Le centre de l’agglomération lyonnaise à l’épreuve des dynamiques urbaines contemporaines

Troisième ville et deuxième agglomération de France en termes de taille de population, Lyon se révèle soumise, comme toute organisation urbaine, à un processus continu de mutations qui s’est traduit au cours de ces dernières années par d’importantes évolutions. Celles-ci invitent notamment à accorder une attention particulière à l’impact des dynamiques contemporaines sur une centralité d’agglomération, dont la prééminence a pu à juste titre apparaître menacée. Cette question de la préservation ou non d’un centre d’agglomération affirmé, unissant dans une même logique les communes contigues de Lyon et de Villeurbanne, est ici étudiée à travers ses dimensions démographiques et économiques.

Tableau 2 - L’évolution de la population dans l’agglomération lyonnaise de 1968 à 1999
 
Population sans doubles comptes
1968 1975 1982 1990 1999
Lyon 527.800 456.716 413.095 415.487 445.452
Lyon-Villeurbanne 647.679 573.251 529.055 532.234 569.667
Grand Lyon 1.048.880 1.120.125 1.106.055 1.134.687 1.167.532
Unité Urbaine de Lyon 1.089.129 1.170.648 1.220.851 1.262.223 1.348.832

Source : INSEE, RGP

En matière d’évolution démographique, la rupture la plus importante se situe autour de 1975. Avant cette date en effet, l’agglomération avait connu une croissance continue et soutenue de sa population, et ce depuis la seconde guerre mondiale. Mais les recensements de 1975 et de 1982 révèlent subitement une dépopulation de la ville-centre, du centre d’agglomération voire même de la communauté urbaine (tableau 2). Cette perte de population est un phénomène que l’on retrouve dans nombre de cités européennes.

Figure 9 - Evolution de la population de l’agglomération lyonnaise selon ses composantes spatiales
Figure 9 - Evolution de la population de l’agglomération lyonnaise selon ses composantes spatiales

Source : P. JULIEN 199 , INSEE

On ne peut toutefois expliquer la chute du nombre d’habitants, observée dans la communauté urbaine en 1982, par une désaffection générale de toutes ses composantes. On constate en effet des disparités importantes à l’intérieur du territoire communautaire, pour lequel les 44.000 habitants perdus par Lyon et Villeurbanne entre 1975 et 1982 constituent la principale saignée compensée en partie par ailleurs. Dans un contexte marqué par la fin des Z.U.P., les communes de la seconde couronne et celles de l’ouest de l’agglomération notamment continuent à accroître leur population. Cependant, les évolutions démographiques de l’époque révèlent également qu’à « partir des années 70, l’agglomération dense se dilue dans des espaces périphériques de plus en plus éloignés. » 200 Ainsi, non seulement l’unité urbaine de Lyon, dont le territoire évolue avec le temps, amortit la perte de population des espaces centraux en s’étendant dans l’espace (figure 9). Mais, outre cette diffusion de l’urbanisation aux marges de la zone agglomérée, on assiste alors à une nouvelle manifestation du phénomène urbain, dont le développement ne se fait plus uniquement par continuité spatiale mais aussi en s’éparpillant dans l’espace.

Figure 10 - Evolution de la population dans l’aire urbaine de Lyon entre 1982 et 1990
Figure 10 - Evolution de la population dans l’aire urbaine de Lyon entre 1982 et 1990

Source : INSEE, RGP

Le recensement de 1990 enregistre néanmoins, pour les communes centrales, un regain de population confirmé par les résultats de 1999, qui voient ces territoires remonter à leur niveau de 1975 tandis que la première couronne notamment orientale poursuit en revanche son déclin. Ces évolutions traduisent bien la vigueur des dynamiques de recomposition qui agitent alors l’agglomération. La tonicité démographique nouvelle des communes du centre, amorcée par une croissance naturelle, se prolonge désormais en retrouvant un solde migratoire positif – ce qui ne signifie pas que plus personne ne part du centre, mais que les départs sont redevenus moins nombreux que les arrivées. Mais, si le centre se maintient comme un espace fortement et densément peuplé, le processus d’étalement urbain ne faiblit pas pour autant, comme en témoignent les gains de population présentés par les communes de l’aire urbaine lyonnaise extérieures au périmètre communautaire (figure 10).

Les dynamiques démographiques dessinent donc des évolutions qui n’ont rien de monolithique. Si elles participent indéniablement à une extension de l’urbanisation, y compris sous des formes qu’on ne lui connaissait pas auparavant, elles contribuent encore parallèlement à préserver une structuration résidentielle de l’espace communautaire qui octroie au centre de l’agglomération un poids de première importance (figure 11).

Figure 11 - La population dans la communauté urbaine de Lyon en 1999
Figure 11 - La population dans la communauté urbaine de Lyon en 1999

D’un point de vue économique, on sait que l’espace lyonnais a longtemps été fortement marqué par l’industrie. Lorsqu’on regarde aujourd’hui la structure économique par emploi de l’agglomération (tableau 3), on constate que la tertiarisation est un phénomène accompli. En effet, le secteur tertiaire se révèle à présent largement dominant sur l’ensemble du territoire communautaire. En lui-même, ce phénomène porte les germes d’une transformation de la structure urbaine et de son fonctionnement : en effet, « le tertiaire est plus fondu dans l’espace, ses flux plus changeants, plus ténus. » 201

Entre 1982 et 1999, l’évolution du nombre global d’emplois dans le centre de l’agglomération poursuit l’évolution qui était la sienne entre les deux précédents recensements, en diminuant sensiblement en volume. Cette baisse masque en réalité une croissance de l’emploi tertiaire, notamment dans certains secteurs comme celui des services marchands aux entreprises, qui ne parvient pas à compenser la disparition des activités industrielles. Cette disparition tient à la fois à un processus global de désindustrialisation de l’économie et à un mouvement de transfert des implantations industrielles du centre vers les périphéries. Quant à l’essor du tertiaire, il est à relier avec le développement des fonctions régionales et métropolitaines de l’agglomération. L’ensemble procéde en fait d’un processus d’affinage des activités d’un centre qui subit dans le même temps d’importantes mutations. On assiste ainsi à la naissance d’un véritable hypercentre. Car la centralité historique lyonnaise a aujourd’hui largement débordé de ses limites anciennes, pour absorber ses anciens faubourgs industriels et s’éclater au sein d’un espace central plus vaste où les pôles se multiplient : la Presqu’île n’est donc plus le centre directionnel unique de la ville, depuis l’avènement de la Part-Dieu mais aussi avec l’intégration de quartiers comme Gerland ou encore de la commune de Villeurbanne dans une même dynamique. Nous verrons plus tard que la constitution de cet hypercentre, de par l’exigence de qualité qu’il suppose quant aux relations entre ses différents pôles, n’est pas sans influence sur le champ des déplacements.

Tableau 3 - L’évolution de l’emploi dans le Grand Lyon de 1982 à 1999
 
1982 1990 1999
Nombre d’emplois dont tertiaires Nombre d’emplois dont tertiaires Nombre d’emplois dont tertiaires
Lyon 266.226 72,9% 263.102 79,3% 246.514 86,6%
Lyon-Villeurbanne 318.974 69,5% 317.523 75,6% 303.568 82,6%
Grand Lyon 523.564 63,6% 557.349 69,1% 557.486 76,8%

Source : INSEE, RGP

Ainsi (re)constitué, le centre d’agglomération demeure le premier secteur économique de l’espace communautaire, en concentrant encore plus de la moitié des emplois du Grand Lyon. Ses périphéries n’en occupent pas moins une place grandissante en la matière. Elles fondent leur développement non seulement sur l’accueil des activités industrielles rejetées du centre mais aussi sur une croissance tertiaire soutenue. La persistance de cette double dynamique explique aussi pourquoi la tertiarisation est un peu moins avancée à l’échelle de la communauté urbaine que dans l’espace central. Cette croissance périphérique de l’emploi se manifeste au sein des couronnes de la communauté urbaine mais surtout au-delà (figure 12) : en effet, si l’emploi reste très majoritairement situé dans la communauté urbaine, « depuis plus de 20 ans, les véritables gains d’emplois, pour l’agglomération lyonnaise, se font à l’extérieur du Grand Lyon, dans un rayon de 20 à 40 kilomètres. » 202

Figure 12 - Évolution de l’emploi dans l’aire urbaine de Lyon entre 1982 et 1999
Figure 12 - Évolution de l’emploi dans l’aire urbaine de Lyon entre 1982 et 1999

Source : INSEE, RGP

L’agglomération lyonnaise a donc été, et est toujours, le théâtre de mutations qui peuvent apparaître au premier abord contradictoires. En même temps que l’on assiste à la poursuite de l’étalement urbain s’esquisse un phénomène de regain démographique et de retour au centre de certaines populations. Comme pour les lieux de résidence, les activités économiques connaissant également un desserrement mais continuent à être attirées par un espace central qui tend à se montrer de plus en plus sélectif. Ce dernier, tout en ayant perdu une partie de sa substance et en s’étant élargi, scindé, polarisé, semble se présenter plus que jamais comme le centre de "commandement" de l’agglomération lyonnaise, même si c’est au sein « d’une région urbaine plus diluée » 203 (figure 13).

Figure 13 - Le poids des différentes composantes de l’aire urbaine de Lyon en termes d’emploi et de population en 1999
Figure 13 - Le poids des différentes composantes de l’aire urbaine de Lyon en termes d’emploi et de population en 1999

Source : SYTRAL, La lettre du plan des déplacements urbains

Notes
199.

P. JULIEN, "Mesurer un univers urbain en expansion", in Economie et Statistique, n°336, 2000, p.29.

200.

M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.17.

201.

C. MONTES, 1992, op.cit., p.16.

202.

SYTRAL, La lettre du plan des déplacements urbains, mai 2003, n°2, p.5.

203.

M. BONNEVILLE, 1997, op.cit., p.193.