose comme la France d’une industrie automobile importante. Enfin, mais est-il réellement besoin de le préciser, ces agglomérations se devaient de présenter des caractéristiques similaires à celle de Lyon, au niveau de leur masse démographique, de leurs ambitions métropolitaines et des enjeux attachés à la politique de déplacements. En vertu de ces exigences, notre choix s’est finalement porté sur Lille et Stuttgart.
Mais, à notre sens, l’intérêt de cette double désignation ne réside pas uniquement sur la conformité aux critères de similarité exposés ci-dessus. Elle repose surtout sur la diversité des structures spatiales qui sont ainsi proposées : contrairement à Lyon, le centre lillois se caractérise par sa relative petitesse, inhérente à une centralité d’agglomération éclatée au sein de ce qui constitue, en France, un exemple assez unique de conurbation ; l’agglomération de Stuttgart, pour sa part, se spécifie par l’articulation d’un centre fort avec une véritable structure polynucléaire dont une des vocations est d’ordonner l’extension urbaine. Ainsi cette mise en perspective doit nous permettre d’approfondir un rapport entre espaces et territoire soumis à la même question : dans quelle mesure les structures urbaines spécifiques et les paramètres spatiaux s’immiscent-ils dans le dessin du territoire de l’automobile ? Analyser les correspondances entres les différents types d’espace urbain – et notamment entre les espaces denses et les espaces d’urbanisation plus lâche, entre des territoires où la rareté de l’espace est un élément fondamental et les nouveaux territoires de l’urbanisation –, entre des structures urbaines dissemblables – celles de l’agglomération de Lyon, de Lille et de Stuttgart – et les organisations territoriales constituées de l’automobile conduira à s’interroger autant sur les latitudes des choix politiques que sur la fonction de l’espace. A travers les structures et les dynamiques spatiales, il s’agit de juger du rôle d’un élément qui peut être tout autant une force de mutation qu’un facteur homéostatique, sans oublier que l’espace urbain n’est pas lui-même une donnée mais résulte là encore d’une construction territoriale complexe. A cet égard, même si la portée nomothétique d’une analyse qui ne s’appuie que sur trois cas concrets – dont le choix comporte par ailleurs une inévitable part d’arbitraire – est forcément discutable, nos conclusions ne renonceront pour autant pas à acquérir une portée qui dépasse le strict cadre spatial de notre étude.
1992, op.cit.
R. NEYRET, Le livre de Lyon, LUGD, 1995, p.217.
cf. M. NOIR, "L’usage de la voiture individuelle est devenu irrationnel", Entretien publié dans Le Monde du 8-9 septembre 1991.
cf. M. NOIR, "A propos du financement des transports urbains : il faut frapper vite et fort", Entretien paru dans le numéro de Transport Public de décembre 1992.
C. MONTES, 1992, op.cit., p.19.
C. MONTES, 1992, op.cit., p.62.