La question des découpages territoriaux offre à Stuttgart des perspectives originales, dans la mesure où elle s’inscrit dans une organisation du territoire qui est celle de l’Allemagne fédérale mais aussi parce qu’elle se caractérise par l’apparition récente d’une nouvelle structure supracommunale à l’échelle de la région urbaine.
En premier lieu, il apparaît que l’organisation territoriale allemande, tout en s’avérant nettement différente de celle de la France, ne manque pas elle non plus de cadres territoriaux. Sa spécificité la plus marquante réside dans le fait que l’Allemagne est un Etat fédéral. Les communes allemandes sont alors confrontées non pas à un mais à deux niveaux étatiques : le Bund (l’Etat fédéral) et le Land, qui est un véritable Etat dans l’Etat chargé de l’administration et de l’exécution des lois fédérales, mais qui possède aussi sa propre législation complétant les lois cadres fédérales dans les domaines de partage des compétences législatives. Chaque Land est également doté de sa constitution et de son propre gouvernement dirigé par un ministre-président. Il existe ensuite, entre la commune (Gemeinde) et le Land, deux niveaux administratifs supplémentaires : d’abord le Kreis, dernière strate d’administration étatique du Land, qui est également une collectivité locale et dont le territoire recouvre celui de plusieurs communes 184 , sa fonction essentielle étant de répondre à des besoins collectifs dont l’expression et la satisfaction dépassent les limites communales ; puis l’instance intermédiaire du Regierungsbezirk, principale représentante du gouvernement du Land dans la circonscription administrative appelée Bezirk, circonscription dont le territoire englobe celui de plusieurs Kreis. 185
A partir de ces éléments de base, l’organisation territoriale allemande peut toutefois se révéler relativement différenciée d’un Land à l’autre. Le Bade-Wurtemberg, dont Stuttgart est la capitale, compte ainsi quatre Regierungsbezirk mais également douze Region qui constituent un découpage intermédiaire entre les Bezirk et les Kreis. De plus, concernant l’organisation des institutions communales, la position institutionnelle du maire y est la plus forte d’Allemagne, avec une organisation à responsabilité unique (Süddeutsche Ratsverfassung). En effet, le premier édile de la cité n’est pas choisi au sein du conseil municipal auquel il participe et qu’il dirige, mais est élu directement par la population. Généralement, c’est un professionnel de la politique et de l’administration, et il arrive très fréquemment qu’il soit d’une couleur politique différente de son conseil municipal.
De même, en matière de coopération intercommunale, si les communes allemandes ont la possibilité de s’organiser en groupement de communes (Gemeindeverband), le Land du Bade-Wurtemberg présente à cet égard une situation particulière. En 1968 et en 1978 a eu lieu en RFA la réforme administrative et communale qui avait pour objectif de décentraliser l’administration et de créer, par fusion, des communes viables. Pour cela, le nombre de communes fut réduit de 24.282 à 8.518 mais les Länder sont restés souverains en matière de structure et de réforme communale. Or, dans le Bade-Wurtemberg, les résistances au regroupement furent particulièrement fortes et les pétitions de la population ainsi que les procès intentés par les communes contre le Land se multiplièrent. C’est la raison pour laquelle ce dernier préféra finalement favoriser la solution de l’association intercommunale plutôt que celle de la grande commune. C’est ainsi qu’est né pour l’agglomération de Stuttgart le Nachbarschaftsverband (NVS), un système institutionnel regroupant 28 communes et près de 1,3 million d’habitants sur 1.000 km².
En dépassant les limites communales pour tenter de doter l’agglomération d’un organisme efficace de coopération, le Nachbarschaftsverband constitua un nouveau cadre territorial. Mais cette solution ne s’avéra pas totalement efficace. Ne disposant pas de véritable pouvoir légal, cette structure ne put empêcher l’exacerbation d’une rude concurrence entre les communes de l’agglomération, notamment lors de la crise de l’industrie et du secteur automobile de la fin des années 80 qui révéla des stratégies communales à la fois concurrentielles et divergentes : profitant au maximum de l’application du principe d’autonomie, chaque commune organisa alors son plan de développement sans se soucier de ses voisines. Plus généralement, les limites de la coopération volontaire entre les collectivités locales de la région apparurent au grand jour en gênant l’installation et la localisation d’infrastructures d’intérêt régional. L’incapacité des Kreis à coopérer en matière d’élimination des déchets, domaine qui est de leur responsabilité mais qui demande des solutions dépassant leur territoire, en constitua un autre exemple flagrant. Quant à la région du Moyen Neckar, circonscription administrative regroupant, outre la ville de Stuttgart, les cinq Kreis d’Esslingen, de Böblingen, de Ludwigsburg, de Göppingen et du Rems-Murr-Kreis, soit 179 communes au total, elle ne réussit finalement jamais à faire montre d’un fonctionnement institutionnel optimal, s’avérant notamment incapable de coordonner les actions de ses six composantes. A l’orée des années 90, il apparut donc que faisaient défaut une meilleure capacité de coordination et de régulation régionale et un échelon efficace de décision et de planification intermédiaire entre les communes et le Land… ce que ni le système régional d’alors 186 , ni l’organisme communautaire au territoire plus réduit qu’était le Nachbarschaftsverband ne parvenaient visiblement à apporter.
De cette lacune est née en 1994 le Verband Region Stuttgart (VRS). Si son territoire correspond exactement à celui de la région du Moyen Neckar, cette institution remplace surtout l’ancienne structure communautaire du Nachbarschaftsverband. 187 Cette nouvelle collectivité locale traduit donc un élargissement des périmètres d’action puisqu’elle englobe dorénavant quelques 2,6 millions d’habitants et s’étend sur 3.662 km² (figure 6). Ses compétences et ses moyens d’action sont également très nettement renforcés : de l’économie à l’environnement en passant par des secteurs aussi importants que l’aménagement du territoire ou la planification des transports, elle entend désormais coordonner les actions mais aussi définir des objectifs communs afin d’orienter les politiques. Elle doit ainsi s’avérer capable d’imposer ses vues, voire ses décisions, aux Kreis et aux communes dans certains secteurs de compétence, en bénéficiant du transfert de certaines prérogatives du Land. Pour cela, la nouvelle "région de Stuttgart" dispose d’une assemblée élue au suffrage direct pour cinq ans. Mais elle apparaît encore comme une structure hybride car, si le caractère électif de son assemblée l’apparente à une collectivité territoriale, son champ de compétences et son mode de financement la rapprochent davantage d’un établissement public spécialisé en stratégies de développement.
Cette nouvelle instance de régulation régionale est une institution assez unique en Allemagne. Elle est le résultat d’une décision novatrice du Land du Bade-Wurtemberg, suite à son diagnostic d’une carence de solidarité entre les communes ainsi qu’entre les Kreis. Elle s’est ensuite instituée en accord avec la commune de Stuttgart, alors que l’existence d’une grande coalition créait les conditions politiques nécessaires à sa création. Les espoirs qu’elle suscite paraissent cependant tout à fait conformes à l’idéal allemand, qui cherche à œuvrer à une plus grande imbrication et à une recherche du consensus et du dialogue dans les décisions politiques. La disparition de l’ancien échelon communautaire et l’utilisation des périmètres administratifs existants comme cadres d’étude et de planification, prouvent d’ailleurs à l’évidence que ce qui est recherché, c’est bien avant tout l’efficacité plutôt que la diversité des découpages territoriaux.
Source : Verband Region Stuttgart
On pourrait rapprocher le Kreis du canton ou de l’arrondissement en France.
Le président du Regierungsbezirk, le Regierungspräsident, a un rôle assez comparable à celui du préfet français, même si sa coloration politique est plus accentuée.
Nous parlons bien sûr ici de la région du Moyen Neckar, une des douze Regionen du Land du Bade-Wurtemberg.
A tel point que la nouvelle collectivité régionale s’installe dans les locaux du défunt Nachbarschaftsverband.