Méthodologie d’étude des terrains

Cette confrontation de notre questionnement général à des terrains spécifiques a nécessité l’association de plusieurs sources documentaires ainsi que la mobilisation de techniques d’investigation diverses.

En premier lieu, nous nous sommes inspirés de la littérature disponible sur le sujet, qu’il s’agisse d’ouvrages de synthèse ou d’analyse : littérature traitant de la ville et des phénomènes urbains, avec une préférence – non exclusive toutefois – pour les approches géographiques ; ouvrages spécifiquement attachés à la question de l’automobile, plus rares et surtout plus rarement d’essence géographique ; publications sur les transports et les déplacements urbains, qui constituent une littérature extrêmement abondante ; enfin des livres consacrés à nos terrains d’étude, selon des angles d’approche là encore très variés. Il faut intégrer à cette littérature les articles tirés de la presse scientifique, les travaux universitaires en tout genre (synthèses de recherche, thèses, mémoires…etc.) ainsi que les études des divers organismes impliqués dans les processus décisionnels, même si elles sont sans doute plus que d’autres soumises à des dérives subjectives à l’égard des objets de recherche.

Ensuite, nous avons mobilisé plusieurs techniques de collecte et de traitement de l’information pour parfaire notre connaissance des réalités de terrain, en nous intéressant aux représentations individuelles et collectives, aux régularités statistiques des phénomènes observés de même qu’aux pratiques et discours relatifs aux politiques d’équipement et d’aménagement. En ce qui concerne l’observation statistique des réalités urbaines, nous avons eu largement recours, pour nos deux exemples français, aux chiffres de l’INSEE mais aussi aux mesures locales des déplacements et de leurs modalités, que ce soit par le biais des enquêtes ménages, de comptages ou encore d’études menées ou commanditées par les collectivités locales sur des sujets plus spécifiques comme le stationnement par exemple ; pour l’agglomération de Stuttgart, la principale différence tient dans la remarquable substitution du Land du Bade-Wurtemberg 159 et de la municipalité de Stuttgart à l’institut statistique national, ces collectivités ayant toutes deux mises en place des services statistiques recueillant annuellement des données d’une très grande richesse. Quant à l’analyse des politiques urbaines, elle a nécessité là encore la combinaison de plusieurs sources : documents de planification, documents de présentation des orientations politiques à l’opinion mettant en évidence le discours argumentatif des "décideurs", archives des délibérations des assemblées locales, articles de la presse écrite locale 160 et enfin entretiens avec différents intervenants de la scène locale – techniciens des collectivités locales ou d’opérateurs privés, agents économiques, élus et membres de l’opposition politique ou d’associations locales, universitaires et autres experts nous ont permis de réunir en la matière une assez grande diversité d’interlocuteurs.

Il ne restait alors qu’à s’efforcer de rassembler l’ensemble de ces éléments d’origine disparate dans une approche visant à présenter une grille de lecture commune des processus et des politiques censés participer à la production d’un territoire urbain de l’automobile.

L’objet de cette thèse est donc de proposer une vision de la genèse et des dynamiques d’un territoire de l’automobile dans les rapports complexes qu’il entretient avec les espaces urbains dans lesquels il s’inscrit. De cette confrontation qui est d’abord affaire de conjonction naît la proposition d’une production territoriale qui, si elle reste d’essence sociale, intègre progressivement des éléments d’ordre spatial essentiels, porteurs de dynamiques spécifiques.

Dans une première partie, intitulée territorialités, il s’agira d’exposer les données de cadrage général, sur nos terrains d’étude d’abord, puis sur les pratiques et les représentations des usagers de l’automobile dans leur rapport à ce que l’on peut considérer comme leur territoire premier, leur véhicule, mais aussi, au-delà, à l’espace urbain. Car ces éléments, qui ne sont le plus souvent singuliers qu’en apparence, sont en fait révélateurs d’enjeux qui touchent à l’organisation de la société dans son ensemble pour s’incarner, par le biais d’un processus territorial, dans les champs urbains.

La cristallisation de ces enjeux dans les politiques locales nous amènera ensuite à étudier les modalités concrètes de production des territoires urbains de l’automobile. A cet égard et du fait des dynamiques qui animent ces derniers et des différenciations qui se trouvent ainsi engendrées, il nous a semblé que l’on pouvait distinguer, au sein des agglomérations urbaines, deux types de territoire ou plutôt deux logiques territoriales : celle d’une "automobile-reine" et celle d’une "automobile-contestée".

La logique territoriale de l’automobile-reine, développée dans la deuxième partie, va au-delà du statut privilégié accordé à ce moyen de transport au sein du champ urbain, en particulier par la réalisation d’un réseau d’infrastructures de circulation spécialisé, pour observer l’apparition de positions hégémoniques qui s’exposent dans les structures et les organisations spatiales et qui sont alors porteuses de dynamiques alimentant la pérennité de cette domination.

Quant à la logique territoriale de l’automobile-contestée, traitée dans notre troisième et dernière partie, elle participe, nous semble-t-il, d’un mouvement qui tend à s’affirmer comme une alternative à celui de l’automobile-reine. Elle vise ainsi principalement à s’opposer aux tendances hégémoniques de la voiture particulière, en luttant contre ses effets les plus néfastes mais sans que cette contestation ne rime pour autant avec disparition.

Les territoires de l’automobile-reine et de l’automobile-contestée tendent cependant à se compléter et à s’interpénétrer pour dessiner un territoire urbain de l’automobile qui phagocyte ces deux logiques territoriales, tout en présentant selon les cas des dosages variés. C’est pourquoi nous nous attacherons à redonner dans nos développements toute leur complexité à ces deux types qui relèvent d’un procédé explicatif commode, pertinent mais parfois réducteur, et ce afin de révéler ce qui fait peut-être leur plus grand intérêt : la diversité de leur dosage dans la constitution et la dynamique d’un territoire unique. Ce faisant, notre démarche entend mettre en évidence non pas une finalité mais des logiques, des mécaniques et des effets, qui pourront alors légitimement fournir des éléments de prospective interrogeant l’avenir urbain de l’automobile.

Notes
159.

qui a par ailleurs le mérite de proposer une consultation en ligne gratuite des données statistiques à l’adresse suivante : http://www.statistik.baden-wuerttemberg.de

160.

par leur support papier ou par l’intermédiaire de leur site internet pour nos terrains d’études éloignés.