Comme le rapportait il y a une vingtaine d’années Jacques Bonnet, la région lyonnaise, loin de faire exception à la règle, « est partagée en autant de divisions différentes qu’il y a de diverses espèces de pouvoirs. (…) Ainsi trouve-t-on curieusement différencié un cadre territorial pour la collecte des données statistiques (agglomération de l’INSEE), plusieurs autres pour servir aux études d’urbanisme (PADOG, SDAU, RUL), et un dernier ressort pour un établissement public à vocation administrative (COURLY). » 175
Vingt ans plus tard, le constat que l’on peut établir n’est guère différent. Certes, certains noms ont changé : la COURLY notamment est devenue le Grand Lyon. De nouveaux périmètres d’études ont vu le jour, comme celui de l’aire métropolitaine lyonnaise (AML). De plus, l’INSEE s’efforce de perfectionner ses outils statistiques pour mieux rendre compte des nouvelles réalités urbaines : dans cette optique, l’Institut National a développé des concepts plus extensifs de l’urbain, en délimitant d’abord des Zones de Peuplement Industriel ou Urbain (ZPIU) puis, à partir de 1996, en développant la notion d’aire urbaine. Contrairement aux agglomérations ou unités urbaines, définies à partir d’un critère de continuité de l’habitat 176 , les aires urbaines cherchent à approcher une réalité davantage liée au fonctionnement urbain 177 . Cependant, la multiplicité des périmètres a perduré sans jamais se recouper (figure 5). Dès lors, aucune délimitation incontestable ne s’impose, puisque chacune correspond à une histoire, des ambitions et des objectifs différents.
Dans ce contexte, la communauté urbaine de Lyon tend néanmoins à se démarquer. Elle constitue en effet un périmètre et une institution d’agglomération désormais solidement ancrés dans le champ urbain lyonnais. Certes, « l’idée d’une intercommunalité qui ne soit pas strictement liée aux champs des techniques et de la gestion a eu du mal à s’imposer, même si ceux-ci l’ont fait progressivement rentrer dans les faits. De ce point de vue, la création imposée par l’Etat de la Communauté Urbaine en 1969 (…) a marqué une véritable rupture. Mais il fallu une vingtaine d’années pour qu’elle s’impose et pour passer d’une culture simplement intercommunale à une autre, de type supra-communal. » 178 Il est vrai que « le temps joue un rôle important pour que le cadre inter ou supra communal s’impose en quelque sorte de façon inéluctable pour des pans de plus en plus large de l’action collective ou des politiques publiques. » 179
Source : CETE de Lyon
Même en disposant d’un ancrage solide, ce nouveau maillage n’en demeure pas moins régulièrement remis en cause, que ce soit en raison de ses caractéristiques fondamentales ou des dynamiques spatiales attachées à l’agglomération lyonnaise. Le périmètre du Grand Lyon apparaît d’abord fortement contraint par les limites administratives, dans la mesure où il n’intègre aucune commune extérieure au département du Rhône alors que l’Ain et l’Isère notamment sont à ses portes. Ensuite, en correspondant approximativement à l’agglomération dense, il ne permet pas d’embrasser tous les problèmes qui se posent au-delà, là où « l’urbanisation s’est développée de façon diffuse et particulièrement le long de certains axes privilégiés dans des secteurs périphériques bien plus éloignés, tant à l’ouest qu’au nord et à l’est. Cet espace qui entretient des relations organiques avec Lyon constitue une région urbaine dont le diamètre est d’une soixantaine de kilomètres. » 180 Ainsi, considérant cette nouvelle réalité du phénomène urbain, « tous les aménageurs intervenant dans l’agglomération lyonnaise s’accordent sur la nécessité d’une adaptation, d’un élargissement des limites administratives de l’agglomération. » 181 Or, pour l’heure, la communauté urbaine demeure invariablement figée dans ses frontières initiales. Une nouvelle structure a bien tenté de substituer à cette vision d’agglomération une conscience plus large de la région urbaine. Mais la Région Urbaine de Lyon (RUL) – puisque c’est d’elle dont il s’agit – reste aujourd'hui une simple association de type loi 1901 qui entretient un rapport à l’espace plutôt flou et atypique : en effet, ses statuts prennent soin de préciser qu’elle n’a pas de périmètre précis – même si les cartes lui en donnent un – et qu’elle prendra en compte le territoire le plus cohérent par rapport au sujet traité. 182
Au final, nous ne serions donc mieux dire que Marc Bonneville, considérant que « les frontières et les critères qui définissent l’agglomération et la région urbanisée sont en effet brouillés par la nature même des processus d’urbanisation actuels. Cet élargissement souligne le développement d’un vaste territoire péri-urbain, dont les relations organiques avec le centre de l’agglomération sont de natures et d’intensités diverses, mais qui s’inscrit cependant en continuité avec l’histoire de la croissance de la ville. (…) Cependant, les statistiques les plus complètes et les plus homogènes dans le temps concernent l’agglomération restreinte aux 55 communes de la Communauté Urbaine, appelée depuis 1993 "le Grand Lyon". Ainsi, par commodité et sauf indication contraire, c’est à ce périmètre que l’on se référera lorsqu’on parlera de l’agglomération lyonnaise. » 183
J. BONNET, op.cit., p.191-193.
Est considéré comme unité urbaine un ensemble d’une ou plusieurs communes présentant une continuité du tissu bâti (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) et comptant au moins 2.000 habitants.
L’aire urbaine regroupe un ensemble de communes d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40% de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.
M. BONNEVILLE, Lyon. Métropole régionale ou euro-cité ?, Anthropos, Economica, 1997, p.26.
F. SCHERRER, "Genèse et métamorphoses d’un territoire d’agglomération urbaine : de Lyon au Grand Lyon", in Revue de Géographie de Lyon, volume 70, 2/95, p.109.
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.22.
C. MONTES, 1992, op.cit., p.75.
A cet égard, Franck Scherrer estime que, pour que la RUL devienne demain un territoire institutionnel, « il faudrait par hypothèse que deux conditions soient réunies : que son périmètre soit stabilisé sur une période suffisamment longue pour qu’il s’impose aux acteurs locaux comme une référence territoriale indiscutée ; que les principaux acteurs (les villes grandes ou petites de la région urbaine) engagent en face à face des relations de pouvoir à partir d’un conflit, d’un projet, bref d’un enjeu explicite (lié au développement économique ou aux infrastructures de communication par exemple) à cette échelle, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent » (op.cit., p.114).
M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.3.